L’Oisif
J’admire les écrivains de théâtre, quelle facilité ! Si j’avais ce don, il me suffirait de m’asseoir ici, à n’importe quelle café — par ex, ce restaurant français sur le bd Álvaro Obregón — pour faire du théâtre — il suffirait d’observer comme si la mort devait venir ce soir. Si j’étais un écrivain de théâtre, je pense à Falk Richter, je ferais du théâtre. Ou alors prendre une petite caméra. Mais pourquoi filmer ces gens, pourquoi les déranger, ces comédiens de la vraie vie qui prennent si bien la lumière ? La lumière comme la mort, extérieures à nos vies, comme dit Olivier Steiner. (Les grands arbres, ils sont intérieurs, eux, à la lumière et à la mort.) C’était un temps de fraîcheur ultra-ensoleillée, ce qui fait qu’on pouvait, à l’ombre, en tongs et dénudé, attraper froid. Dans la rêvasserie d’une écriture, il y avait un froid de pierre, d’une phrase à l’autre. « Or, les rois ne s’avancent pas une couronne d’or sur la tête, sur un palanquin porté par des esclaves. C’est dans la manière de saluer, de sourire, de tendre la main, d’offrir une chaise, d’interroger, de répondre que se montrent les grands rois comme les grands comédiens. C’est le parvenu qui se guinde, le charlatan qui pose. Mais le roi est si naturellement noble et gracieux que sa noblesse ne nous étonne pas plus que la noblesse du chêne, et que sa grâce que la grâce d’une tige de rosier. Toutes les mauvaises manières, emphatiques ou vulgaires, spontanées ou apprises, et les mouvements du corps sont dénudés de tout appareil jusqu’à montrer la simplicité. Le jeu d’un grand acteur est plus nu et donne ainsi moins de prise à l’admiration de la foule que le jeu d’un acteur habile. Car son geste et sa voix sont si parfaitement décantés de toutes parcelles d’or ou scories qui le troublaient, qu’il semble que c’est seulement l’eau claire, comme un vitrage qui laisse seulement voir l’objet naturel qui est au-delà. C’est à cette pureté, à cette transparence qu’est arrivé le jeu de Saint-Saëns. On ne voit pas le Concerto de Mozart à travers un vitrail ou une rampe, mais comme à travers l’air qui nous sépare de notre table ou de notre ami, si pur que nous ne le remarquons même pas. » Comme cette vie est disponible et comme ces indigènes sont étonnés ! Comme sur une plage, vraiment, chacun est un peu fou, chacun est un peu indifférent, chacun s’adore obscurément... Etre simplement au soleil : je voudrais réduire ce voyage à ça : être simplement au soleil. (J’aime la solitude car, dans la solitude, je peux n’être qu’un : homme et femme à la fois.) Maintenant, le monde s’en va lentement décliner vers la fête — et, moi, je serai là toujours au soleil. « Qu’est-ce que tu vas faire pour Noël ? » Mais rien. On me trouvera bd Álvaro Obregón, au soleil, sur ce banc, à moins que sur celui-là. Et j’écrirais comme un faux Proust, comme un faux Saint Laurent dans une fausse langue française étrangère tandis que mes compagnons travailleurs profiteront d’une trêve bien méritée. « Eros est grave et triste, il rêve on ne sait quoi / Par-delà le réel... Je suis très simple, moi, / Et n’ai pas de mélancolie. » Oui, il y a dans cette ville comme un silence de campagne. Un chien qui aboie et c’est le soir. Un chien qui aboie et c’est la journée. Un chien qui aboie et c’est la nuit éteinte. Les voitures passent molles sur le bd Álvaro Obregón. Il y a la nuit qui est faite de rêves, de rêves indépendant du continent. Désir de plaire ou de déplaire. Je prends le frais, je voudrais que la journée recommence quand vient le soir, Paulina 1880. Je vois, je retrouve la vue. Il me reste à écouter de la musique avant toute chose. « Que les poètes s’inspirent plus de la nature, où, si le fond de tout est un et obscur, la forme de tout est individuelle et claire. Avec le secret de la vie, elle leur apprendra le dédain de l’obscurité. Est-ce que la nature nous cache le soleil, ou les milliers d’étoiles qui brillent sans voiles, éclatantes et indéchiffrables aux yeux de presque tous ? Est-ce que la nature ne nous fait pas toucher, rudement et à nu, la puissance de la mer et du vent d’ouest ? A chaque homme, elle donne d’exprimer clairement, pendant son passage sur la terre, les mystères les plus profonds de la vie et de la mort. Sont-ils pour cela pénétrés du vulgaire, malgré le vigoureux et expressif langage des désirs et des muscles, de la souffrance, de la chair pourrissante ou fleurie ? Et je devrais citer surtout, puisque il est la véritable heure d’art de la nature, le clair de lune où pour les seuls initiés, malgré qu’il luise si doucement sur tous, la nature, sans un néologisme, depuis tant de siècles fait de la lumière avec de l’obscurité et joue de la flute avec le silence. » Je vais sur le bd Álvaro Obregón comme sur la plage, plus ou moins loin.
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