Vous êtes un groupe de jeunes gens enthousiasmants, d’une profonde gentillesse, un groupe qui appelle la tendresse. On a eu peu de temps pour se connaître, mais la virtuosité de vos improvisations — vraiment : il y a eu des moments de vivacité où des choses se sont dites sans (trop de) surveillance, avec un lâcher-prise, sans trop y regarder — et la dernière tentative (à tous) de rester vivant avec vos textes ont révélés au moins vos potentiels. Relisez et relisez ce que dit Virginia Woolf de l’autonomie, de l’indépendance des mots — vivants, mais d’une autre vie que la nôtre, « proche alien (alien kin) » comme dit Baptiste Morizot des loups — et de cette dissociation entre l'œuvre et la vie qui, elle, est « n’importe quoi » (Duras : « C’est quand même bien foutu, mes textes… — Ah ben, oui, c’est vraiment bien foutu, ce que vous écrivez, c'est peu de le dire... — Alors pourquoi ma vie, c’est n’importe quoi ? » ) : « Finally, and most emphatically, words, like ourselves, in order to live at their ease, need privacy. Undoubtedly they like us to think, and they like us to feel, before we use them; but they also like us to pause; to become unconscious. Our unconsciousness is their privacy; our darkness is their light… » « Enfin, et surtout, les mots, comme nous-mêmes, ont besoin d'intimité pour vivre à leur aise. Sans aucun doute, ils aiment que nous pensions, et ils aiment que nous ressentions, avant que nous les utilisions ; mais ils aiment aussi que nous fassions une pause, que nous devenions inconscients. Notre inconscience est leur intimité, notre obscurité est leur lumière... ») Continuez à ne pas avoir peur du mélange du « sacré » et le « profane », c'est exactement de ce mélange, de cette communauté, dont il ne faut pas avoir peur (Virginia Woolf, toujours).
Pensez au bluff, pensez à Jeanne Moreau qui a saisit sa chance en une soirée (je vous l'ai raconté), pensez à vous « en foutre » (comme disait Duras dans un making-off : « Le secret des grands acteurs, je vais vous dire, c’est qu’ils s’en foutent. Ils s’en foutent ! Et moi, vous croyez que je ne m’en fous pas ? Mais je m’en fous ! Je m’en fous ! »)
Toutes les astuces, toutes les ruses avec vos inconscients sont bonnes si elles sont efficaces pour vous éloigner de la peur. La peur est votre seule ennemie, il faut ruser pour s’en échapper. La confiance seule peut vous guider — la confiance en tout, en rien, en vous-mêmes ou pas, dans le réel, dans la vie... — ou bien, votre peur, qu'elle vous serve de moteur. Beaucoup d’artistes fonctionnent quand même avec la peur, mais pour la dépasser. La peur, c'est la destruction ; mais dépasser votre peur, c’est votre vie, votre liberté (vie = liberté). Si vous ne dépassez pas la peur, vous êtes morts avant l’heure et le public passe son chemin. Le kairos, chez les Grecs : le dieu de la bonne occasion, du moment juste, représenté par un adolescent aux cheveux longs qui passe en courant ; il faut le saisir aux cheveux, sinon le bon moment est passé (il y en aura peut-être un autre, plus tard, mais celui-ci a disparu à jamais). Jeanne Moreau : « Il n’y a pas de mauvais comédiens, il n’y a que des comédiens qui ont peur… » Klaus Michael Grüber (le plus grand metteur en scène que j’ai connu) : « Les acteurs sont capables de choses merveilleuses, seulement ils on tellement peur, tout le travail consiste à calmer leur peur ».)
Tenez, puisque ça approche sous la neige… Vladimir Jankélévitch avait l’habitude de dire à ses étudiants : « Ne manquez pas votre unique matinée de printemps ».
Permettez-moi de le chuchoter aussi...
Amitiés,
Yves-Noël
J’ai eu envie de vous écrire (de cette façon) en lisant hier soir l’entretien de Bret Easton Ellis dans « Le Monde » (avec la joie prochaine de lire son livre qu'il m'annonçait)...
« Tout est dans le style. Il n’y a pas de livre sans style. C’est ce qui permet à la conscience d’exister. Vous pouvez me proposer la meilleure histoire du monde, si vous n’avez pas le style pour la porter, cela ne m’intéresse pas. Je pense que je fais partie d’une minorité et que beaucoup de gens lisent des livres dépourvus de style – qui se vendent par millions d’exemplaires. Quand j’étais enfant, je lisais tout ce qui me passait sous les yeux : des romans d’horreur, de la science-fiction, des bandes dessinées. J’ai adoré chaque livre que j’ai lu. Mais, une nuit, j’ai lu Hemingway. J’ai compris, en lisant Le soleil se lève aussi [1926], que le style, en fait, c’était tout le sens d’un livre. C’est ce qui illumine le monde. Cette nuit-là a tout changé pour moi. C’est à ce moment que j’ai compris que le style était le vecteur du sens, des émotions, d’une intention. J’ai toujours écrit comme cela. »
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