S yndrome de la référence changeante
« Si vous ne pensez à la nature que comme à une sorte d’incroyable flou vert, vous ne lui rendez pas service car vous effacez toutes les particularités. Vous ne saurez pas distinguer quelle prairie est la plus riche, la plus diverse. Et le fait de ne pas connaître les noms des plantes et des animaux masque les disparitions. Si nous ne prêtons pas attention, si nous ne savons pas ce qui est là, si nous n’avons pas de connaissances écologiques, les extinctions se déroulent de façon silencieuse et invisible.
De fait, l’érosion de la biodiversité est invisible à la plupart d’entre nous…
Le syndrome de la référence changeante (chaque nouvelle génération accepte la situation dans laquelle elle a été élevée comme étant normale) est un classique absolu. J’ai été très frustrée par les adultes qui disaient : « Ici il y avait des champs », en montrant des immeubles. Maintenant que je suis plus âgée, je suis un témoin de ce qui a été perdu, et certaines pertes sont très personnelles. La prairie dans laquelle je courais enfant était pleine de papillons, de vie végétale, elle m’a appris à être naturaliste. Des années plus tard, j’y suis retournée et elle ressemblait à un terrain de football. Elle avait été fauchée et fauchée et fauchée, il n’y avait plus rien. J’ai pleuré, c’était comme si j’avais perdu un parent. C’est là que j’ai compris que la personne qui avait fait cela n’avait aucune idée de ce qu’elle détruisait. Elle essayait juste de faire en sorte que le monde ressemble à ce à quoi elle pensait qu’il devait ressembler. Et nous faisons peut-être tous la même chose en permanence, sans nous en rendre compte.
Un autre moment de prise de conscience a eu lieu lors d’une promenade avec ma nièce, alors qu’elle était toute petite. La réserve de Wicken Fen est une zone humide pleine de vie. Il y a des coucous, des chenilles et des bécassines, le chant des oiseaux est très fort. Ma nièce m’a demandé, pourquoi ont-ils apporté des animaux, est-ce qu’ils viennent d’un zoo ? J’ai compris que, pour elle, la campagne est vide, ce sont juste des hectares et des hectares de monoculture pulvérisée. Ça a été très difficile pour moi d’essayer d’expliquer que la campagne ressemblait à cela autrefois sans avoir l’air d’une vieille grand-mère des Simpson !
Pourquoi est-ce si grave que des espèces disparaissent ?
Imaginez que vous êtes dans un avion, qui est maintenu ensemble par des rivets, et vous volez à 10 000 mètres d’altitude. Un à un, les rivets se décrochent. A la fin, l’avion va s’écraser… Cet avion, c’est la biosphère. Il y a donc un argument fonctionnel à vouloir protéger la biodiversité. Mais au-delà de ça, avec chaque espèce qui disparaît, c’est aussi tout un monde qui s’éteint. Une fourmi voit le monde différemment d’un humain, d’un bouquetin ou d’un escargot ; chacun interagit différemment, vit différemment. C’est comme une sorte de multivers, n’est-ce pas ? Avec l’érosion de la biodiversité, nous perdons des milliers et des milliers de mondes ; nous perdons de la complexité et de l’étrangeté et tout devient plus plat et plus gris. »
« Y a-t-il des choses qui vous donnent de l’espoir ?
Les initiatives locales en faveur de la biodiversité me rendent très heureuse. Il y a par exemple un petit mouvement au Royaume-Uni appelé No Mow May, réunissant des gens qui décident de ne pas tondre leur pelouse avant la fin du mois de mai. Et ils se réjouissent de la profusion de fleurs et d’insectes. Ce n’est peut-être pas très important à l’échelle mondiale, mais à l’échelle d’une âme, c’est beaucoup. Ces moments individuels d’étonnement et de plaisir à pouvoir faire quelque chose me rassurent. Mais, de manière générale, il est quand même difficile de garder espoir. »
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