L ettre ouverte
J’ai pensé à toi immédiatement pour être le compagnon d’Angelo. Angelo se plaint d’être seul, m’a-t-on dit après qu’il soit parti. « C’est comme si tous les bonheurs de la vie, c’était fini pour moi. » Angelo est de 1942, nous avons cherché, mais il ne les paraît pas du tout. Il a passé sa jeunesse à Rome, m’a-t-il dit, on m’avait mis en face de lui, ce qui aurait suffit à me tourner la tête, jeunesse à Rome ! Mais il me raconte aussi ceci — je ne sais pas comment c’est arrivé sur la table. On parlait beaucoup de Jeanne Moreau dans la Notte : « inoubliable » était le mot que je proposais (et qui était retenu) puisqu’on cherchait à définir : inoubliable, on en a parlé plusieurs fois (mais je n’aime pas beaucoup ce film), en tout cas, soudain, l’image de sa jeunesse à Rome, la jeunesse d’Angelo : dix-sept ans, Federico Fellini tourne à Rome la Dolce vita ; par exemple, toutes les nuits pendant quinze jours, la scène de la fontaine : oui, il a fait installer un gradin pour le public et toutes les nuits — « Ah, il est quatre heures, le jour point, à demain » — il met Anita Ekberg et Marcello Mastroianni dans l’eau. « Marcello, ta chemise n’est pas assez mouillée… Ah, elle est trop mouillée… » Et la scène avec le petit chat. Angelo me mime la situation parce que je ne comprends pas comment le tournage de cette scène a pu durer quinze jours (et pour faire durer le plaisir, moi aussi). Il dit que toutes les mères de ses copines font de la figuration dans ce film, dans la scène de la fête dans le château, toutes les mères aristo pauvres de ses copines, mais avec quand même encore une robe du soir et surtout un diadème — très important, le diadème — font de la figuration au château. Le fait qu’Angelo ne paraisse pas du tout son âge, c’est ce qui rend aussi le récit féérique : je peux imaginer que j’aurais pu presque avoir vécu moi-même ce tournage de la Dolce vita, dans l’eau éternelle de la fontaine de Trevi. Angelo veut se faire arranger les yeux, paupières et poches. Tout le monde de ce dîner en ville crie : Non ! Il a de très beaux yeux. Et puis on ne sait jamais quoi arranger, on croit que c’est les yeux, mais c’est ailleurs. Il aurait suffit de presque rien : ma jeunesse à Rome.
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