Tuesday, February 02, 2021

T ouché !


Très, très touché par ton article, Guillaume ! J’ai eu l’impression de vivre dimanche quelque chose d’exceptionnel. Tout l’hiver (depuis le 19 septembre), à cause de ce projet étalé dans le luxe de cet espace, a été merveilleux pour moi. Mais, dimanche, je me suis surpris en pleine représentation à comparer ce que je voyais aux plus beaux spectacles qui m’ont marqué dans mon enfance (Pina et Klaus). Et ton témoignage — qui restera — est la preuve qui manquait que je ne suis pas tout seul à avoir rêvé ce spectacle ! Florence (Cognacq) me rapporte que tu as écrit ton article d’une traite, mais, ce qui me frappe, à part effectivement son très beau mouvement, c’est ton travail précis, documenté de recherche de citations qui me donne personnellement l’impression peut-être pas de l'intelligence, mais d’une certaine cohérence, de savoir précisément de quoi il est question et ce qu’il m'intéresse d’avancer. Cette cohérence que tu me donnes me trouble (moi qui ne me souviens de rien) et me redonne beaucoup de cette chose que l’on nomme simplement « confiance en soi ». L’idée que ce que je rêve est vrai, touche du vrai, que, le théâtre, c'est « prendre soin », pour une large part. Par exemple, je sais que, la peur, on peut la chasser ou la calmer. Une rare citation de Grüber (de mémoire, je ne la retrouve pas, peut-être inventée) m’avait frappée : « Les acteurs sont capables de choses magnifiques, seulement ils ont tellement peur ; tout mon travail consiste à calmer leur peur… ») Vraiment merci pour cette phrase : « Dans ses spectacles, vivre est un émerveillement. » 

Amitiés, 

Yves-Noël 

Bonsoir Yves-Noël, 


Merci pour ce mail. Et surtout merci de nous offrir la splendeur précisément au moment où elle semblait avoir définitivement disparue, engloutie dans la médiocrité ambiante. 

J’ai plutôt tendance à voir le monde avec les yeux de Thomas Bernhardt, de plus en plus depuis ces trois dernières années. Je croyais que finalement la fin de l’humanité à la faveur du covid était peut-être la solution à la renaissance du vivant. Tu m’as offert l’impossible dimanche, le réenchantement du monde, la possibilité d’une humanité magnifique dans ses doutes, sa fragilité. Une humanité qui tombe et à chaque fois se relève. Pina Bausch évidemment mais aussi pour moi, et tu trouveras sans doute la référence étrange, Lois Weinberger l’immense artiste autrichien disparu en février dernier qui toute sa vie n’a eu de cesse de remettre dans les villes les plantes rudérales, communément surnommées mauvaises herbes, chassées d’une nature urbaine totalement domestiquée. Comme lui, tu inventes des espaces de libertés dans lesquels tu autorises les humains à être vrais, à revendiquer une fragilité que la société leur a confisquée. C’est en ce sens qu’ils sont beaux. Que tu les rends beaux. 

Il va falloir que tu crées beaucoup de spectacles dans les années à venir. Nous avons besoin de toi ! 


Mille mercis, 


Guillaume Lasserre


Un certain regard sur la culture 


https://blogs.mediapart.fr/guillaume-lasserre/blog




Oui, Il y a tout. La lucidité désespérée et puis… la vie toujours ! Clément Rosset en parle bien à propos de son rapport à Cioran (ils pensent tous les deux la même chose, mais l’un en pleure quand l’autre en rit). On comprend un peu pourquoi : la vie a tout à voir avec l’être humain, mais sans doute très peu avec sa pensée. C’est plutôt le domaine de la névrose, la pensée… ou de la tristesse. (Enfin, je dis n’importe quoi, excuse-moi.)

Merci pour le lien avec Lois Weinberger que je ne connaissais pas, mais dont la référence ne me paraît pas étrange, au contraire, en plein dans le sujet. J’avais voulu travailler sur l’idée de jardin pour un spectacle au mois de juin à partir du moment où j’avais vu qu’il y avait, au théâtre du Rond-Point, des fenêtres à la salle qu’on m’offrait qui pouvaient faire entrer la lumière du soir. C'était Je m’occupe de vous personnellement, inspiré des idées de Gilles Clément (j’avais remarqué qu’en remplaçant le mot « jardin » par le mot « théâtre », dans ses citations, ça disait une part de mon rêve). Je me souviens que Patrice Chéreau l'avait vu, ce spectacle. Aussi Jean-Marie Patte qui m'avait écrit. Un jardinier à qui je m’étais adressé, Vincent Lahache (nom inoubliable pour un jardinier délicat), m’avait proposé, dans cette lumière de juin, un jardin de « mauvaises herbes ». Armelle Héliot (du « Figaro ») avait fait une critique malheureusement négative de ce spectacle qu’elle avait vu quand il était sans doute encore trop frais — heureusement on jouait trois semaines et ça avait fini — d’ailleurs du jour au lendemain — par devenir un succès —, mais j’avais pris le temps de la remercier pour une phrase qui, sans peut-être qu’elle en ait eu conscience, définissait exactement ce sur quoi nous avions travaillé (de mémoire) : « Les interprètes sont excellents ; le problème, c’est qu’Yves-Noël Genod les considère un peu comme des plantes humaines ». (Une justesse que d’autres critiques plus positives, comme il arrive, n’avaient pas touchée.)

Merci pour : « Il va falloir que tu crées beaucoup de spectacles dans les années à venir. Nous avons besoin de toi ! » Mais que pouvons-nous faire ? Il est possible que le temps présent soit plus ouvert aux gens de mon espèce (les transartistes, les bricolos…) qu’aux spécialistes qu’il semblerait qu’on écoute de moins en moins (qui sait ?), mais tu sais sans doute que je suis incapable de faire la moindre démarche dans un monde par ailleurs surpeuplé… Et ce travail du Carreau, finalement peu de gens l’ont vu… (Dimanche j’ai pensé à la théorie de Régy qui disait que l’importance et la renommée d’un spectacle ne dépend pas du nombres de gens qui le voient… théorie d’ailleurs corroborée par ton très bel article aussi enthousiaste que si je passais au Théâtre de la Ville…) Si tu as des idées pour que je rebondisse, pour que nous rebondissions, pour l’avenir, quoi, n’hésite pas, je n’en ai aucune. Le défaut de cette méthode, la mienne, que tu exposes très bien et qui peut faire des merveilles, c’est d'attendre que ça me tombe du ciel !


Amitiés, 


Yves-Noël

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