Vous avez reçu
comme moi le mail désespéré de quelqu’un que plusieurs parmi vous n’ont même
jamais croisé. João traverse une période personnelle difficile. J’avais
commencé de lui répondre, mais c’est très difficile car il s’agirait surtout
d’aider qq’un qui souffre… Mais je viens de passer ce soir plusieurs heures au
téléphone avec lui. J’ai probablement attrapé le cancer de l’oreille, mais ça
valait le coup : il est redevenu adorable comme il l’a toujours été
(trop). Il m’a raconté sa vie, très émouvante, je lui ai dit qu’il faudrait
faire un spectacle dessus. Il est dans une période extrêmement difficile, c’est
le moins qu’on puisse dire, je vous passe les détails, et qui le rend
absolument réactif. On le serait à moins. J’ai conscience que le travail
proposé peut sembler piétiner (ou faire peu de cas) des histoires personnelles.
Ce n’est pas seulement dû au manque d’argent, mais aussi au manque de
temps : il faut nous sentir disponible à qqch qui doit à la fois faire
entièrement plaisir (ça n’advient qu’ainsi), mais aussi dont on ne sait rien.
J’ai quelques intuitions, ce que je voudrais, surtout ce que je ne veux pas,
mais je ne sais rien. C’est l’espérance que qqch de nouveau surgisse,
apparaisse et me surprenne, me dépasse : je ne veux pas refaire ce que je
sais faire, c’est tout ce que je sais. C’est donc peut-être difficile — pour
vous — de vous engager dans ce travail inconnu qu’on ne peut pourtant toucher
qu’en s’engageant. « Idéalement des costumes avec personne dedans »,
la phrase, déjà prononcée, est très belle poétiquement — et João qui a joué
Fernando Pessoa dans le dernier spectacle n’est pas le dernier à la
comprendre ! —, mais quand il faut gérer ça avec son amour-propre, ce
n’est peut-être pas si facile. Je le sais et je croise les doigts pour que
votre enthousiasme ne vous quitte pas ! Amis de la transparence, bonsoir !
Le projet : il s’agit de rendre vivant les murs (qui le sont déjà)... Que
le théâtre soit le personnage principal, et que, nous les hommes, nous ne
soyons plus au centre, mais que nous en devenions comme les gardiens de la vie,
les fantômes du temple. C’est bien barré, si on résume !
Bonne nuit !
Yves-Noël
Voici de
nouveau le poème de Gérard de Nerval que vous connaissez (déjà ceux qui étaient
là en septembre) et qui inspire ce projet (et quelques extraits du Jardin
des Délices de Jérôme
Bosch) :
Vers dorés
Homme ! libre
penseur — te crois-tu seul pensant
Dans ce monde
où la vie éclate en toute chose :
Des forces que
tu tiens ta liberté dispose,
Mais de tous
tes conseils l'univers est absent.
Respecte dans
la bête un esprit agissant :
Chaque fleur
est une âme à la Nature éclose ;
Un mystère
d'amour dans le métal repose :
« Tout est
sensible ! » — Et tout sur ton être est puissant !
Crains dans le
mur aveugle un regard qui t'épie
A la matière
même un verbe est attaché ...
Ne la fais pas
servir à quelque usage impie !
Souvent dans
l'être obscur habite un Dieu caché ;
Et comme un œil naissant couvert par ses paupières,
Un pur esprit
s'accroît sous l'écorce des pierres !
Labels: correspondance bouffes
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