Saturday, August 20, 2016

L a cuisine


« Si vous étiez absent de notre bon pays depuis quelques années, ou si vous sortez d’une longue peine de prison, sachez que, question gastronomie, le pays a basculé sur une autre planète. Une sorte de planète mentale procédant par nourritures de l’esprit où Jacques Derrida aurait sadisé Ginette Mathiot. Ces plats cérébraux ne murmurant que par onomatopées sont servis par des barbus au verbe précis, inspirés, souvent plus intelligents que vous et forcément plus jeunes. Il y a une énergie massive, une colère lointaine ramassée en une assiette toute mignonne. Elle parle à voix de fillette et raconte des bluettes un brin gonflées. La carte est résumée sur un papier nu. Elle dit : ris/chou rouge/palourdes. Ou encore : Langres. C’est un fromage. Ou encore : babe nageur. Qu’est-ce ? « C’est une surprise », vous répond-t-on avec la sincérité des impérieux. On attend donc. Voici un fine lanière de porcelet divinement cuit avec sa croustille et en accompagnement, une purée dont l’origine m’échappe. Et  la poudre ? Des œufs de lotte râpés. Plus d’un s’étranglerait de faim et non sans tort, d’indignation. Si ce n’est que c’est bon, régulièrement brillant comme cette anguille/carottes/kaki. Ce qu’il y a d’énervant, c’est que c’est délicieux et qu’il n’y en a jamais assez. Vous grimpez dans un train merveilleux. Après trois coups de sifflet,  on vous demande de descendre. C’est frustrant. On se dit alors que cette cuisine énervante, sécrétée peut-être dans les années du coitus interruptus procède étonnamment de notre temps. Celui des agacements indolents. »

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