P armi les grands de ce monde
Ils s’étaient réunis parce
qu’ils fêtaient le numéro « spécial Jean Cocteau » * de
« L’Officiel » qui les avaient déjà tous réunis. Une amie qui veille
sur moi m’avait invité à lui servir d’objet secret que l’on montre, que l’on
sort, appelons-là « l’amie ». Au final, je connaissais tout Paris.
Que dis-je ? plus important : j’étais connu de tout Paris. Tout le
monde partait et tout le monde allait « chez Karine » :
« Tu vas chez Karine, je suppose ? — Ah, je ne sais pas, je vais
demander à l’amie… — Oh, alors, elle y va évidemment… » Mais l’amie
n’allait pas « chez Karine » : « Mais tu peux y aller, toi,
tu t’es fait plein d’amis maintenant. » L’amie était parfois sévère avec
moi (par jeu). Par ex, j’avais mis un petit blouson à paillette récemment
acquis pour la performance de Carcassonne, mais qui allait aussi très bien pour
la soirée : « Tu as fait un effort, c’est très beau. » Elle
faisait allusion à la soirée àmylènefarmer où elle m’avait trouvé
épouvantablement habillé. (Mais pour Bercy et pour étirer l’été, j’avais pensé
à cette veste en poils de laine qui était pourtant Margiela, mais un Margiela de
derrière les fagots et d’il y a quelques années.) Ou alors, quand quelqu’un
faisait remarquer que nous avions la même couleur de cheveux, elle disait :
« C’est parce que nous utilisons le même shampoing ! » et
j’intervenais en disant : « Ah, non, le tien est bien meilleur !
» « Non, c’est juste que je l’utilise plus souvent que toi… »
Eh oui, elle n’aimait pas mon côté grunge. Elle s’était habillée délicieusement
en garçon, d’un costume et d’une chemise et cravate Dries Van Noten et, comme je
lui disais que j’aimais ce choix : « C’est parce que j’étais sûr que
tu allais t’habiller en fille ! » Bref, l’amie et moi, nous nous entendions
bien. Elle faisait des photos, l’amie. Elle était « photographer »
comme je l’entendais dire à quelques Bob dont j’oubliais le nom et
la fonction instantanément. A un moment, elle m’a rappelé Marguerite Duras, je le
lui ai dit. C’était parce qu’elle venait de photographier Arielle Dombasle et
Bernard-Henri Lévy qui s’embrassaient et, moi qui n’ait jamais réussi ce genre
de photo, j’étais bien obligé de reconnaître que c’était sublime. Elle n’en
était pas sûr, d’ailleurs : « Je ne sais pas… » Elle avait
immédiatement passé la photo en noir et blanc et comme je lui demandais avec
quoi (quelle appli) elle faisait ça : « Je ne te le dirai pas ! »
(je crois qu’elle me l’avait déjà dit, d’ailleurs, mais je l’ai oublié).
Marguerite Duras avait demandé, après La Pluie d’été au théâtre, je crois, si une phrase qu’elle avait écrite ne faisait pas
« trop intellectuel ». Il y était question de « fauteuils
navrants ». Et, moi, avec mes 15 ans et mon fanatisme, j’avais répondu,
d’égal à égal : « Ben non ! Pourquoi ça ferait
intellectuel ? » « Parce que c’est moi qui l’ai
écrite ! » D’ailleurs, tout était pareil, pour moi, dans cette soirée, à l’une
de celles qui tournaient autour d’Yves Saint Laurent et dont je lisais les
récits dans les biographies. Il n’y avait pas Yves Saint Laurent, certes, mais
il y avait tous les autres. Il y avait Karl, par ex. Il y avait aussi des
actrices qui sortaient de tournage, par ex, l’une justement du deuxième jour de tournage
du Saint Laurent de Bertrand
Bonello. Il y avait aussi Kristin Scott Thomas qui, elle aussi, avait eu son
deuxième jour d’un film qui se tournait à la Manufacture des
Gobelins (dans l’appartement « de fonction » sublime et abandonné).
Je restais le plus longtemps possible auprès de Kristin Scott Thomas tellement
elle était belle (mon Dieu, ses yeux !) et tellement elle représentait
« l’actrice » au sens où Delphine Seyrig disait : « Le
dénominateur commun que j’ai avec toutes les femmes, c’est d’être une
actrice ». Kristin Scott Thomas, c'est ça. Elle ne restait pas longtemps
parce qu’elle se levait tôt. D’ailleurs beaucoup de monde disait qu’il se
levait à 5 h ou à 6 h. C’est un petit nombre de gens, en fait, qui fait les
plus belles choses — et ces gens sont des travailleurs…
* orchestré par le
délicieux Vincent Darré. L'édito commence ainsi :
« Nous voulions un numéro libre et original », ce qu’il est, lui (un
numéro libre et original). Je voudrais que Stephen s’en inspire… Il m’a
dédicacé le numéro (libre et original) : il m’a demandé : « Il y
a un s à Yves ? — Oui. — Noël comme Noël ? — Oui. » et il a écrit :
« Pour Yves Noël, le sapin de cette soirée, tendrement, Vincent » Je brillais... C'était Noël !
Labels: paris
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