P rojet précis pour un spectacle flou
Je hais les réseaux sociaux. Cela n’a pas toujours été le cas, mais, en ce moment, je les hais et l’idée d’y participer me semblerait exiger de moi une abnégation que je n’ai pas. Mais faire des spectacles est un rêve constant, un rêve de toutes mes nuits. Et un rêve quand j’en réalise un : je vois devant moi le spectacle dont je rêve. Je voudrais que nous réalisions un spectacle ensemble. Ce spectacle hors de mes rêves — des miens ou des vôtres — je voudrais qu’il ait lieu dans et qu’il naisse de la Grande Halle du Carreau du Temple que j’ai pratiquée en juin 2019 pour deux ou trois répétitions avant de partir — en avion — au Brésil. Ça a été une évidence : s’il y a spectacle au Carreau du Temple, c’est dans ces 18 000 m2 en lumière du jour que j’aimerais le réaliser. Architecture et lumière. J’ai travaillé avec un danseur, Baptiste Ménard, capable de danser dans cet espace entier. D’occuper en entier un espace aussi grand que celui-ci. Il faudrait être seul — et chacun — et tous — capables d’occuper cet espace, c'est-à-dire de s'y baigner. Nous sommes des babouins, dit le philosophe, il nous faut un paradis que nous occupons en entier. Quelque gazon de territoire. Et puis il nous faut nous toucher, nous épouiller. Sinon nous perdons de notre intelligence. Nous perdons et nous perdons, à nous isoler. Il faudrait beaucoup de danseurs avec cette capacité de vie vivante. Cette virtuosité que je recherche (toujours) chez les interprètes, c’est pour la défaire de son orgueil, c’est pour la mettre au niveau de celle de l’amateur, de celui qui n’a jamais rien fait. Comment disait le président ? « une gare, c'est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien ». Eh bien, faisons une gare ! puisque nous en avons les moyens. Il y a une très belle phrase de la chanteuse Barbara. Dans une interview, on lui parle de son talent et elle s’exclame : « Mais qu’est-ce que c’est que le talent ? Est-ce que ce n’est pas entrer en scène et sourire ? » Voilà, en fin de compte, il n’y a pas de spectacle, il n’y a que — s’il y a lieu — le sourire — et alors le succès ou l’échec deviennent notions très relatives. Vous connaissez peut-être cette blague juive, je vous la raconte : Les cinq plus grands génies de l’Humanité sont juifs. Moïse qui a dit : « Tout est loi ». Jésus qui a dit : « Tout est amour ». Marx qui a dit : « Tout est argent ». Freud qui a dit : « Tout est sexe ». Et Einstein qui a dit : « Tout est relatif ! » C’est une aventure qu’il faut imaginer. De solitude et de reterritorialisation. Oui, les deux. Poème. Je ne maîtriserai pas ce qu’il va se passer. Non-maîtrise de ce qu’il va se passer. C’est tout ce que l’on se souhaite réellement, profondément, dans la vie : vivre une expérience plutôt qu’une manipulation. Je n’aime pas les réseaux sociaux, je n’aime pas ça, mais, nous, babouins débordés et frères de pauvres babouins, n’avons certes pas dit notre dernier mot…
Yves-Noël Genod
Labels: correspondance carreau
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