Sunday, July 28, 2013

L'Energie du noir



«  Etre acteur, ce n’est pas aimer apparaître. Au contraire, c’est énormément aimer disparaître. » (Soigne ta droite.)



Nous sommes sur une terrasse à Paris, à Pigalle, c’est celle d’un humoriste français et de sa femme, jeune italienne issue de la télé-réalité. Gianluca y habite quand le couple est en tournée (actuellement à Avignon, il rentre lundi). Gianluca me montre l’immeuble en face, un immeuble cossu qui est en fait une HLM, je ne le crois pas d’abord, mais, en effet, j’aperçois des immigrés aux fenêtres, la pauvreté. « Ils se disputent souvent », me dit Gianluca. Il me dit que le Black que j’admire (j’aimerais qu’il l’invite sur la terrasse) est très violent avec sa femme, que l’autre fois c’était terrible, mais qu’il (Gianluca) est resté ostensiblement sur la terrasse pendant toute la scène pour lui montrer qu’il le voyait. C’est ce qu’il a trouvé à faire. Il me dit aussi que, dans cette HLM de la Ville de Paris, résidait aussi Valérie Lang, récemment décédée. Je ne sais pas si c’est vrai. (Ça paraît trop gros.) Je pense à Louis-Ferdinand Céline pour sa description de la misère en regardant toutes ces fenêtres qui se remplissent de leurs écrans plasma — et j’imagine Valérie Lang et la mort de Valérie Lang au milieu de tous ces gens… « Tu vois, ils regardent ce que je fais — Gianluca travaille dans l’audio-visuel — ; imagine comme c’est facile de manipuler les gens : ils ont tous des écrans plasma immenses, souviens-toi de Mussolini. Mussolini… — Non, de Mussolini je ne m’en souviens pas, mais de Berlusconi, oui. — Moi non plus, je ne me souviens pas de Mussolini, arrête… » La terrasse est magnifique, elle fait le tour de l’appartement qui, ainsi, devient une maison. « Un bateau », trouve Gianluca. Un bateau aussi, c’est vrai. On voit partout Paris. Ce qui est beau, c’est la courbe, la déformation de Paris (qu’on imagine vue d’en haut comme sur une carte) du fait de la place où l’on se trouve — comme si, presque, on en voyait la tranche, comme ce qu’il se passe avec la voie lactée (qui est notre galaxie vue par l’épaisseur) ; c’est émouvant de sentir cette déformation réelle. Tout est émouvant quand les choses sont vraies. Toute l’astuce — et c’est difficile — est de laisser le réel réel. Paris n’est pas vraiment en rade pour ce concours de l’approche de la réalité, surtout en cette période, avec cette chaleur, pensais-je. J’aime cette période de basculement de juillet en août. Je suis étonné des foules que j’y côtoie ; je croyais qu’Avignon était tout, mais « tout » apparemment recommence ici. A un moment, j’appelle Josselin pour lui proposer de passer : « Je suis sur une terrasse à Pigalle avec un ami italien… » Josselin me dit qu’il est à des centaines de km, à Belle-Île, et qu’il se bat depuis 2 h au moins avec une phrase pour qu’elle soit belle. Je lui propose de me la lire, mais la phrase fait une page et demie et je n’insiste pas… Gianluca, voyant que je m’intéresse à la production des autres, se décide à me montrer son court-métrage en cours de finalisation. Il est très bon, ce court-métrage fait avec les ados d’un atelier-cinéma dans un collège ; les adolescents sont très, très bien éclairés et jouent très bien, le film fera un carton où je n’y connais rien (mais je n’y connais rien)… Auparavant Gianluca m’avait parlé longuement d’un projet passionnant (en cours) : il filme sa famille victime de la crise et surendettée, il filme ça, il filme la crise en Italie, sa famille et cette réalité qui est vraie. Il ne sait pas quel sera le fil rouge de son film. Je lui parle de Jaurès, de Vincent Dieutre qui n’a trouvé à faire ce film, cette histoire qu’à partir du moment où il en a parlé à sa collaboratrice qu’il a inclue — du coup — dans le film (dans le récit). Gianluca m’apprend une astuce italienne pour se déclarer en faillite : le faux divorce. Ça m’amuse. Je connaissais le faux mariage, le mariage blanc, mais pas le faux divorce. L’idée est de donner tous ses biens à sa femme (ou à ses enfants, aussi…) et de divorcer. Ensuite, de se déclarer en faillite. On ne peut rien vous prendre puisque vous n’avez plus rien. Et le divorce est faux, vous continuez de vivre avec votre femme (dans la maison de votre femme, donc, si vous m’avez suivi). Il me dit aussi que sa mère (qui a 450 000 € de dette) ne veut pas se déclarer en faillite parce qu’elle aurait l’impression d’avoir perdue, d’être une looseuse… que ce serait fini...






Dans mon tombeau de marbre blanc où rien ne se passe…
noircir du papier…

Certaines phrases d’Alfred de Musset, à force de les dire (et de les penser), je les ai écrites (ou alors est-ce ce qu’on appelle savoir par cœur ?)
Mais il est certain que tout d’un coup, chose inouïe, dans tous les salons de Paris, les hommes passèrent d’un côté et les femmes de l’autre ; et ainsi, les unes vêtues de blanc comme des fiancées, les autres vêtus de noir comme des orphelins, ils commencèrent à se mesurer des yeux.

Un peu amoureux de Josselin qui, dans son palais de Belle-Île, écrit des phrases de plusieurs centaines de km, proustiennes (« Oui, c’est bien là le problème, mais ce que j’ai à dire avec cette phrase, je ne peux pas le séquencer… ») tandis que je ne bois ni ne mange en terrasse, à Paris, à Pigalle, en laissant la lumière finir avec son plafond de nuage qui parfois s’ouvre sur des couleurs d’ancien régime — et l’obscurité nous envelopper lentement, l’Italien et moi… Gianluca dit que, s’il avait, lui, une terrasse comme ça, il ferait tout le temps des fêtes et que l’humoriste et sa femme ne le font pas. Alors je lui dis qu’ils ont dû le faire au début, très certainement, et que cette histoire de fêtes sur cette terrasse a dû s’user, mais que, certainement, ils le font encore de temps en temps. Gianluca me dit : « C’est vrai, Christophe m’a dit qu’il avait été blasé (« blasé » n’est pas le mot, mais vous transposerez), qu’il avait été déçu (pas le mot) de s’apercevoir, au bout d’un moment, que, finalement, il ne recevait que des pique-assiettes (c’est le mot) qui ne venaient que pour la terrasse…  Alors je le saisis, ce mot, parce que c’est un mot qui m’a traversé l’esprit surtout à Avignon, surtout avec ces logements au château, et le mot n’a pas été prononcé, mais je me suis souvenu que le premier rôle que j’avais joué, minuscule, dans la mise en scène de Claude Régy, à la Comédie Française, d’Ivanov de Tchekhov, était : « Iégorouchka, pique-assiette chez les Lebedev ». « Comment veux-tu que je reçoive chez moi ?, je dis à Gianluca, j’habite une chambre de bonne. » Alors Gianluca me dit qu’il est venu chez moi (que je devrais quand même réparer la douche), mais je ne m’en souviens plus. « Tu as vraiment un problème avec la mémoire… » Oui, j’ai un problème avec la mémoire… Mais, ce que j’aime, dans mon palais de marbre blanc, c’est d'activer mon corps et mon cerveau pour étudier les dictionnaires et les romans qui sont des dictionnaires mis en forme (mis en vase) et les grammaires et les façons de parler…

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