Bonsoir cher Benoît,
Ça y est, je me suis « remis
au travail »— avec l’espoir de
découvrir des matériaux nouveaux (et aussi anciens, selon Adorno pour qui
« le nouveau, c’est en même temps l’ancien, dans le nouveau, l’ancien se
reconnaît et devient facilement intelligible »). Je suis content, j’ai
engagé une fille fantastique, une danseuse brésilienne absolument épatante, Ana
Pi (photo). Elle revenait du Brésil, il y a qq jours, et elle m’a dit que la
différence qu’elle ressent (avec Paris), c’est que, là-bas, la nature est
encore plus puissante que l’homme (ce qui n’est évidemment plus du tout le cas
à Paris). Elle me raconte, par ex, qu’il y a des pluies soudaines
invraisemblables — ils étaient en famille dans cette maison avec un toit
métallique, autour d’une grande table et son oncle parlait (je l’imagine
debout) et, au moment exact où il a levé les bras, la pluie lui est tombée
dessus et l’a fait sursauter comme la foudre, aussi soudainement que ça, et
ensuite, à cause du toit métallique, ils ne pouvaient plus même s’entendre, ils
hurlaient, mais comme silencieux… Evidemment, je pense à toi quand elle me
parle de ça. Je sais que tu as le pouvoir de la nature (tu as déjà utilisé une
pluie…) Enfin, voilà le sens de ce spectacle, c’est probablement des choses que
je t’ai déjà dites 1000 fois (pas le temps de relire et tu me connais), mais il faut que ce soit la nature, l’enlèvement par la nature, le déshabillement de la Société du Spectacle par la puissante nature,
la mise à nu de tout ce qui nous abîme salement (la pollution) pour s’abîmer
dans plus grand que soi (pas plus petit). Bref, la beauté, l’emportement. La
nature et l’histoire. Tu sais tout ça, récolte tout ce que tu veux des fleurs
du paradis ; tu sais, la fleur de Coleridge qu’il avait vue en rêve — il
avait rêvé qu’il se baladait au paradis et qu’on lui donnait une fleur comme
preuve de son passage et qu’au matin — est-ce arrivé ? — « Que
penser ? » — dit Borges qui raconte l’histoire — « s’il l’avait retrouvée au
réveil ? » (je cite de mémoire). Tout ce que tu peux (re)trouver d’un
monde nocturne ou diurne, de ces lumières invraisemblables, où les animaux
(comme je n’ai pas les moyens d’en mettre réellement sur scène, des biches, des
lions — il y a ce titre d’un livre : Quand le loup habitera avec
l’agneau) où les animaux se joignent
aux hommes, et les plantes et les pierres, monde d’utopie pure tant
l’extermination des espèces les plus bouleversantes semble finale aujourd’hui.
« Tout est sensible », disait Pythagore (repris par Nerval). Et puis tout
ce que tu veux, en fait (je redis).
Je viens de travailler comme interprète sur un film intitulée L’Inséparé(e) qui reprend une théorie qui est dans l’air du temps,
de déni de l’Altérité, que tout est dans le même monde, sur un même plan, sans
hiérarchie (sans « stars », par ex, ou sans
« dieux ») ; bien sûr, c’est ce que nous savons, tout est dans
le même monde, le profane et le sacré, le riche et le pauvre, le grand et le petit,
le naturel et l’artificiel, etc. — et tout peut s’assembler et former des
chimères. Le hasard est le maître du Haut Château. Un sac en plastique qui vole
au vent est beau comme un papillon ou comme une plante qui pousse. Je note des
choses quand j’en remarque, mais, enfin, c’est très libre puisque nous ne
savons pas où le spectacle va aller (ou, mieux dit, d’où le spectacle
va venir). L’idée est de redonner tel
quel ce que nous avons de septembre (tu pourras le retrouver ?) et de
continuer pour une deuxième, troisième ou quatrième partie, peut-être avec
entracte, peut-être pas (influence Einstein), l’ensemble devant constituer un opéra (influence Einstein). Voir le texte ajouté au dossier de presse (pièce jointe).
Un opéra immobile (ou seuls voyagent le lieu, la musique et la lumière (je
m’adresse à toi, mais comme toujours, je pense aussi à Philippe avec qui je
suis parisiennement en contact. Il y a aussi une idée religieuse chez Jeanne,
c’était déjà présent, mais il est possible qu’on la mette en bonne sœur dans
son développement suivant. Sa métamorphose. Le couvent ! Ça paraît
logique. Alors, évidemment, Dialogue des Carmélites (qu’elle adore) et tutti quanti… Le diable pourrait
ou devrait (mais attention !) être présent aussi (parcimonieusement). Nous
cherchons encore si possible d’autres voix (baryton…), mais Jeanne (nous
nous sommes vus jeudi) : « C’est ça, le problème, c’est que, quand je
pense à des chanteurs, je pense à des ex ; c’est ça le problème… sinon
j’en trouve pas ! Les barytons, n’en parlons pas ! toutes les voix
graves… (Rire.) » Un autre problème que nous avons, ce sont les vidéos,
autant celle de septembre que celle de Zelda, le son des voix chantées est exécrables et Jeanne et
Bertrand ne sont pas très contents (moi non plus). Il faudra vraiment (au début
des répétitions, demande Bertrand) faire des enregistrements. Mais on se
demandait si tu n’avais pas déjà enregistré un peu. Dis-moi et, si c’est le
cas, je récupère les dossiers et les refile aux vidéastes (Patrick Laffont,
septembre, et César Vayssié, Zelda).
Dis-moi aussi ce que tu fais le 6, 7, 8 mars (j’ai 3 jours 9h-16h30). Si tu es
pris, c’est réglé ; si tu n’as pas envie de venir, je comprends, je
travaillerais avec les acteurs, mais, si tu veux venir, il faut que je demande
alors à Daniel de monter le son. Présence confimée à Bruxelles du 3 au
9 (je pars le 9 au matin), trouve-nous un bon r-v (comme l’autre fois). Je
t’embrasse,
Yvno
Labels: bouffes, correspondance
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