Monday, October 21, 2019

T iercé gagnant


Bonjour Anne, 
On s’est parlé après l’atelier, l’autre soir, et je t’ai fait part de mon intérêt pour le travail avec des amateurs en tant que chœur, groupe (j’ai déjà souvent travaillé avec des amateurs, des enfants ou mon père, par exemple). Mon intérêt pour le chœur vient de ce spectacle qu’il me semble que tu as vu, à Vanves, le quatrième Hamlet (Poem Unlimited). J’aimais beaucoup ce qu’était capable de montrer ce groupe d’hommes sans envergure, sans trop de ce qui encombre la vie et la société, l’ego, la volonté de pouvoir (dont on est bien obligé de se servir quand il faut, par exemple, qu’un acteur se charge de la pièce entière, comme dans le spectacle que tu as vu). Ces hommes plutôt moches, sans « grâce », montraient quelque chose, pour moi, d’illimité, une autre grâce, évangélique, celle de l’humilité, une lumière extrêmement émouvante. J’ai retrouvé cette sensation mercredi 9 octobre avec l'imposant groupe de l’atelier. J'ai proposé dès la première phrase de « faire » un spectacle plutôt qu’une « recherche », un spectacle où il n’y aurait d’ailleurs rien à « faire » ou très peu, mais beaucoup à « être » et, ce spectacle, nous l’avons créé, de 30 ou 45 mn, et nous avons eu le temps de le redonner (bien sûr, j’en étais l’unique destinataire, avec Simon). C’est une disponibilité au spectacle que je leur ai « imposée » — mais aussi parce qu’il s’agissait d’un atelier limité dans le temps (et l’enjeu), présenté, comme vous le faites, comme une «  surprise », ce qui est une très bonne idée. J’ai donc conscience de la difficulté de travailler avec des amateurs sur une durée plus longue et avec l'enjeu d'une représentation. Le groupe de Vanves, par exemple, était tellement «  solide », me semblait-il, que j’envisageais de continuer de travailler avec eux, ne pas les perdre de vue, et j’avais proposé d’abord que l’on se revoit tous autour d'un repas et, de ce repas (dans le café associatif à Pantin où je peux travailler facilement), j’espérais qu'on pourrait tirer un spectacle. Mais je n'ai jamais réussi à rassembler tout le monde, le temps avait passé, une parenthèse dans leur vie difficile. Je suis conscient que la grâce apparait dans les interstices et quand elle le veut bien. Soudaine beauté de l’éphémère. Mais peut-être pourrions-nous tenter le coup dans le cadre de cette manifestation du printemps dont tu parlais. Il faudrait délimiter un protocole (bien réfléchir). J’ai appris il y a peu que Olivier Dubois voulait aussi faire un spectacle avec des amateurs et qu’il leur demandait simplement de s’engager sur 4 week-ends. Il faut imaginer…  
Puisque j'en suis à quand même réussir à t’envoyer un mot — c’est vrai que je ne me précipite pas pour vendre ou proposer mon travail pour la raison principale, je crois, que je trouve ça très difficile de « réussir » un spectacle — je suis beaucoup plus à l’aise avec la commande (y compris comme ça a été le cas pendant des années : fais ce que tu veux, tu as carte blanche) où, alors, les choses se présentent plus simplement puisque je fais de mon mieux (à partir d’un contexte, d’un cadre). J’ai une telle conscience de la difficulté de « réussir » quoi que ce soit (à la Pessoa) que je ne peux décemment pas me « vendre ». Mais, enfin, puisque je suis quand même à t’envoyer un mot, disons que j’ai encore au répertoire deux spectacles qui forment un triptyque avec le Baudelaire présenté l’an passé. Le Proust (titre : La Recherche) créé aux Bouffes et joué en tournée, avec un grand succès, la dernière fois à Genève en février, au théâtre Saint-Gervais (mais aussi sur les immenses scènes du TNT de Toulouse et Orléans) — et le Phèdre créé à l’automne dernier au théâtre de l’Arsenic dans l’immense salle sans gradin du théâtre de l’Arsenic, en quadrifrontal (mais qu’il faudrait sans doute recréer en frontal pour la tournée). Baudelaire, Proust, Racine. On a le tiercé gagnant.
Voilà, chère Anne, à bientôt, de toute façon (je repasse à Rennes pour une réunion avec les élèves dans la deuxième quinzaine de novembre, date non encore définie), 
Yves-Noël 

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