D e ma chambre au soleil
Il faut que je dise qqch du
spectacle auquel David Bobée m’a convié hier, Lucrèce Borgia ; je vais essayer d’être concis parce que le spectacle
est juste splendide et ce n’est pas sûr qu'on puisse en dire davantage.
J’ai la sensation vague que je ne devrais pas aimer ce spectacle, hors, c’est
tout le contraire. La même impression,
mais décuplée, qu’après son Roméo et Juliette. Dans les 2 cas, je découvre la pièce monument sur le moment. Ça
paraît fou, mais je ne connais rien au théâtre. Je suis toujours, devant le
théâtre, frais comme un gardon, je ne sais pas comment je m’arrange, ça paraît
invraisemblable, mais c’est comme ça. Je me suis même demandé hier si, quand
même, je n’avais pas déjà vu une fois la pièce, Lucrèce Borgia, comme, quand même, peut-être, il avait dû m’arriver
de voir Roméo et Juliette :
ces pièces sont si connues, si aimées. Mais, alors, je ne les aurais vues que
dans des mises en scène ennuyeuses qui me les aurait fait instantanément
oublier ? peut-être... l’être humain a de ces défenses, souvent. Toujours
est-il que je découvre la pièce de Victor Hugo dans une mise en scène virtuose
de David Bobée comme s’il en avait passé la commande à ce librettiste, Victor Hugo (le Shakespeare
français). Mise en scène inaugurale, pour moi, comme si j’étais ado. Pourquoi je
marche ? J’étais avec Anna. Anna qui enseigne le théâtre à des ados (justement à Créteil), me dit : « Tu es comme les gamins de 12 ans
qui sont capables d’inventer tous les arguments possibles pour dire à quel
point un spectacle est génial, alors que c’est juste qu’ils ont trouvé beaux
les interprètes. » Oui, c’est vrai, David Bobée me transforme en
ado et je me laisse emporter sans pudeur dans cette métamorphose, au
milieu de la foule dont je participe. Mais cela n’explique pas. Il y en a tant des spectacles qui demandent aux spectateurs d’être des ados, ce qui, en général,
m’exaspère car je n’ai plus l’âge, je connais les trucs, je pars à l’entracte,
comme dans le Macbeth d’Ariane
Mnouchkine — comment se fait-il que, là, ce soit tout le contraire ? Que
je me reconnaisse — ou ne me reconnaisse plus — exalté comme au premier jour au
point d’applaudir, crier comme à Guignol, vouloir intervenir, sauver Lucrèce,
sauver Gennaro ? Un mot me venait quand j’essayais hier soir déjà — dur métier
que celui d’être un homme — de comprendre ce mystère, le mot de « plain-pied ». Oui, je suis de
plain-pied avec ces spectacles de David Bobée qui sont la générosité même, Roméo
et Juliette dont je me souviens aussi comme
si c’était hier et celui-ci, plus fabuleux encore, plus féerique, comme
les étoiles de Broadway ou de West End. Il y a un secret en David Bobée, une
santé, un secret qui est mon maître : il fabrique des spectacles de théâtre qui
sont des spectacles. Le théâtre est comme libéré du théâtre. Ainsi je ne pourrais pas répéter les qualités de ce
spectacle (elles sont immenses) : je suis comme un enfant qui trouve les
interprètes beaux, les lumières, les musiques, les scénos, les miroirs, les
costumes, les textes sublimes. Je pense comme Béatrice Dalle qui,
quand on la félicite après, dans le hall, dit : « C’est le patron
qu’il faut féliciter. » La scénographie est une splendeur genre
Versailles. Les interprètes inoubliables. Béatrice Dalle, on ne peut pas dire qu’elle soit bonne ou mauvaise,
un peu comme Brigitte Bardot dans Le Mépris, exactement ce qu’on peut dire de Brigitte Bardot
dans Le Mépris : ni bonne ni
mauvaise, Brigitte Bardot. Béatrice Dalle. « Je ne lis jamais les
scénarios, je ne connais pas le casting d’un film avant de le choisir : la
seule chose qui compte, c’est le metteur en scène qui me demande de le
rejoindre. » David Bobée est son patron. Et le mien.
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