L a Main qui tremble
« En fait, c’est
ce que créer signifie, dans son essence même, qui est ici exploré. « Qu’est-ce
que l’acte de création ? », irradiant tout le recueil, part d’une réponse de
Gilles Deleuze : « un acte de résistance » — résistance à la mort avant tout,
mais aussi « au paradigme de l’information à travers lequel le pouvoir s’exerce
dans ces sociétés que Deleuze appelle des "sociétés de contrôle" ».
Agamben se propose alors « d’interroger ce qui est resté non dit dans l’idée
deleuzienne » et, la définition de résistance comme « opposition à une force
externe » lui semblant insuffisante, remodèle les notions aristotéliciennes de
puissance (dynamis) et d’acte (energeia). Mais il n’explique pas la création — il préfère dire : la poétique (poiein, produire) — par le simple passage de la
puissance à l’acte, étant donné que la puissance se définit aussi par la
possibilité de son non-exercice. L’essence de la puissance humaine est que,
dans sa structure originaire, elle «se maintient en rapport avec sa propre
privation» et reste toujours, relativement à une même chose, « puissance d’être
et de ne pas être, de faire et de ne pas faire ». En généralisant : « Dans la
puissance, la sensation est anesthésie, la pensée non pensée, l’œuvre le
désœuvrement. »
L’artiste n’est donc pas
celui « qui possède une puissance de créer, qu’il décide, à un certain moment,
on ne sait comment ni pourquoi, de réaliser et de mettre en acte », mais celui
qui fait « passer dans l’acte même la puissance-de-ne-pas » (par contraste, « le
manque de goût est toujours un ne-pas-pouvoir-ne-pas-faire »).
La résistance dont parlait
Deleuze peut donc être vue comme « une instance critique qui réfrène
l’impulsion aveugle et immédiate de la puissance vers l’acte et, de cette
manière, empêche qu’elle ne se résolve et ne s’épuise intégralement en lui »
(c’est en ce sens que la création, pour un pianiste par exemple, n’est ni
l’habileté, « qui nie et abandonne tout simplement sa puissance-de-ne-pas jouer
», ni le talent, « qui peut seulement jouer »). Elle est celle de la puissance-de-ne-pas,
qui, montre Agamben en citant Kafka, le Titien, Velasquez ou Dante, a « la main
qui tremble », « reste fidèle à l’inspiration au point presque de lui interdire
de se réifier dans l’œuvre ». Exemple la poésie : une « opération dans le
langage qui désactive et désœuvre les fonctions communicatives et informatives
pour les ouvrir à un nouvel usage possible ». »
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