Monday, November 02, 2015

L e Couple d’Annecy


Il y a un couple qui vient d’Annecy depuis le début, ils ont vu les quatre — et, là, ils ont été soufflé, ils ont été soufflé autant que moi, ils reviennent demain (avant de repartir). J’ai été content de rencontrer enfin — enfin deux personnes ! — qui ont vu le même spectacle que moi et, du coup, avec qui je peux parler, on peut échanger, on est sur la même longueur d’onde, ils m’apprennent des choses sur le spectacle, et, moi aussi, je leur apprends des choses que je découvre moi aussi. C’est fou comme c’est rare, dans l’expérience lyonnaise, des gens qui ont qqch à me donner ! Ils m’ont demandé comment j'avais fait. J’ai dit que ce n’était pas moi qui faisais les spectacles, en effet, qu’il y avait un truc. Ils avaient compris, ils l’avaient senti. Ils ont compris ce que personne ne semble comprendre, c’est très curieux, ça me paraît tellement évident : qu’évidemment ce n’est pas moi qui fais de telles splendeurs, comment le pourrais-je ? (moi ou un autre.) Je suis aidé. Ce ne serait pas possible, un spectacle pareil (de le réfléchir, même de le concevoir). Encore faut-il comprendre — pour le comprendre — comprendre d’abord qu’il s’agit de réelles splendeurs. C’est-à-dire de splendeurs ! J’insiste parce que ce n’est pas très compris, ça. Les gens, au mieux, ne savent pas ce qu’ils ont vu. Peu comprennent, savent — à part ce couple d’Annecy — qu’ils ont vu qqch de carrément exceptionnel. Et, ça, pour moi, c’est très curieux. Ça a l’air prétentieux, ce que je dis ? ça ne l’est pas du tout. C’est ce que je cherche, c’est que le public comprenne qu’il lui faut donner de sa personne. Et que c’est ça, être spectateur, c’est exactement être acteur, pareil. Pas seulement prendre. Pas du tout juger (par exemple). Ça, va-t-en le faire comprendre à des Lyonnais, tiens ! Qu’il faut donner, donner, donner, si le spectateur ne fait pas le spectacle, il n'a pas lieu… (et que le spectateur doit parfois (souvent) le faire même contre le public, le spectateur se détache, est isolé, en fait). C’est ce que je dis quand j’emploie le mot « faire », Hélèna Villovitch avec qui j’ai partagé ma vie un moment ne comprenait pas ce que je voulais dire, c’est une opération conjointe, « faire » le spectacle, c’est nous, moi, mais c’est surtout le spectateur, c’est le faire ensemble, c’est la même chose. C'est vrai, ce mot « faire » qui sert à tout et qui nous fatigue... « Lire et écrire, c’est pareil, maintenant on le sait », avait dit Marguerite Duras peu après mai 68 (rapporté par Claude Régy). Et Peter Handke, Introspection, « Je suis venu au théâtre, j'ai vu cette pièce, j'ai joué cette pièce, j'ai écrit cette pièce... » Etc. Si les Lyonnais ne comprennent pas qu’il leur faut se bouger le cul pour le « faire », le spectacle, qu’il leur faut, allez disons-le, osons, s’ouvrir, ils continueront de passer à côté comme ils passent à côté, c’est mon sentiment, depuis le début, de cette expérience réelle (j’exagère à peine) : ils ne voient pas (encore) l’intérêt… Ils croient voir un spectacle et je me demande ce qu’ils voient… Ils ne comprennent pas qu’ils sont la nature-même du spectacle et que, leur secret, s'ils ne se le révèlent pas au moins à eux-mêmes, alors ils l'emporteront dans la tombe — et leur tombe, comment est-elle ?

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