Car tout projet, comme dit Cioran...
« Le musée de toute chose
14 boulevard Raspail, il y a une école catholique désaffectée où sont
exposées des œuvres plus ou moins brutes d'individus plus ou moins anonymes, en
marge (en tout cas au moment de leur création) des hiérarchies et des valeurs
de l'histoire et du marché de l'art. On comprend l'embarras des institutions
culturelles, et le réflexe des organisateurs et de la critique, qui n'ont pu
s'empêcher de greffer sur ces œuvres l'aura nécessaire à une communication
efficace, quitte à faire appel à tel artiste qualifié de « reconnu »
qui, par son discours, cautionne l'activité désintéressée de l'artiste anonyme,
sans école, sans curriculum vitæ, sans stratégie, et pourtant là, dans
l'urgence de l'inactualité.
Il faut voir ces pièces métalliques de vieilles machines à écrire
assemblées et peintes en monuments fantastiques dont les arêtes et les sommets
sont habités de minuscules oiseaux coiffés d'aigrettes délicates, ces immenses
divinités crayonnées en flux, comme peignées de courants vitaux... Il y a là,
presque partout, la sauvagerie et l'humeur de subversion où s'obstine Dubuffet
dans l'essai que je viens de lire, Asphyxiante culture. Disons que cette vieille école, qui bientôt, dit-on,
laissera la place à un complexe immobilier, est parcourue de vents sauvages,
quand dans la plupart des centres d'art contemporain ce sont surtout dépôts de
sable.
Aurais-je visité cette école comme si ce fût l'institut de déculturation
ou le gymnase nihiliste rêvé par Dubuffet... Mais non, on y perçoit trop, malgré
tout le vent dans les couloirs, le projet (car tout projet, comme dit Cioran,
est une forme camouflée d'esclavage) : le projet rassembleur, le projet fédérateur,
à cause de l'appel au don qui rappelle que cette initiative anglaise baptisée Museum
of Everything se veut caritative,
aussi à cause du discours encenseur sorti trop ostensiblement du moule de la
comm (on trouve, à la sortie de l'exposition, un café ceci-cela, une librairie
ceci-cela, des demoiselles ceci-cela) ; et le projet parisien, le coup, le gros
coup, le coup fourré, le pied-de-nez aux institutions voisines qui s'en émeuvent,
s'indiffèrent, boudent, toisent.
— On aime bien (comme on écrit
dans les rubriques culture ou mode d'une certaine presse) l'interdiction de
photographier signifiée par le logo bien reconnaissable de l'appareil
photographique barré d'une ligne rouge, et par l'amende chiffrée à mille euros :
fantaisie des organisateurs qui donnent un prix et donc une valeur au vol des
images quand les œuvres elles-mêmes n'en ont pas. Rappel aussi, ironique peut-être,
que la Culture qui porte majuscule a toujours sa police. »
Labels: citation paris
0 Comments:
Post a Comment
<< Home