J ury baisé d’un bout à l’autre (envoi)
Donc rappelez-vous la phrase de Moreau (Jeanne, pas Gustave) : « Il n’y a pas de mauvais acteurs, il n’y a que des acteurs qui ont peur ». Vous êtes des acteurs — pas des « lecteurs » au sens où vous pourriez vous cacher derrière votre texte (je ne suis pas là, seul compte le texte), mais qui alors ne vous le revaudra pas ! (je peux vous l’assurer). Non, c’est simple : vous devez être là, ici-même, faire de chaque moment, votre moment, un matin. Les éboueurs passent dans la rue. Vous devez jouer. Hors, c’est là la bonne nouvelle (ce ne sont que des rappels), jouer, ça veut dire vivre. Selon la formule de Depardieu (Gérard) : « Moi, je ne joue pas, je vis ». Ou selon la formule de Claude Régy (le professeur au Conservatoire s’adressant à l’étudiante Valérie Dréville) : « Tu sais, tu n’es pas obligée de jouer, tu peux simplement rêver les choses ». Vivre / rêver. Vous n’avez que ça à faire sur cette Terre ou devant un jury. Le sublime livre de Céline Minard que j’avais dans ma poche l’autre jour se termine sur cette phrase : « Je suis la rêverie ». Ou encore la célèbre phrase d’Hölderlin : « Plein de mérites, mais en poète, l’homme habite sur cette Terre ». C’est votre présence qui est le poème. Le texte (texte poétique, toujours aussi), c’est en plus. Cerise sur le gâteau. Remplissez l’espace de la présence intense (sans tension) de votre présence. Votre présence n’est pas brimée, pas une image, elle est réelle, elle occupe l’espace réel en entier qu'elle transforme (comptez bien vingt-cinq mètres autour de vous dans les quatre directions et en bas, en haut, il faut que vous vous sentiez à l’aise). C’est ainsi que, dans votre espace, nous y serons, invités. Et la magie est faite. A l’intérieur : ce qu’il se passe, c’est-à-dire la liberté, l’improvisation. Et puis alors, vous me direz, le rapport au texte ? Il existe, il existe, oui, oui. Vous n’êtes pas sans rapport avec ce que vous allez lire, oui, oui, vous entretenez un rapport. Oui, oui, je dirais, mais c’est un rapport SUBTIL oh, combien ! Surtout vous le laissez tranquille, le texte. Pas faire le malin. Pas tricher. Sur le fil. Aux aguets. Articulation, pas dénigrer non plus. Pas le juger. Respecter. Même si c’est vous qui pensez l’avoir écrit, votre texte, regardez-le comme il est : d’une autre espèce vivante. Souvenez-vous de la phrase de Virginia Woolf (extraite de sa conférence parfaite, Words, English words…) : « All we can say about them [les mots], as we peer at them over the edge of that deep, dark and only fitfully illuminated cavern in which they live — the mind — all we can say about them is that they seem to like people to think and to feel before they use them, but to think and to feel not about them, but about something different. » (« Tout ce que nous pouvons dire à leur sujet [au sujet des mots], en les observant par-dessus le bord de cette caverne profonde, sombre et seulement éclairée par intermittence dans laquelle ils vivent — l'esprit —, tout ce que nous pouvons dire à leur sujet, c'est qu'ils semblent aimer que les gens pensent et ressentent avant de les utiliser, mais que les gens ne pensent et ne ressentent pas à leur sujet, mais à propos de quelque chose de différent. ») On ne peut pas le dire aussi nettement, aussi simplement (en tout cas en anglais). Si, peut-être Pierre Dac, plus lapidaire : « Rien ne sert de penser, il faut réfléchir avant ». Bref, occupez-vous l’esprit à faire des choses qui ne soient pas directement en rapport avec vos mots (vos maux), ça fera du bien à tout le monde, ça vous calmera, ça les calmera, ça nous intéressera et ça — peut-être — sans doute — laissera ce qui est déjà là résonner, c’est-à-dire les mystères immémoriaux s’entretenir, s’entretenir dans l’instant présent, sensuellement...
Je serai content de vous revoir, en tout cas, moi, et je crois que j’aurai plus peur d’être dans le jury que vous devant : tant mieux ! comme j’ai toujours beaucoup plus peur en tant que metteur en scène qu’en tant que comédien puisqu’en tant que comédien, si ça ne va pas, je me dis que je trouverai toujours une solution : il suffit d’être (c’est quand même pas sorcier). Metteur en scène assis dans les gradins, ou derrière une table de jury, on ne peut que peu agir... Car être, c’est agir (faire est une illusion). Voilà, le grand sage a parlé ! Ce sont mes derniers mots ? Oui, ce sont mes derniers mots (et encore ils n'étaient qu'une répétition...) A VOUS !
Yves-Noël
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