« L’amas de ses rubans a-t-il su vous charmer ? »
Il
y a comme un amour dans ma solitude ce soir. Cette nuit. De l’autre côté de la
rue, il y a une fête. Je laisse la fenêtre ouverte. J’aime la vie. Même si elle
est de l’autre côté de la rue, je laisse la fenêtre ouverte. Je suis allé voir
les amis jouer Le Misanthrope, à l’Odéon. J’ai découvert la pièce. On oublie
tant que ça ? En fait, pas complètement encore. Je n’ai pas tout
découvert. J’en ai découvert une bonne partie, mais beaucoup m’a échappé aussi.
Au point que je me suis demandé si c’était une bonne pièce. Et, Molière, un bon
auteur. C’est parfois (souvent) si génial et parfois des tunnels. Ce qui m’a
étonné, c’est à quel point le personnage d’Alceste n’évolue pas. Excellemment
joué par Nicolas, je dois dire. Je n’aime pas toujours ce que fait Nicolas,
mais, là, il m’a épaté. Il rencontre vraiment qq’un, qqch. Justesse, réel
terrifiants. Mais il n’évolue pas. On voit tout de suite que c’est un fou et
que rien ne pourra le sortir de sa folie (Nicolas montre excellemment cette
folie). Alors, passée la joie des scènes d’expositions, quand semble se nouer
une intrigue — certes faible — on
s’ennuie un peu parce qu’on voit d’avance où ça va : nulle part. Alceste
restera dans sa folie. On s’intéresse alors à l’histoire de Célimène, celle qui
dit des choses gentilles à tout le monde. Excellente Norah. C’est
une pièce très, très étrange, très complexe. « S’aimer sur la scène et se
haïr en coulisse », dit Jean-François Sivadier. C’est vrai. Très étrange
comme ces gens sont occupés de choses si volatiles. Et eux-mêmes sont emportés
depuis si longtemps… Et pourtant — tout aussi étrange —, ils sont là encore à
nous parler — et à nous parler français ! Ces êtres dont la vie est si rapide, si
oubliée, si disparue — la vie à la cour ! — sont là, avec la simplicité du
gros théâtre pur — mais est-ce une bonne pièce ? —, abyssal… Séparer — ou
ne pas séparer — les acteurs des personnages… « Une parole qui, jusqu’à
l’asphyxie ne sort jamais de son sujet », écrit Jean-François Sivadier : déguiser
la nature humaine.
J’ai écrit des belles choses sur ce très beau spectacle. Mais il faudrait que
je relise mes notes. Pas le courage, ce soir. « A supposer que vous
viviez dans le grand espoir (« que l’homme soit un ami pour
l’homme ») et que vous ayez des amis qui ne peuvent s’associer à cet
espoir : est-ce votre amitié ou votre grand espoir qui s’en trouve
diminué ? » Après, sous les arcades, Nicolas me parle de
l’adresse au roi, de Molière, qu’on sent très
fort dans le spectacle, c’est vrai. Le dialogue au roi.
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