A vila (rerun)
Chère Pascale,
J’ai retrouvé (les souvenirs Facebook) ton texte sur 1er Avril aux Bouffes, il y a quatre ans. Qu’est-ce que c’est beau, qu’est-ce que tu sais écrire (et comprendre) !
Bises, j’espère que tu vas bien,
Yves-Noël
Thérèse d'Avila
Yves-Noël Genod, 1er Avril, aux Bouffes du Nord : préparation à la vie nouvelle.
Ces phrases de Thérèse d'Avila tombées par hasard sous mes yeux donnent une idée, je crois, de ce que j'ai vu et entendu dans cette salle haute, grise et crayeuse, ors anciens et soies déchirées des murs, embrumée et comme recouverte de feutre : « Ce qui nous importe, ce qui importe à l'âme, qu'elle pratique ou non la prière, c'est qu'on ne la néglige ni ne l'opprime. Il faut la laisser aller libre dans ses multiples demeures, de haut en bas et sur les côtés, puisque Dieu lui a conféré tant de dignité ; elle ne doit pas rester longtemps confinée dans une seule pièce. Oh, mes filles, ni même dans la connaissance de soi ! A l'entour de cette pièce, la première demeure, celle de la connaissance de soi, il y en a beaucoup d'autres, et au-dessus aussi. Parce qu'il y a lieu, ici, dans notre château aux multiples demeures, de considérer les choses de l'âme dans leur plénitude, dans leur étendue et leur grandeur : il ne faut rien lui chicaner à l'âme, parce que sa capacité surpasse de loin ce que nous pouvons imaginer. C'est de toutes parts qu'elle reçoit le soleil qu'il y a dans ce palais. »
Pousser les murs, c’est ce qu’il fait, Yves-Noël, avec ses acteurs, ses amis, s'envoler pour suivre le chant de cette voix, laisser l'espace s'ouvrir sous les coups de boutoir de ce rire, se souvenir de la tempête qui gronde dehors, nous menace et nous crucifie, mais pas trop longtemps, danser avec ce couple qui danse, mais pas trop longtemps, s'égarer, avoir enfin le loisir de s'égarer, de se noyer dans ce verre d'eau noyé dans l'eau : la gaieté légère d’une tenue de fête, la griserie de la rumeur dans la pièce envahie maintenant par tous les acteurs bavardants, murmurants, ils sont si beaux, ils se sont faits beaux, ils paradent sur la crête de leur vie, il y en a un qui veut tout tout de suite, un rien et c’est la chute, elle est là aussi la chute, l’ange déchu nu dans sa parka sale comme l’homme fou qui hante le faubourg Saint-Denis un peu plus bas dans la ville, sauf que lui sur la scène il chante, il est sauvé, parce que ça ne fait rien, la peur de la chute, ça ne nous fait plus rien, ils tiennent le coup quand même, là, devant nous, ça ne tient qu’à un fil et nous tenons avec eux le fil fragile, le seul qui nous maintienne à vie, le seul qui fasse que ça vaut le coup l’existence, et qu’on n’a plus peur, comme une main tendue, comme un sourire qui durerait, on se serait retrouvés enfin, on serait là tout le temps, disponibles, vivants, on n’aurait plus peur, on aurait les mains pleines et tout à dépenser, on donnerait tout tout de suite, les sourires, les corps : glorieux, on serait là enfin, et ça durerait, plus qu’une nuit de fête, ça durerait toujours. Sur la scène des Bouffes du Nord, ça ne dure que deux heures, mais c’est comme une préparation à la vie qu’on voudrait, à la vie nouvelle dont on rêve. C’est dans la tête d’Yves-Noël Genod et c’est à nous aussi de continuer à vouloir, dehors, sur le trottoir où on se retrouve après, le trottoir où c’est fini de rêver et où on risque de tout perdre. A moins que le risque, le vrai, ce soit de le suivre, Yves-Noël Genod, d’y revenir encore, aux Bouffes du Nord, revenir voir encore son spectacle : c’est jusqu’au 12 avril, il reste quelques jours… pour se plonger dans la vie nouvelle.
Labels: 1er avril bouffes correspondance
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