L a Caresse
Moni Grego
Envie de partager ce beau
texte de Lévinas avec vous.
« La caresse est un mode
d'être du sujet, où le sujet dans le contact d'un autre va au delà de ce
contact. Le contact en tant que sensation fait partie du monde de la lumière.
Mais ce qui est caressé n'est pas touché à proprement parler. Ce n'est pas le velouté ou la tiédeur de
cette main donnée dans le contact que cherche la caresse. Cette recherche de la
caresse en constitue l'essence par le fait que la caresse ne sait pas ce
qu'elle cherche. Ce « ne pas savoir », ce désordonné fondamental en est
l'essentiel. Elle est comme un jeu avec quelque chose qui se dérobe, et un jeu
absolument sans projet ni plan, non pas avec
ce qui peut devenir nôtre et nous, mais avec quelque chose d'autre, toujours
autre, toujours inaccessible, toujours à venir. La caresse est l'attente de cet
avenir pur, sans contenu. Elle est faite de cet accroissement de faim, de promesses
toujours plus riches, ouvrant des perspectives nouvelles
sur l'insaisissable. Elle s'alimente de faims
innombrables. Cette intentionalité de la volupté, intentionalité unique de
l'avenir lui-même, et non pas attente d'un fait futur, a toujours été méconnue
par l'analyse philosophique. Freud lui-même ne dit pas de la libido beaucoup
plus que sa recherche du plaisir, prenant le plaisir comme simple contenu, à
partir duquel on commence l'analyse, mais qu'on
n'analyse pas lui-même. Freud ne cherche pas la
signification de ce plaisir dans l'économie générale de l'être. Notre thèse qui
consiste à affirmer la volupté comme l'événement même de l'avenir, l'avenir pur
de tout contenu, le mystère même de l'avenir, cherche à rendre compte de sa
place exceptionnelle. Peut-on caractériser ce rapport avec l'autre par l'Eros
comme un échec ? Encore une fois, oui, si l'on adopte la terminologie des
descriptions courantes, si on veut caractériser l'érotique par le « saisir »,
le « posséder », ou le « connaître ». Il n'y a rien de tout cela ou échec de
tout cela, dans l'eros. Si on pouvait posséder, saisir et connaître l'autre, il
ne serait pas l'autre. Posséder, connaître, saisir sont des synonymes du
pouvoir. D'ailleurs, le rapport avec l'autre est généralement recherché comme
une fusion. J'ai voulu précisément contester que la relation avec l'autre soit
fusion. La relation avec autrui, c'est l'absence de l'autre ; non pas absence pure et simple,
non pas absence de pur néant, mais absence dans un horizon d'avenir. »
Labels: correspondance
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