G rüber pour les jeunes
(Jean-Pierre Thibaudat)
« Grüber, homme écorché,
nous offrait le plaisir solaire et nocturne à la fois que seul le théâtre peut
offrir lorsqu’il s’avance nu sur un plateau. « Calme ! » était un des mots
qu’il aimait répéter aux acteurs qu’il dirigeait avec des mots rares, des
énigmes poétiques.
Grüber était cet homme-là.
Dénoué de tout faux-semblant, sincère, absolument sincère, violemment sincère.
Une sincérité d’écorché vif. « Je suis d’une sincérité que je ne peux soutenir
très longtemps », disait-il encore, signe que la conversation serait bientôt
terminée.
Quand il répétait La Mort
de Danton au théâtre des Amandiers de
Nanterre (1989), il lui arrivait d’écourter les répétitions, lorsque sa
sincérité ayant donné tout son suc, il risquait de « jouer » au metteur en scène
comme le font beaucoup. Les acteurs le vénéraient. »
« Grüber est le plus
beau paradoxe que le théâtre ait jamais connu. Nul plus que lui ne voulut
chasser le « Théâtre » du théâtre. C’est-à-dire l’hystérie, l’emphase, le
paraître, le jeu du chat et de la souris entre un acteur et son personnage,
l’épate, l’imagerie, le geste qui claque dans le vide, le théâtre qui fait la
pute , qui racole, qui cherche à flatter l’audimat, le théâtre qui pue le
compromis. Mais en même temps, Grüber exaltait la convention même du théâtre,
ce lieu improbable entre le dedans et le dehors, ce lieu de tous les possibles
: des paysans de Tchékhov aux visages peints comme des Indiens devant un public
assis sur des chaises comme importées d’un village grec et le tout joué dans le
quartier turc de Berlin ( » Sur la grand-route » ). »
« Son théâtre prit le
théâtre à la source et à la gorge. Tout s’y tient dans la tension du présent,
la densité de l’être-là. C’est un théâtre qui se fonde sur l’écoute. Tout en
part, tout y revient. En miroir, il y a l’espace du regard, c’est-à-dire le
corps de l’acteur, l’espace du plateau, lesquels disent le temps qui passe, la
mort au travail. Entre ces pôles, le théâtre de Grüber déplie une électricité
qui nous foudroie. Comme un verre qui se brise et dont la mélodie des éclats
n’en finirait pas de se propager. »
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