D ’un dimanche chez mon père et ma mère
J’écris maintenant en écoutant le quatuor de César Franck, en ré majeur, celui que Marcel Proust s’était fait jouer en pleine nuit, chez lui, par le quatuor Poulet, pour raviver ses impressions à l’invention de la musique de Vinteuil. Je n’ai pas pu le faire entendre hier à la soirée Quelques pages et puis au lit ! chez Laure et Laurent Mayoud, sortes de mécènes enthousiastes des arts délicats parmi les autres choses de la vie, l’amitié, par exemple, la fabrication de la communauté. Dans cette soirée précieuse ô combien où on m’a écouté me laisser ballotter comme un bouchon de liège sur l’océan de la Recherche entraînant mes connaissances avec moi et essayant même peut-être de m’y noyer avec ce public délicat, discret, émancipé à qui j’ai même joué à donner un cours d’interprétation comme j’en donne le lundi et le mardi à Pantin (1, rue Berthier, 14h30-17h30, 5€ — ouverture au public les 5 et 6 décembre). Par exemple, la dissociation, Proust : « « Nous sentons dans un monde, nous pensons, et surtout nous nommons dans un autre. » J’ai beaucoup parlé de Marguerite Duras, ça j’étais content, mais je n’ai pas dit non plus, j’ai oublié, ce que j’avais trouvé quelque part, que dans la Recherche, parmi les termes les plus employés, l'ordinateur relève « jour », « femme », « croire », « vouloir », « vie », « jamais », « temps », « moment », « homme », « ami », « aimer », « mère » et que cet ordre contient déjà, dans sa simplicité, les grands thèmes du roman. Ces mots (et d’autres) que Duras appelait les « mots clés ». J’ai fait la connaissance du psychiatre Jean Furtos avec qui Laure travaille. Il m’a parlé du livre La Mystique sauvage, de Jean Hulin, qui devrait m’intéresser. Il m’a dit que la contemplation de Schopenhauer (Schopenhauer définit le processus artistique comme « la contemplation du monde indépendamment du principe de la raison »), c’est une mystique sauvage (sauvage parce qu’indépendante de Dieu et des religions). Il m’a dit que le kairos, c’est aussi bien du temps que de l’espace (l’instant qui unifie l’espace). Il m’a dit — comme je lui demandais s'il pensait (contrairement à Proust) que la rencontre existe — qu’il existe une possibilité de rencontre dans la polyphonie de l’instant (expression que je lui ai suggérée). Il m’a dit que la question de la rencontre part du dérangement de l’altérité, mais que le kairos fait que, tout d’un coup, quelque chose s’est passé. Le dérangeant de l’altérité se transmute en kairos partagé — où on ne sait plus si c’est une seconde ou un siècle. Pendant peu de temps. Mais ce peu de temps va faire mémoire. Il m’a dit que la rencontre avec soi-même ou avec autrui, c’est le même principe. Il m’a dit aussi que ça pouvait être aussi une horreur partagée (par exemple, lui, avec ses patients, partagent des moments de désespoir), mais qu'une horreur partagée n’est plus tout à fait l’horreur. Cela m'a fait penser au monologue de Richard II dans sa cellule, la phrase incroyable où il parle des gens suppliciés. Le chronos suspendu. Il m’a dit (ce que je savais), que le dieu Kairos, chez les Grecs, est un adolescent, un petit dieu de l’opportunité et que, si on ne le saisit pas quand il passe à proximité, on ne voit que ses cheveux qui volent au vent (il y aura peut-être un autre kairos, mais celui-ci a disparu). Et cela m’a fait penser à la phrase de Proust : « Je vis les arbres s'éloigner en agitant leurs bras désespérés, semblant me dire : ce que tu n'apprends pas de nous aujourd'hui tu ne le sauras jamais. » Jean Furtos m’a dit que, pour lui, le monde n’est qu'une succession de rencontres et de non rencontres, que ce n’est que ça. Je lui ai demandé quelle était la part du hasard. Il m’a dit que la rencontre n’arrivait peut-être pas par hasard, mais qu’elle était toujours inattendue. On peut l’attendre en ayant une place pour ça, mais si on l’attend de manière chronologique, ça ne vient jamais. Jean Furtos m’a dit encore qu’il donnait avec François Laplantine un séminaire sur la pensée métisse et qu’on pouvait le trouver sur YouTube. Il me faudrait, je pense, une bonne dizaine de soirées de ce genre et vous verriez le spectacle sur Proust que je vous ferais ! Je regrette de ne pas les avoir. Trouvez-m'en, mes chéris... Voilà, en tout cas, chers amis, le cours de demain, vous l’avez sous les yeux, et vous pouvez le relire…
Labels: proust lyon cours gérard jouer
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