Comme toujours, beaucoup de
plaisir à te rencontrer, hier soir, car aussi j’ai toujours beaucoup de
curiosité, en plus de l'amitié naturelle que tu suscites, de t’imaginer dans
tes carrières (prestigieuses), toi qui me permets de te tutoyer…
Je suis ravi aussi, bien sûr,
que tu me considères comme un grand acteur qui n’a peut-être pas le déploiement qu’il mérite. Ça me flatte. J’aimerais en effet plus de carrière, mais
uniquement par esprit commercial, ce serait pour gagner en pouvoir, en facilité
à pouvoir monter mes propres spectacles. C’est drôle, je n’ai pas du tout l’ego
d’une carrière en tant qu’acteur. Je n’ai accédé qu’une fois à un premier rôle
(avec Julie Brochen, Le Cadavre vivant, de Tolstoï) et c’est ce que j’ai trouvé de plus facile à faire dans
ma vie, comme des vacances, très agréable (tout le public ne pense qu’à toi
pendant toute la pièce, guette le moindre de tes soupirs). C’est là que j’ai
compris que tous ces soi-disant « grands acteurs » n’étaient en rien
supérieurs aux autres, la difficulté étant juste d’accéder aux grands rôles. Tout le
monde me félicitait, j’ai trouvé ça mignon. Mnouchkine, Lavaudant me
considéraient pour ce que je ne suis pas (bankable)… Je n’ai pas non plus d’ego
en tant que metteur en scène. Si on ne me l’avait pas proposé, il y a 11 ans,
je n’aurais en effet jamais rien fait. Mais, là, depuis que c’est parti, je me
sens en mission, c’est donc pire ! Je sais ce que je fais (ce n’est pas moi
qui le fais), je sais la splendeur de ce que je fais (je ne peux pas dire le
contraire : je la vois devant moi). Cela n’a rien à voir (ou peu) avec le
narcissisme, je crois. Je suis mon premier fan (mais certes pas le seul, ce qui
est, d’ailleurs, ça, toujours étonnant), un peu comme Marguerite Duras l’était
de ce qu’elle faisait, et, comme elle, je peux dire que je fais les spectacles que
j’aimerais voir. Elle dit même — et
je peux reprendre mot pour mot : « Je crois avoir détecté pas mal ce qui
me plairait de faire. » Et elle ajoute (je l’entends à l’instant à la
radio) : « Les gens ne savent pas ce qui leur ferait
plaisir, en général. » Moi, je fais des spectacles qui me font plaisir,
beaucoup, beaucoup et, même, qui me rendent heureux. Quand je joue moi-même, je
ne peux pas dire que je ne ressente pas le plaisir du partage avec le
public, certes, non, mais c’est un plaisir plus relatif car solitaire. Mon plaisir, c’est d’inviter des gens beaucoup plus doués
que moi et de les regarder travailler apparemment sans effort, de les aimer et
de leur bâtir des robes.
Tiens, je te joins un
témoignage que je reçois à l’instant. Comme je t’ai déjà dit, c’est tout le
temps des retours de cet ordre, à propos de 1er Avril (jusqu’à maintenant, en tout cas). A Avignon, pas mal de gens dans la rue m’ont rendu triste en me demandant si j’allais jouer 1er Avril dont ils avaient « tellement entendu
parler ». Je t’assure qu’il se passe qqch avec le public avec ce
spectacle, qqch de particulier qui, à mon sens, milite pour sa reprise.
Bien à toi,
Yves-Noël
Labels: correspondance 1er avril
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