Friday, February 24, 2017

Olivier Steiner
« Je vis ma semaine luxueuse depuis dimanche dernier. Chaque soir je suis aux Bouffes du Nord dans les fumigations Proust / Yves-Noël Genod. Chaque soir 2 heures 15, il faudra que je fasse la calcul samedi soir mais ça commence à compter, mes heures de vol d'alcyon sur mer calme. Il se passe quelque chose d'étrange avec le temps, au début j'avoue je le sentais passer, le fameux temps, il y avait même pour moi deux tunnels de lenteur marécageuse un peu désagréables, plus rien de ça maintenant. Ce n'est pas qu'il passe plus vite, oh que non ! c'est plutôt comme si mon cerveau avait enfin trouvé la touche "Temps en apesanteur". Ou bien il devient simple "taon", petit animal inoffensif, même s'il pique un peu. Le spectacle dure donc le taon d'une expiration, il dure dans une poignée de main d'enfant (je pense au petit blond aux grenades, celui de Central Park dans la photo de Diane Arbus) puis toute une journée à regarder l'horizon, aussi bien. Suis-je un fan de Genod, est-ce aussi simple que ça ? Oui et non, je ne crois pas. En réalité je suis peu fan de Genod, même si je l'ai été, désormais c'est ailleurs, plus proche d'une sorte de reconnaissance, un petit amour timide et maladroit. Genod est pour moi comme une boussole, une oie migratrice - je devrais dire un jar migrateur - ainsi il est un peu beaucoup à mille coudées au-dessus de la croûte terrestre, il va vers les terres chaudes, Venise, l'Afrique, il va vers S.Thala jusqu'à la rivière, et après la rivière c'est encore S.Thala : ligne de vol de poème comme disait René Char que pourrait citer Christiane Taubira. A propos de la rivière il y a chez Proust les Larivière, cousins millionnaires de Françoise, un de mes passages préférés de la Recherche. Je n'en dis pas plus, venez. En gros ça dit très bien une chose que je pourrais résumer ainsi : dans l'espèce humaine il y a les collabos, les délateurs sous l'occupation, les électeurs de Marine Le Pen aujourd'hui, mais il y a aussi les Larivière... La Recherche, évidemment je crois que c'est mieux si on l'a lu avant, c'est du spectacle très élitiste pour tous ce qui se passe aux Bouffes cette semaine, Proust n'est même pas prémâché, contextualisé, ah non, pas de démocratie, on laisse la démocratie aux élections, en rase campagne, ici on s'adresse aux meilleurs, vous, moi, les aristo, ce qu'il y a de meilleur en nous. Car en nous non il n'y a pas que des monsieur Trump qui vocifèrent, il y a aussi des monsieur Proust qui murmurent. La Recherche donc, en voici un résumé possible : vous passez, brûlez votre vie à préciser les contours de votre recherche personnelle, avec patience, obstination et folie, et quand vous avez enfin mis les mots, quand vous avez élucidé votre désir, quand vous avez posé l'équation, ben vous avez trouvé, comme par enchantement. La fin devient alors le début, la vieillesse l'enfance, la vie, le génie. Et le spectacle commence sous les applaudissements. »

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