Sunday, November 26, 2017

F orce et séduction


« Nous sommes entourés d’images érotisées de la femme. De l’homme aussi, dans une moindre mesure, mais ces images n’ont pas les mêmes caractéristiques. La différence des sexes constitue une question majeure pour les sociétés humaines, que toutes les cultures ont eue à gérer. Pour ce faire, et bien que tous les hommes et toutes les femmes partagent un certain nombre de constantes psychologiques, elles ont été tentées de les répartir entre les deux sexes.
Tout humain, par exemple, est habité par le désir d’emprise. Celui-ci peut se manifester de deux manières : soit par la force, soit par la séduction. Dans leur très grande majorité, les sociétés ont mis l’emprise par la force du côté de l’homme, et l’emprise par la séduction du côté de la femme. Dans les publicités pour les slips, les représentations masculines ne montrent jamais des gringalets, mais des hommes très costauds, voire bodybuildés. Tandis que les femmes, pour vendre le même type de produits, sont représentées de façon hypersexy et suggestive.
La femme occidentale se trouve donc soumise à une double injonction. Il lui faut, comme les hommes, apprendre à être soi, à assumer ses désirs. Mais, en même temps, le seul outil de maîtrise valorisé dont elle dispose, c’est la séduction : quand une femme tente d’établir un pouvoir par la force, on dit qu’elle veut jouer à l’homme. Or, la séduction, c’est se constituer en objet du désir de l’autre. Il y a là une vraie contradiction dans ce qui est demandé à la femme, qui prend par la même occasion le risque, à tout moment, de se transformer en gibier pour l’homme.
Exiger de l’homme qu’il respecte la femme tout en excitant sans cesse son désir par des images érotiques, n’est-ce pas une autre contradiction ?
C’est plus compliqué que cela. Ce qui est important chez l’homme, dans notre modèle culturel dominant, c’est d’être maître de son propre désir : il n’y a donc pas vraiment de contradiction entre le fait qu’il soit constamment excité par les représentations de la femme et le fait qu’il doive se contrôler.
Mais l’homme ne doit pas seulement être maître de son désir : il doit aussi l’être du désir de la femme. De ­James Bond à Star Wars, le cinéma donne maintes représentations de ce phénomène. Dans le Blade Runner (1982) de Ridley Scott, par exemple, la scène où Harrison Ford embrasse de force la réplicante – visiblement attirée par lui – est suivie d’une scène encore plus signifiante. Il lui dit : « Embrasse-moi » et, comme elle ne s’exécute pas assez vite, il la prend par les cheveux pour l’attirer vers lui.
Ce faisant, l’homme ne se contente pas d’imposer sa violence sexuelle à la femme : il cadre le désir féminin par une injonction. Ce qu’il veut, c’est qu’elle renonce à l’embrasser quand elle en aura envie pour le faire quand il le lui demande. C’est une soumission psychique qui est exigée par l’homme, dont la soumission sexuelle ne constitue que l’aspect le plus fréquent.
Pourquoi ce besoin masculin de se rendre maître du désir de l’autre ?
Parce que l’homme, depuis toujours, a peur de la femme, maîtresse de la reproduction. C’est la raison pour laquelle, de tout temps, dans toute organisation sociale, jusqu’à un passé très récent, les hommes ont dominé les femmes.
En filigrane de cette peur se cache une autre angoisse, très archaïque elle aussi : l’idée que la femme est submergée, débordée par son propre désir. La femme serait ainsi incapable de trouver une expression socialisée à son désir si l’homme ne le contrôlait pas. C’est l’un des fondements du patriarcat.
C’est aussi l’un des modèles dominants du cinéma hollywoodien, qui invite l’homme à domestiquer l’hypersexualité supposée des femmes, qu’accréditent leurs vêtements très moulants ou largement échancrés. Quant à la femme qui porte une tenue correcte, elle est suspectée, dans ce modèle qui imprègne notre imaginaire, de cacher son jeu. Elle s’imposerait cette retenue pour ne pas montrer ce qu’elle est vraiment – exactement comme Hitchcock aimait à définir ses héroïnes, glacées dans la vie sociale, et « vraies putains » dans la chambre à coucher.
Il revient donc à l’homme de briser cette carapace, puis de canaliser le torrent émotionnel qu’il a libéré. Comme il a su dompter les chevaux, il doit dompter cette autre « monture » qu’est la femme. Un fouet peut d’ailleurs être utilisé dans les deux cas, comme dans Indiana Jones et le temple maudit (1984), de Steven Spielberg.
Dans cette même logique de rappeler qui est le maître, le héros masculin doit être capable non seulement de forcer les femmes qui se refusent à lui, mais encore de se refuser à celles qui se donnent. Le protagoniste de Docteur Mabuse (1922), l’un des premiers films de Fritz Lang, montre ainsi sa puissance en refusant la séduction de femmes qui sont raides amoureuses de lui. »

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