Olivier Steiner
« Mardi 21 février, un pas de plus vers le printemps, deuxième proustinade. Ce que fait Yves-Noël Genod est beau, beau, beau : bo comme un réverbère qui s'éteint dans une longue nuit d'été. Yvno balbutie à Balbec et ne vous y trompez pas, c'est à mourir de sourire, cette infusion-là, comment la Recherche dans son sachet distille ses saveurs dans les humeurs frémissantes du cerveau d'un acteur alchimiste. Hier c'était la générale, derniers réglages et subtilités innombrables, c'était la belle lumière déglinguée de Philippe Gladieux, ces vacillements de lumières et d'ombres qui seraient comme les dernières lueurs à l'intérieur d'un paquebot de luxe en train de sombrer au ralenti, le monde. Certains spectateurs n'ont pas bien entendu, pas tout, certains l'ont déploré, mais ils auront perçu le remous, le clapotis des mots dans la masse noire du temps, et bientôt, après décantation, ils se rendront compte comment ces phrases leur sont parvenues, sous la peau, traversant les corps comme autant de neutrinos, charme et prodige de la capillarité. Hier soir j'y étais avec une de ces jeunesses merveilleuses, un de ces garçons intacts, jeune Jupien voyageur, adorablement bello. Plaisir d'être avec Laura qui a tout d'une Guermantes, Emmanuel Elstir, Christine Gilberte, et Arno Bertina Bergotte comme en goguette sur le trottoir d'après spectacle. Ce soir c'est la première, le public parisien dont on redoute le mur, la digue, à moins que chaque coeur ne fonde comme chair citronnée de madeleine dans la langue ? C'est possible, on dit que ce public des premières aime ou déteste dès les premières minutes, il s'agira donc de choper très vite, au filet, recommencer l'expérience, une répétition du m'aime mais surtout pas à l'identique. Le Théâtre des Bouffes du Nord est une bouche contenue dans ce grand immeuble d'angle au carrefour de la Chapelle, cette bouche se gausse, fait le moue puis mâchonne, mâchonne quoi ? Un croissant de madame Verdurin contre la migraine ? Evidemment. Une sole au squelette moussu ? Oh oui ! avec du sel et du poivre fins. Mais cette bouche mâchonne in fine quoi ? L'éternité, je vous dis, l'éternité comme dans le creux d'une main. Demain, s'il plaît aux fées je révèlerai un secret : ce qu'il en est de lire (de vivre idem) par transparence. »
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