M ondanité
Je quittais à regret les anniversaires communs de Pascale et de Bettina dans cette maison d’espace et d’amitié si précise (et de couleurs), à Alfortville, non sans m’être demandé qui était cet Alfort qui avait une ville et des maisons (Maisons-Alfort), je regarderai sur Wikipédia. L’Uber-taxi rentrait dans Paris à la meilleure heure, j’étais calme enfin pour la première fois depuis une semaine, mais c’était aussi, comme je le disais, que l’intelligence de vie que l’on trouvait à Alfortville chez Pascale et Bettina (il y avait des enfants qui dessinaient, des jumeaux, un garçon, une fille, un jardin en friche), réconciliaient : oui, le monde n’était pas que ce qu’en disaient les journaux : du stress, du stress à se tuer, à se damner, mais aussi : le monde, vraiment, la poésie — et pas celle, tragique au possible, prophétique, de Rimbaud, « Le moment de l’étuve, des mers enlevées, des embrasements souterrains, de la planète emportée, et des exterminations conséquentes, certitudes si peu malignement indiquées dans la bible », mais celle, par exemple, d’un poète américain de maintenant (plus ou moins) qui disait : « Aujourd’hui les choses dans la rue n’ont pas l’air en forme ». Mais les choses justement avaient l’air en forme, c’était le coucher de soleil nuageux et l’entrée dans Paris par la Seine et la beauté d’une certaine fluidité, nous allions — le chauffeur, n’y connaissait rien et me demandait si nous n’étions pas près de la Bastille (les gens de banlieue ne viennent à Paris qu’à la Bastille) et son GPS ignorait aussi, curieusement, la rue des Francs-Bourgeois, il nous faisait continuer la rue des Archives vers le Nord, je devais montrer un peu d’autorité à cet aimable Béotien (« La féerie […] s’agite et module pour les Béotiens, dans l’ombre des futaies mouvantes sur l’arrête des cultures. »), nous allions à l’hôtel de Soubisse participer à la fête-tournage du film d’Arielle Dombasle, je dis nous car je m'étais accessoirisé d'Adrien (qui quittait un dîner) : un immense château vide, des enfilades d’espaces et d’escaliers, rempli et déserté tout à la fois d’hommes en smoking et de femmes en noir, très Eyes Wide Shut, ou en tenues plus extravagantes, turquoise et or, tous avec des masques de chats ou des allusions félines, des plumes ou des poils, Arielle dans une combinaison de Fantomette rouge à paillette (sans culotte), comment ça s’appelle ces trucs, ça a un nom… On aurait dit la « Fête étrange » du Grand Meaulnes. Marie Beltrami sous sa perruque rose réussissait d’un coup de ciseaux dans du papier doré des masques absolument magnifiques et Vincent Darré me demandait, quand je le raccompagnais à la grande porte, traversant la cour proustienne, si Adrien n’était pas par hasard « de la fanfare » (j’avais fait venir Adrien qui gagnait sa vie en tant que mannequin et s’était ennuyé plus vite que moi, ayant trop l’habitude de ces tournages de dizaines ou centaines de figurants dans le luxe des châteaux). Arielle était forcément merveilleuse, après chaque « Coupez ! » elle disait : « C’était for-mi-dable ! » et applaudissait, alors que le reste du temps, avant et après cette courte et merveilleuse emphase — ce qui produisait un contraste qui amusait tout le monde — on la voyait plutôt tendue, au travail. C'était d’ailleurs ça, la différence avec une vraie fête : une certaine contrainte qui devenait ennuyeuse, malgré la bonne volonté des gens, une absence de débauche, de boissons, de drogues, un peu de champagne quand même, sur le tard, et qui faisait que peu à peu l’assistance des danseurs et des discuteurs qui remplissaient les salles de l’étage se clairsemait, les gens s’échappant à l’anglaise, parfois en s’arrêtant longtemps dans les salles du bas, les communs des préparatifs, là, c’était tout différent, sans contraintes on pouvait traîner, faire semblant de rester, flirter, rêver Paris. Je réussissais à dire à BHL, quand Arielle nous présentait de cette façon : « Ça, c’est un grand metteur en scène qui fait des choses extraordinaires, Dominique Issermann en est absolument folle… », que j’avais enfin réussi à lire un de ses livres cet été, lequel ? Ennemis Publics. « Ah, oui, je l’aime bien, celui-là… », me répondait-il. « Je serai simplement un invité dont tout le monde a oublié le nom », prononçait en lui-même le Grand Meaulnes déguisé souliers vernis.
Labels: paris rimbaud
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