J ’habite près d’un théâtre
Le monde du show business est cruel. Dans notre petit commerce (comme dit Jean-Louis Badet), ma petite entreprise, nous avions fabriqué une Traviata sublime à Lyon (que nous avions intitulée Les Entreprises tremblées), mais, dès la saison suivante, à Paris, une autre Traviata sublime supplante déjà la nôtre, celle-ci intitulée Vous méritez un avenir meilleur. Il y a déjà plusieurs années que nous sommes légion à avoir récompensé Judith Chemla du titre absolu de STAR DES STARS : pas d’autre en France qui lui arrive à la cheville. (Oui, le monde du show business est cruel : un monde de compétition.) Judith Chemla, eh bien, encore une fois (malgré mes lunettes ; cette fois, j’y avais pensé), je ne l’ai pas reconnue. C’est une fille qui joue tellement qu'on ne la reconnait pas. C’était le compliment suprême pour Madeleine Renaud : « Je ne t’ai pas reconnue ». Elle change physiquement du tout au tout. Là, elle est si maladive, une vieillarde prête à mourir et d’où sort d’elle une voix d’ange, comme si elle exprimait l’amour, comme si elle exprimait la vie. « Seule, abandonnée dans ce désert peuplé qu’est Paris. » Judith Chemla, si elle jouait en Chine, au Japon ou à New York, on prendrait l’avion pour se déplacer. Elle joue en bas de chez moi, dans le quartier des réfugiés — quartier devenu sacré depuis la présence sacrée des réfugiés qui ont fui la guerre africaine pour être reçus dans la terre usurpée des barbares Francs christianisés à coup de tatanes à clous ! « O consolation, soutien de l’âme fatiguée ». Le monde du show business est cruel : aux Bouffes du Nord, on vend, à l'entrée, sur une petite table, des livres en rapport avec la maison (les livres de Peter Brook, etc.) ; eh bien, on y a placé A la recherche du temps perdu, manière légère de faire de la publicité pour mon spectacle de février, mais manière cruelle de me rappeler que je ferais mieux de me mettre au boulot ! (plutôt que de traînasser ici...) « En choisissant ce Schumann (Proust), certes, je dévoile un peu mes orientations musicales (sexuelles), mais il s’agit avant tout de l’un des plus grands défis artistiques qui soient, tant sur le plan musical (poétique) qu’intellectuel », dit, dans un magazine distribué devant le théâtre, un « jeune prodige de la direction d’orchestre »...
Labels: paris bouffes
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