Un texte pour rire de Pierre Notte (paru dans « L'Avant-Scène Théâtre » du Gros, la Vache et le Mainate
« Plus
tu baisses ton slip »
Pierre
Notte
Répétitions,
salle Topor, théâtre du Rond-Point. L’acteur Alexandre Styker traverse le
plateau, culotte aux chevilles, fesses nues, la bite à l’air. Yves-Noël Genod,
poète aux cheveux d’or et pantalons fluo, le guide. Le poète peut tout dire, il
se permet tout. Il lui dit ça : « plus tu baisses ton slip, plus l’espace
s’ouvre autour de toi ». La nudité fait ça. Tout sexe dehors, la peau
offerte, cul nu. Cela fait ça. Ouvrir l’espace, casser les murs, faire tomber
les frontières et les principes. Il part en vrille et en miettes, le quatrième
mur, et Aristote ravale ses pissenlits par la racine. Là où tout est faux, et c’est
fait pour, faire faux, fabrique à faux, apparaît soudain la vérité pure,
droite. Le réel indubitable.
Encore
au Rond-Point, comme à Avignon, à l’Odéon ou à Chaillot, on a fréquenté les
phallus en vrac d’Olivier Py, les vagins en friche de Rodrigo Garcia. Frank
Castorf a trituré le paroxysme en chatouillant Dostoïevski ou Dumas fils, il
nous plantait devant les yeux des écrans géants avec des extraits de films
pornos, gros plans organiques et imposés, d’où le mensonge, la convention, le
faux semblant étaient expurgés. Rien ne peut être plus vrai qu’un coït filmé de
prés. Obscène, en avant scène et en gros plan. Obscène, puisque la vérité est là,
jaillissante. Obscène, comme la pluie sur un plateau si elle est représentée
par une eau qui tombe. Parce qu’elle ne peut être que vraie, c’est de l’eau,
donc de la pluie. Du réel, de l’obscène, la vérité toute nue qui s’impose à l’avant
scène. C’est une provocation, une bousculade violente des repères bien intégrés
et des fracas de murs tombés. Baisser le slip, c’est agrandir l’espace. Il en
va ainsi de l’intrusion du réel sur l’autel de la fabrication. Le corps nu,
chez Fabre, Charmatz, Lauwers, Liddell ou Castellucci et d’autres, c’est aussi
le corps sacrificiel. Le retour aux sources. Le cri du bouc et le sang versé
dans cet espace de libertés, espace au cou parfois renfoncé, engoncé dans ses
conventions. On vide le plateau des faussetés et le corps de ses liquides. À
poil tout le monde. C’est l’heure de la vérité. La pluie du réel, on se la
prend le plus souvent dans le Théâtre Public.
À
la pluie, vraie flotte, l’écrivain Jean-Loup Rivière oppose la neige. Parce qu’elle
ne peut être fabriquée là, ni importée en coulisses ou dans les cintres. On le
sait, la neige sur scène, c’est une tombée de pelures de coton, du papier
blanc, fabrication artisanale. Des miettes de ouate. Du vrai coton pour une
neige imaginée, contre une fausse averse faite de vraie eau. La neige admise,
comprise, acceptée pour telle, c’est le pacte signé avec la poétique de la représentation.
La poésie soudain, parce que le faux fait croire, imaginer, travailler les yeux
et ce qui reste juste derrière de phosphore mou. Là, à l’opposé des corps nus,
on maquille, on rhabille, on voile. C’est le masque et le travestissement.
Enneigement total des individus. On fabrique des monstres et des créatures. Le
monde n’est pas montré tel quel. À quoi bon. On travestit, on transgenre. Chez
Besset-Desveaux, dans Perthus, les
mères sont transfigurées par deux comédiens. Pour son récital pathétique, Michel
Fau se fait tragédienne en collants moulants. Le groupe des « Masques et
nez » triomphe, les masques de La Dernière noce aussi. Ces grimés, masqués et autres trans, on les
croise plutôt dans le secteur privé. Moins aujourd’hui chez Mnouchkine et
encore moins chez Besson. Même si Mister Py devient Miss Kniffe, si Charles
Berling déambule en travlo de Fassbinder dans L’Année des treize lunes pour Martinelli. Même si Alfredo Arias se déhanche en
truie chez Marie Darrieussecq. Là, c’est le faux qui prime. Plein feu. On
referme l’espace dans la boîte noire, l’écrin scénique, on remonte les murs, on
solidifie le quatrième. À noter que les hommes se font femmes pour transposer
ou transgresser, à moins que ce ne soit la poilade générale. À noter que si les
actrices endossent des rôles d’hommes, Maria Casarès pour Bernard Sobel (Threepenny
Lear), Angelika Winkler pour Peter
Zadek (Hamlet), Fiona Shaw pour
Deborah Warner (Richard II), le rôle
en est alors transcendé, magnifié, sublimé. Amer constat. Impuissance
masculine.
Chez
Pierre Guillois, on mêle la pluie et la neige dans la boue du bonheur d’être au
théâtre comme à la fête. Deux vieux grands acteurs sont travestis en tatas
indignes, l’auteur déboule en talons hauts, et un playboy, tantôt postier ou
livreur, débarque cul à l’air et le reste itou. Une vraie paire de fesses prise
entre les feux de deux fausses tantes. Le Gros, la Vache et le Mainate, c’est un jour de repos pour les prises de tête. Les
vrais membres et les faux masques, le privé et le public, les genres et les
registres s’imbriquent, huilés, et se donnent bien du plaisir. Du sexe joyeux
dans la jubilation du travestissement. Du vent dans les bronches, un peu d’air
dans les pompes, et hop. La neige et la pluie, conciliés, réconciliés, font
beau temps. Pierre Guillois et sa bande enfantent un théâtre hermaphrodite,
jouisseur dans la catastrophe.
Pierre
Notte est aujourd’hui auteur associé, conseiller au Théâtre du Rond-Point.
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