« Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui ! »
Enfin du frais, du neuf, du surprenant ! Je désespérais de Paris, après les merveilles que nous avons faites à Lyon cet automne, je n’en revenais pas de voir le niveau des spectacles à Paris, le niveau du théâtre — à part la famille, bon, les Gwenaël Morin, à Nanterre, ou les Grand Magasin (toujours à Nanterre), tout le reste était juste coincé et anti-théâtral au possible. On finit par aimer ce qui est raté. Le théâtre, ça doit être vivant — et, évidemment, ce n’est pas avec ces saisons qui se font deux ans à l’avance que ça peut aider… Mais voici une chose qu’on dirait sortie de l’œuf, née dans la semaine, apparue à l’exact moment où vous la voyez, à l’exact moment où vous en avez besoin, quelque chose pour vous sauver la vie. Je ne vais pas m’étendre, ce n’est pas la peine. C’est la deuxième fois seulement que je vois une belle représentation de Beckett. La première fois, c’était Madeleine Renaud avec Oh les beaux jours. J’ai loupé l’En attendant Godot de Jean-Pierre Vincent. Il paraît que c’était bien. Mais je n’ai pas loupé Serge Merlin dont on disait aussi le plus grand bien : c’était a-troce. Là, c’est absolument parfait, absolument profond, absolument inouï. Un des plus beaux spectacles de ma vie. Jacques Weber s’est rougi le nez et il ressemble vraiment à Depardieu, peut-être qu’il le joue, sans doute, je n’ai pas osé le lui demander. Il ressemble aussi à Thomas Scimeca. Donc on a Gérard Depardieu dans Beckett. (Pour dire le niveau.) C’est mis en scène par Peter Stein (pour dire le niveau). Enfin, bref, il y a un accord inouï entre Jacques Weber, Peter Stein et Samuel Beckett. C’est juste parfait. Tout le monde est là. Tout le monde est ensemble. Une horlogerie de l’être ensemble. Jacques Weber lance des peaux de bananes dans le public. Le poème dont je rêvais comme d’un seul spectacle, un spectacle d’un seul poème — car un poème suffit pour tout dire —, il est là : si peu de mots, si parfaits, on entend deux fois l’un des plus beaux poèmes de la langue française, l’un des plus beaux poèmes d’amour de la langue française, de l’émotion française, Beckett, bien sûr, poème d’amour, bien sûr, dans une barque, connaissez-vous d’autres sortes d’amour ? C’est très, très, très beau. Diné ensuite avec Jacques Weber, merveilleux. Il voudrait jouer avec Isabelle Adjani, il aime Isabelle Adjani. Il aime aussi Audrey Bonnet. Moi aussi. Il raconte Peter Stein qui est milliardaire et qui, au lieu de s’acheter un château, s’est acheté un hameau en Ombrie, cent soixante-dix hectares. Une salle de répétition plus grande que celle de la Comédie-Française ou que celle de l’Odéon, on peut y faire Les Maîtres chanteurs là-dedans. Moi, j’ai parlé de Marguerite Duras, la femme de Jacques Weber, Christine, l’adore. Jacques Weber voudrait jouer La Musica. Il voudrait jouer Le Roi Lear avec Peter Stein. Pour le moment, ce qu’il fait, le Beckett, est une réussite magique, invraisemblablement neuve. Le vierge, le vivace et le bel...
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