L es Singes anthropoïdes
Il fallait raconter ma vie qui n’était rien. J’avais passé un coup de fil, on m’avait rappelée et j’avais dit que je me trouvais bête. J’avais été au zoo du Jardin des Plantes, j’avais admiré les orangs-outangs et puis plein d’autres, j’avais regardé leurs yeux, les animaux se tenaient immobiles dans les vitrines et, moi, je passais de l’une à l’autre. La qualité de l’air était médiocre, mais c’était le printemps quand même, un printemps sale et comme moyenâgeux. Beaucoup de vieux dans les rues, sur les boulevards, les promenades, les esplanades… et beaucoup de gens en bonne santé aussi, occupés, aussi occupés par leur bonne santé que les vieux par leur mauvaise
C’était à Paris, on aurait pu mettre la date, quelques jours après la date officielle de l'ouverture du printemps qui, cette année — j’avais lu un article là-dessus —, était tombée le 20 mars
Je ne savais plus à qui je parlais, je ne savais plus si je m’adressais, si je m’étais jamais adressé et à qui alors dans le cas positif
J’étais invisible ; ça n’avait pas toujours été, mais ç’avait été un tel travail d’être invisible que, voyez-vous, comment se plaindre ?
Pourtant je me plaignais. Je me plaignais et je me plaignais, mais ma plainte était inaudible
La Pitié-Salpêtrière était un territoire considérable. Toute une vie là-dedans. Parfois, des étages, on voyait le restant de la ville infinie dans sa lumière éteinte, polluée, désertée, mais la ville quand même qui faisait comme si c’était…
On refaisait la gare, la station du métro qui la traversait était fermée. A côté de la gare on avait creusé un trou immense. C’était pour mettre les eaux de la Seine quand il y avait des crues — ou peut-être en attente d’être dépolluée, des eaux à traiter, quand il y en avait trop
(j’avais vaguement entendu)
J’avais traversé la Seine. C’était très beau, Paris, la Seine tumultueuse, boueuse, pleine d’enthousiasme — et Paris fidèle, pastel, éternel, éternellement jeune homme (ou jeune fille), mais Paris toujours
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