Tuesday, May 13, 2014

2 visions de mon père (parmi tant d’autres)


Le matin, avant le yoga, on va à l’hypermarché de bricolage (parce que je lui demande des conseils sur ce qui pourrait boucher les trous du plafond de La Condition des soies, à Avignon, pour obtenir, à 7h du soir, le noir total). Il n’y a pas, à cette heure matinale, parmi les rayonnages — c’est pas le mot, « rayonnages », il y en a un autre plus précis pour les hypermarchés —, la cohorte des vendeurs, des jeunes vendeurs qui apparaîtra, efficace comme dans une maison de retraite, sur la fin de notre bref séjour. Je vois mon père errer parmi les linéaires, hélant des ombres blanches (qui se révèlent être des clients comme lui) et je m’aperçois — je vois même, avant même de m’en apercevoir, je vois un spectacle de Christoph Marthaler : il n’y a que des vieillards aux cheveux blancs, tous les mêmes, vaquant sous les fluos blancs, perdus dans l’immensité rêveuse du paradis des brico-retraités.


A la gare, je vois mon père, cette fois comme dans un film de Federico Fellini, je vois mon père hurler en faisant des grands gestes dans ma direction, de l’autre côté des 4 voies, mais comme s’il était de l’autre côté du port, d’une distance surestimée — ou d’un fleuve très large ou d'un torrent bruyant. Il me dit que je ne suis pas au bon endroit. Il en est persuadé parce que, quand je lui réponds que si (en hurlant moi aussi), il continue comme s’il n’avait pas entendu ou comme si je ne comprenais pas. Il y a urgence, pour lui, je risque de louper mon train. Je m’adresse à un chef de gare qui se trouve là et qui observe la scène amusé en pensant, en même temps que je le fais, que mon père va se calmer, mais non. « Pourquoi pense-t-il que c’est ailleurs ?, je demande au chef de gare de m'expliquer. — Parce qu’il doit confondre avec le quai 4. Le quai 4, c’est là-bas, mais la voie 4, c’est ici. » Puis, finalement, mon père renonce ; je vois le doute s’instiller tristement dans sa certitude, puis je vois qu’il est passé à autre chose, il a rencontré des connaissances, une femme avec son grand fils, visiblement, et c’est la fin et je me dis : Pourquoi ne fais-je pas de cinéma ? comment pourrais-je faire pour faire du cinéma ? ça, c’est le cinéma qu’il faut.

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