"Jamais on n'a vécu une expérience théatrale du noir aussi profonde."

THEÂTRE
Le spectateur dans le noir
Article paru dans l'édition du "Monde" du 26.02.06




TROIS QUARTS D'HEURE dans le noir ! Les conditions du spectacle Le Dispariteur, du metteur en scène et chorégraphe Yves-Noël Genod, tombent sur le spectateur comme un couvercle. La voix goguenarde d'Yves-Noël Genod, tendance hôtesse de l'air savourant d'avance le crash, réussit cependant à faire sourire.
C'est parti. Noir, c'est noir. Yeux ouverts ou fermés, aucune issue à cette marée obscure où notre corps semble se diluer dans l'espace. Nous absorbons les bruits multiples (barre de fer qui explose, jappements, gémissements...), mystérieux et imprévisibles, qui font irruption puis se volatilisent pour rejaillir ailleurs.

L'impression d'un espace élastique, se dilatant et se resserrant au gré des sons, fait palpiter tous les sens. Peurs et fantasmes sont chauffés à blanc. Sur cet immense lac noir, une voix suraiguë, bouleversante (celle de Jonathan Capdevielle, déjà repéré chez la chorégraphe Giselle Vienne) se délecte a cappella de chansons de variétés signées Daniel Balavoine ou Céline Dion. Cette mélodie, mât auquel on s'accroche, permet de se laisser submerger par cette nuit matricielle de plus en plus accueillante. Jamais on n'a vécu une expérience théâtrale du noir aussi profonde. Sentiment de perte et de plénitude. On flotte, malléable, sans sexe, sans genre, sans repère.

Quand une bougie pointe sa mèche dans Le Dispariteur, le mirage ne s'estompe pas. Complainte sur la difficulté d'être soi, l'innocence et l'enfance, cette pièce jette dans le même bain d' « énergie noire », selon l'expression d'Yves-Noël Genod, neuf participants dont un enfant. Un chien aussi s'y ébat avec joie.

Interprète du metteur en scène Claude Régy, complice du chorégraphe Loïc Touzé, ce performeur élégamment déchiré s'affiche à Paris une semaine après son passage au Théâtre de Vanves avec une autre pièce, Dictionnaire des Açores.

Rosita Boisseau