R erun : « Nom d’une pipe, tu l’as dit ! »
[Je retrouve ce texte hier par hasard. Je ne le reconnais pas, je ne me reconnais pas en train de l'écrire. Du coup, je le trouve pas mal. Rodrigo Garcia a peut-être raison de me dire : « Laisse tomber Houellebecq, pourquoi toujours Machin et Machin ? Silvia m'a dit que tu écris un blog, pourquoi pas toi plutôt qu'un grand auteur ? C'est mieux toi ! » Si c'est moi que je ne reconnais pas, pourquoi pas ? Moi comme un autre. Une page comme une autre. Quel est l'auteur ? celui qui lit, bien entendu. C'est toujours le problème : si un autre reconnaît ce que vous faites, alors on peut le faire. Sinon, c'est difficile, ça cherche la reconnaissance... ça cherche à écrire mal-bien exprès (car la folie désirable peu l'atteignent). Je suis mort et il restera ça, c'est-à-dire : rien, c'est ça, l'écriture. Oui, je crois que Rodrigo n'a pas dit une bêtise.]
Dijon, je vois le héron. Je
ne peux pas m’empêcher d’écrire. Je pense beaucoup à DSK. Il ne pouvait pas
s’empêcher d’activer en permanence son cerveau. Dès qu’il attendait — il devait
attendre souvent dans les aéroports —, des jeux, des jeux, des jeux… L’ennui,
c’est terrible. Je ne sais pas ce qu’a prévu Dieu pour contrer l’ennui.
L’alcool, ok, l’écriture, ok, l’ordinateur, ok. Quand j’écris, je ne vois rien.
Je vois la falaise, la rivière… Je vois une ville un peu dispersée parmi les
nuages. Je vois un paysage de tunnels presque urbain. Je vois des façades avec
des volumes, des boîtes. Je n’ai pas de papiers d’identité sur moi, je vais en
Suisse.
Dijon repart… Je suis dans le
train. Le train qui ne mène nulle part (je vais être refoulé à la frontière).
Je longe le canal. Le canal de Dijon. Je vois les volumes, les maisons, les
espaces à l’intérieur, je les sens. Je vois les tas de décharge, les espace
pleins (les grands brasiers). Je vois l’espèce humaine engoncée dans des
T-shirts, des vêtements, je vois les cultures pour se nourrir… on a bien rasé
autour de Dijon, c’est déjà les récoltes. Il reste quelques oiseaux dans ces
plaines immenses, témoins.
Je vois les feuilles,
certaines feuilles des arbres, grouillantes, fourmillantes… Je vois
l’expérience, l’expérience fausse de l’écriture… Je lis un peu — pas dans le
paysage — sur l’éthique, l’esthétique… « …l’antique conflit de l’éthique et de
l’esthétique ou, si l’on veut, de la théologie et de l’esthétique. » Les livres
rendent les choses infiniment moins belles, je voudrais arrêter l’écriture. Une
femme en a remplacé une autre. Je fais mes mises en scène dans le réel.
Incroyablement belle. (Mais on pourrait dire immonde.) Le garçon, à côté, n’a
pas d’âge.
« De Plotin, on rapporte
qu’il était presque honteux de vivre dans un corps, et qu’il ne permit pas aux
sculpteurs de perpétuer ses traits. Un ami le priait une fois de se laisser
portraiturer. Plotin lui dit : « Il me fatigue assez de devoir traîner ce
simulacre où la nature m’a emprisonné. Tolérerai-je en plus que se perpétue
l’image de cette image ? » »
Il y a un infini. Il y a un
infini des mots aussi dans le réel. Dole. Le train repart avec cette sensation
que le train n’arrivera jamais. Le TGV à destination de Lausanne. Le train ne
repartirait pas. Je regarde chaque caillou du ballast. Comme chaque caillou est
joli, précieux, particulier. Cette couleur infinie. Les gris neufs du ballast
neuf. Les anciens sont marron, je ne les avais pas remarqués : ils sont très
beaux aussi, ils sont même mieux, salissants, vivants, je les contemple un à
un, ils sont très nombreux. Je vois aussi l’herbe sur les pelouses. Brin par
brin. Je vois les arrangements, comme tout le monde s’est arrangé pour prendre
la place. Moi, je vais être refoulé à la frontière. C’est un fait. En
attendant, le train qui ne mène nulle part rentre dans la poussière des feuilles.
Je témoigne.
« Dans le cours d’une vie
consacrée moins à vivre qu’à lire, j’ai souvent vérifié que les buts et les
théories littéraires ne sont rien d'autre que des stimulants et que l’œuvre
finale généralement les ignore, quand elle ne les contredit pas. »
La Suisse risque de
disparaître sur la carte. Il fait mauvais. Ça se couvre, ça s’efface. Le lac
doit transpirer. Voulez-vous être riche ? Dernière vision : un champ de
tournesols tournés n’importe comment, dans tous les sens. Il y a ces barrières,
ces murets… ces tas de pierre, ces rondelles… Il y a ces petites maisons
particulières, amicales, éphémères. Les lignes du train sont souples, souples,
toutes droites. Je vais repartir dans l’autre sens. Je n’irai pas en Suisse
aujourd’hui. Ce sera un soulagement, en un sens. Je suis fatigué. Il y a les
bêtes, les diplodocus. Fatigué, fatigué et je m’adresse à Dieu : Sauve-moi !
Sauve-moi de l’ennui ! sauve-moi de l’écriture ! Le train ralentit, ralentit
tant et tant, c’est pluvieux dehors, ça doit glisser…
Dieu efface la Suisse d’un
seul geste. Il a exhaussé mon envie.
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