L’Octroi de la capacité humaine à représenter le réel
« Il y a ainsi en l’homme comme une patience infinie à l’égard du réel, et une impatience non moins totale à l’égard de ses images. On songe ici à un mot célèbre de Pascal, dans les Pensées : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux. » »
Admirer, double sens, admirari : s’étonner, s’indigner. Ce qui donne : « Quelle vanité que la représentation qui attire l’indignation par la ressemblance avec des choses dont on tolère fort bien les originaux. »
« Ainsi l’homme tolère-t-il allègrement de se savoir petit, mesquin, lâche ; il admet même volontiers que nul n’en ignore ; en revanche il se sent outragé dès lors que la chose, sur laquelle il est d’accord, se donne à représenter, se parle. C’est pourquoi toute violence humaine, et même dans les cas fréquents où elle se prolonge par des manifestations de violence physique, n’en est pas moins fondamentalement une manifestation de violence verbale, une outrance verbale : pas de coup de poing ou de coup de feu qui ne soit précédé par la représentation d’une image intolérable se substituant au réel jusque là toléré. Ce qu’il y a d’intolérable, en de tels cas, est l’image, non ce que l’image représente : ce en quoi renvoie l’image est le réel, qui ne saurait être scandaleux ou immoral à lui tout seul, tandis que l’image elle-même est riche de connotations et de significations qu’elle surajoute au réel, le rendant ainsi, selon les cas, flatteur (cas du narcissisme), ou insupportable (cas de la violence, c’est-à-dire du narcissisme blessé). Rousseau, dans la Lettre à d’Alembert, est tout à fait fondé à remarquer que l’homme s’émeut plus volontiers de ce qui se passe sur la scène que de ce qui se passe dans la réalité (il est seulement regrettable que la critique qui s’ensuit porte sur le théâtre public, bien innocent puisque l’image s’y donne pour telle, et non sur le théâtre intérieur où se fabrique les images narcissiques et grandiloquentes, telles celles qui sortent de la plume de Rousseau lui-même). »
On a toujours ressenti ça. Je me souviens en avoir parler avec Eric Martin (interprète du spectacle dans le noir, Le Dispariteur, et du spectacle de l’année suivante Elle court dans la poussière, la rose de Balzac, version Ménagerie) auquel j’ai repensé hier au soir quand Yann Boudaud, dans la pièce de Régy, La Barque, le soir, fait le chien, aboie, devient un chien (on peu sentir la transformation, le désir de transformation), moment qui m’a rappelé l’extraordinaire « crise » d’Eric dans le noir, hurlant, pleurant, geignant, frappant dans le noir les poutres métalliques de la Ménagerie de verre avec une épée — à vous glacer le sang —, tandis que Jonathan Capdevielle continuait à chanter sans fin, sans cesse (sans sein, sans fesse) comme pour dire : la vie continue — ou — le réel intact et inoffensif. J’en avais parlé avec Eric, de ça, qui ressentait comme moi : dès qu’on se mettait à représenter, on se faisait « attaquer » par le simple fait de se mettre au travail. Je me souviens que nous avions ressenti ce phénomène comme quasi inévitable (d’expérience) et lui avoir dit : « Si on mettait quelqu’un debout, habillé, au centre du plateau et éclairé normalement avec toutes les sorties de secours prévues et au-delà, si c’était bien fait, si c'était vivant, on nous emmerderait encore. » Quand le travail est mal fait, en effet, aucune emmerde, ça ne dérange personne, au fond (comme on voit pour la majorité des choses — pompier — qui réussissent). Que devient Eric ? Tiens, je vais l’appeler... Cher immense Eric.
« Toute l’écriture est de la cochonnerie. Les gens qui sortent du vague pour essayer de préciser quoi que ce soit de ce qui se passe dans leur pensée, sont des cochons. »
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