Saturday, December 15, 2007

Chronique de Bordeaux (février)

(chronique de Bordeaux) (« Spirit », récit de février)

Février










Je reviens de Bordeaux et – dois-je le dire ? – je n’ai pas encore écrit sur Bordeaux, je n’ai pas encore écrit sur Rimbaud. Au lieu de cela, en sortant du train et après avoir bu du café avec Sophie Perrez et Xavier Boussiron, je suis allé m’enfermer dans le monde de vapeur et de volumes moelleux, homoérotique du hammam (rempli de mannequins, le dimanche) de la Mosquée de Paris – chose que je ne fais que quand je suis très déprimé. C’était le printemps à Paris, un 4 février, et la lune, à la sortie, sur l’eau de la Seine, à travers les platanes encore vides, sans branches, absents et présents comme des totems, remplissait mon cœur d’un mélange d’autrefois – quand j’avais la jeunesse de n’avoir pas encore choisi. Autrefois. L’ombre, l’ambassadeur, la tige de ma mère en pays inconnu, en époque nue, quand j’étais si fabuleusement seul et jeune, sans obligation que la lune et la mer et la ville, modernité dont mes yeux contemplaient, dans l’avancée lyrique de la mer, l’évanescence sortie de l’ombre.

Reprenons quelques notes... Ah, si, ensuite j’ai regardé la télé (sur YouTube), des bouts de choses. Les nouvelles qui vont si vites. Des invisibles espaces déliés par la vapeur, les néons embrasent le cœur. Même le sombre et le noir des tunnels est amour. Moi, mon monde n’est pas mondain, il est amour un soir de lune. Altough my accent is quiet silly. I’m very dyslexic and I can’t read music. I got fluent while I was there.

Un soir de printemps en février. À Bordeaux, il faisait froid, à Paris, c’était le printemps et, dans le TGV, à l’inverse, plus on remontait vers le Nord, plus l’herbe était criarde, vivace. Personne n’est simplement quelque chose. La sauvegarde de son étrange mère. À Bordeaux, avant d’aller voir la pièce de Sophie et Xavier au TNBA, pendant l’intermède de tranquillité que Bim m’avait laissé, mon frère m’a téléphoné. Il a entendu le bruit du tramway. Nous avons parlé de Bordeaux, des embellissements sublimes. Il m’appelait de Marseille. Mon frère est urbaniste à La Ciotat. So, my music is pop music – yet. C’est compliqué de parler de tout ça, de mon frère, de mes parents, de ma cousine Hélène. Tout ça se passe seul sur la rive de la Garonne, by night, avant 8 heures.

Beaucoup d’hommes politiques peuvent être qualifiés, sans connotation péjorative, de fils à maman : dans le couple parental, la personnalité forte, c’est la mère. L’océan Atlantique du côté d’Hossegor. Le dangereux océan. L’anglais est rocailleux, mâtiné d’un fort accent d’Europe centrale. Des pales dans le brouillard. Y a un paysage. Et une fumée bleue. Un paysage de peupliers avec quelques miroirs que le TGV à allure lente (l’allure qui permet de parler de fumées) (il y en a d’autres) traverse de chaque côté. Derrière moi, un homme a la voix qui porte. C’est rare. J’ai cru qu’il téléphonait, mais, non, il parle à quelqu’un à la voix si effacée, si éteinte qu’on n’en distingue pas le sexe. Voix qui porte, discours inintéressant. Des trucs de procès, d’organisation immobilière. Par la fenêtre, des oies. La fumée bleue, répandue au-dessus des champs, le cœur. J’hésite à dire : « emblavures », « labours » ; c’est pourtant ça. Je dis : « miroir ». Miroir du serpent, maintenant. Et le train s’est mis à filer au moment où le soleil a point pour la première fois depuis une semaine…

I’m still quiet young. Les peupliers ont des enfants, des adolescents. Labours rouges. Aimé Césaire. Cette femme perçante – aux yeux perçants, de ciel et de neige – m’a décelé. Mais, moi aussi, je l’avais devinée tout à l’heure : élégance fatiguée, intelligence confondue avec la pierre, le sel, le gel, pas la fleur qu’elle a sans doute un jour été. Ballots de paille en désordre posés négligemment dans un coin de l’univers à pourrir (comme le bois en rondins dans la forêt). Le charme des maisons de paille. Éblouissement : le Sud. Enflammé, opale. Après les années 70, j’ai arrêté de regarder la télévision, je trouvais la vie plus intéressante. Et puis le Sud s’élargit comme une main avec un lapin qui court – je dirais même, pour être plus précis, un lièvre, un gros lièvre dans le gros paysage élargi. Longevity. Public très, très captif des émissions de télévision. Un pli de robe du paysage haute couture. Toujours ces entassements gris de la paille. Le soleil surbrille comme sur l’océan, traverse les miroirs et les exalte (vitres du TGV), les visages dédoublés endormis dans les glaces et puis la végétation comme marine : arbres comme des algues, du lichen, du corail. Un tricot de corps, j’aurais dû prendre un tricot de corps… J’en achèterai un à Bordeaux. Il y a maintenant de l’arc-en-ciel, de l’indigo dans le paysage – technically speaking – à l’endroit qui touche la terre, l’horizon, mais « l’horizon » n’est pas le mot, c’est une projection. Simplement, il y a de l’indigo. On a changé les couleurs ; une teinte a vrillé, s’est acidulée. Et, à l’horizon, le vrai, à l’Est : la neige phosphorescente. Reconnaissance des formes. L’atlas de nos rêves est une peau de chagrin. Tissage de tapisserie. Sensualité élimée du paysage un peu vu d’en haut. Le paysage craintif et sage comme un chat (ondulations d’un chat). Les ombres sur le paysage (poteaux, masses diverses) se lisent comme des oiseaux. Elles sont au-dessus.

Les chevaux comme des figurines parfaites, des dieux et, là, dans d’étranges marais (des champs mélangés à l’eau), des cygnes enchâssés par le cou. Longueur du paysage, les bornes des clochers. Tout d’un coup, on était dans le paysage et, tout d’un coup, avec la Garonne on est dans la mer avec la mer : large et infini pays imaginaire. Rimbaud. Et le train ralentissait au fur et à mesure que l’on avançait en profondeur.

Des pierres grises, pierres d’eau, pierres de cathédrales, un crépuscule d’hiver le plus doux, crépuscule d’étain et les X du pont, gris aussi, découpent le vide et l’ouvert, parfaitement acérés. Retour à Bordeaux comme dans ma ville. Ville du soir.



C’est drôle de revenir à Bordeaux et de se mettre tout de suite à parler français avec Alexia comme si de rien n’était parce que c’est vraiment un autre pays. La représentation sociale. Patrice Leblanc. Atelier. Couronne d’Angleterre. Salon Pernod au dessus de la vinothèque (à un numéro près). Salon de mariage de la mairie. Banque sociale. La carte du ciel, c’est une carte finalement qui n’a pas de fond (miroirs, judas, constellations). Les provinciaux, vous êtes encore plus provinciaux que vous ne le pensez ! Bordeaux, mon château intérieur. Avec les animaux du zoo, il aime tout. La masse de la population est laissée en dépression. L’un a la possibilité de rentrer dans la cage, les cages des animaux merveilleux. I could be brown, I could be blue, I could be violet sky, I could be hurtful, I could be purple, I could be anything you like. La Garonne, playing with fire. J’ai eu mon premier orgasme à 40 ans, c’était il y a une semaine. Il se crée une culture locale. Le spectacle des lesbiennes oranges renforcées par Mikaël Phelippeau. Rock and roll Barbie. Lucie. Salon de beauté pour aisselles avec Florence, la femme de José. Association des hommes qui aiment les poils. Si j’ose dire (si José dire…), Éric Chevance, toujours d’une vraie délicatesse, délie la glace et les langues. Le mimosa du TNT, bientôt. (Déjà la joie.) On s’enfonce dans la ville par la rue de Bègles. Le marché des Capucins encore loupé ce samedi matin. C’est donc une espèce de blog sur Bordeaux… (Beaucoup plus libre ?) Le pont de Pierre où il faut monter. Bejotte, marché des Grands Hommes. La plus grande et la plus chère droguerie de Bordeaux, mais on y trouve de tout. (Problème d’aisselles.) L’affaire Terrasson, un Maigret. Manteau de vison et diamants aux doigts. La richesse, qu’en faire ? La qualité des Ancelin a baissé. Elles sont devenues énormes. Du citron dans de l’eau. « Hölderlaillne. », m’appelle Bim. Elle voit du sexe partout sauf là où il y en a. Je raconte à Bim qui m’a rejoint au Petit Commerce la scène de cigarettes de la veille au TNT digne de la prohibition américaine, des années Al Capone. On a mis les gens dehors, on a attendu un peu et puis, le lieu décrété « redevenu privé », tout le monde – les filles surtout ! – s’est mis à fumer, rassemblé dans une complicité clandestine. Bim, à ce moment, est encore « de bonne humeur ». C’est à dire qu’elle n’est encore pas devenue la furie qu’elle va devenir. On l’a croirait presque heureuse de me voir. Elle parle de moi comme d’un oiseau. « L’oiseau s’était envolé à grandes enjambées. » Me laisse prendre mon carnet sans faire même mine de le remarquer. Presque de la délicatesse. Bientôt elle hurlera dès que je le sortirai : « Faut rien lui dire ! Il note tout ! » Bientôt, elle menacera de me l’arracher, le brûler, de le déchiqueter avec ses dents, le flanquer dans son vagin, de le maculer de merde, me le faire bouffer – et, surtout, prévenir la ville entière : « Faut rien lui dire, il note tout ! » Et, bientôt, je vais me demander quel est mon rôle dans cette histoire. Et, bientôt, une pensée va apparaître et croître, d’abord informe et soudain rapide comme un cancer : tuer Bim. Mais nous en reparlerons. Pour le moment, elle me laisse noter quelques « mots d’auteure », formulations heureuses de sa bonne humeur. Elle parle de « crises de désintoxication ». Elle dit : « C’était un grand moment, plus drôle que dans les films drôles. » (mais, comme je ne l’ai pas noté car j’ose quand même pas tout, je ne me souviens plus à propos de quoi). Elle me dit amoureusement : « T’es vraiment dans les clichés ! » (la dernière chose aimable qu’elle m’aura dite). Puis on rencontrera encore la belle Nadjette, très ressemblante à un avatar de Second Life. Se cogner dans les rues de Bordeaux accompagné de Bim pour défricher. Ah, si, elle dira encore si quelqu’un l’appelle au téléphone : « Je promène le chien. » Les mignonnettes (la pisse). Toute la vie réinventée par les tout petits. Les stars ont une vision du monde nombriliste. Tout devient bizarre, ça y est, vers l’étang, entre chien et loup, un oiseau comme une sonnerie de téléphone. C’est Alexia ? Rue Cancera. Freedom. Le luxe d’être libre. À la fois belle et manipulable. Structure osseuse et chair souple pour l’animer. Le Bordeaux by night, la féerie. Au Grand Bar Castan, la grotte enchantée. La grande façade. Le pont de Pierre semble à la limite, à la limite d’être aimé par l’eau. « Spirit » peut piller pour son édition papier, peut-être rien. Mort et beauté. Oubliez la mort et la vie n’est plus inouïe. Les lignes de lumière reflétées par la Garonne d’un coloriage parfait, délicat, rideau de perles, un coloriage parfait et virtuel. Le pont de Pierre est d’or. D’or électrique, baveux et fort. L’or du pont de Pierre. By night ! Plus loin, de l’or et du cuivre, du cuir fauve et l’eau – on la voit quand elle passe sous les arches – rapide comme du sang, du plomb, du mercure, rapide comme « Spirit », luisante et noire, vivante. Un vernis d’un luxe inconnu, cosmique. Vénus ou Saturne. Les candélabres. L’or pour tous. On aurait dit Mae West en tournée à la Havane. Ne dit-on pas qu’il avait fait émasculer l’esclave Sporus pour en faire Madame Néron ? Les lumières se baissent, les lumières se baignent sur la tête de crapaud qui chante le flamenco dans le jardin d’été aux formes un peu pornos (racines, branchages). La « sussession » impériale. Very spécialos numéros. One-again-la-petite-sœur. Comment il l’a zigouillée ? Empoisonnée. Je relis ces notes à haute voix d’un ton scolaire et Xavier fait les gros yeux : « Si tu veux, je peux te donner la photocopie, aussi. Ce sera plus simple. » Pourquoi pas ? Mais on fait avec les moyens du bord : le carnet et l’écriture dans le noir, « l’église », comme dit Sophie du théâtre. Surtout on ne sait pas ce qu’on écrit, ce qu’on choisi. Acte manqué, discours réussi. Et alors, il a imaginé une machine infernale, un plafond truqué. Mystère. Langue mysterious. Il a dû être surpris. Non, ému, les larmes d’une mère. Dire : « une bonne balade » en pensant : « une bonne bite ». Dire des mots commençant par : « ch » en pensant : « chatte ». Tu vois quoi ? Le désespoir caché dans la forêt. F comme feeling. Sous prétexte de nouveauté. Les pauvretés que l’on vous propose sous prétexte de l’art. Les idées pourrissent comme les fleurs et les gens et puis je vais aller ramasser ma copine. Les verres lumineux, musique invertébrée. La nuit du plateau. Le plateau : blanc. La neige. Le ski. Fred Astaire en chocolat blanc, taille bibelot de plateau. La rareté, le jeunot, l’abîme. La voyante était celle du frère de Madame Bim. On la voyait passer avec son chien, rue Portal. Très belle femme (âgée, bon) avec cheveux blancs, un chignon. La voyante disait qu’elle allait « terrasser » quand elle allait la voir. La femme avec le crucifix (Claire). « C’est le début de la craquette, si tu te penches. » Nicole Dumont, la voyante. « Une pisseuse, une fendue, fais nous une fendue. » Les entre guillemets sont des phrases de Bim. Bim possède mon âme. C’est la voyante. Elle me terrasse. Alexia est enceinte. On parle d’un prénom. Toutes les petites filles de pêcheurs, d’ostréiculteurs s’appellent Dune, Marine, Océane, Alizé. On est dans des histoires plus citronnées (au bar du théâtre). Les amis drogués ou allumés ou drogués de Madame Bim. La situation s’est vite transformée de « Je vous présente Yves-Noël Genod, chroniqueur mondain. » à « Bon, lui parle pas, il écrit tout. » Le Théâtre de la Chaussure. Invité par le Théâtre de la Chaussure. De la pâte Slim. Bouquin de Jonquet sur Gilbert et George. C’est des plumes de quoi ? Des plumes d’oreiller. L’essence C. Néron, en mourant : « Un artiste me quitte. » « Ils ont découvert qu’il passait son temps à se masser la braguette. » « Ambiance culotte biscotte. » « Raimund Hoghe, le petit nazi de la gentillesse. » (Série de saillies de Xavier Boussiron.) La ville, la nuit est tellement belle, la ville, la nuit est surréelle. Aujourd’hui, dimanche 4 mars, j’ai pris la décision de : PLUS JAMAIS BIM. Laissez-les vivre ! Motif : incompatibilité d’humeur. Bim a le mental d’une matrone 1900 au rouleau à pâtisserie. Rien de moderne. Aux bâtons dans les roues. La femme phallique et castratrice. Je marche forcée dans le Massachusetts. Je veux la dissoudre, la vie mondaine, au niveau de la molécule, de l’OGM. Molécules des yeux de femme dans le métro. Nathan, 18 ans, vise un BTS ou un IUT. Foule émue sur la tombe de l’abbé Pierre. Les programmateurs ont-ils été à l’école ? Des petites pépées traînantes à mes côtés. Une fillette blanche à faux accent disait à un esclave noir en salopette bleue : « Excuse-moi, mon cousin, t’aurais pas une clope à dépanner ? » Père opticien, mère aux p’tits soins. S’introduire dans les cercles du pouvoir local. Jeannine Terrasson, cette ex-chroniqueuse mondaine de 84 ans, vivant seule, en froid avec ses deux neveux et à la tête d’un patrimoine de plusieurs millions d’euros en appartements, meubles, tableaux, bijoux. Une banque de microcrédit local. François-Xavier Bordeaux, chevalier blanc à Bordeaux. Dans les écoutes, il est question, non de « terrasser », mais de « terrassonner » la vieille dame. Finalement, on ne voit pas le problème. Que Monsieur Bordeaux soit l’amant de Madame Dumont et que Madame Dumont soit la voyante du frère de Madame Bim, par ailleurs gros fleuriste boulevard Chaisplusquoi, le préjudice, il est où ? Voilà tout ce qu’on essaye de me cacher – des broutilles, du vent – à Bordeaux. À Bordeaux (comme partout ?), il n’y a à cacher que des bêtises, les inepties de Madame Bim. Elle aurait pissé dans les mignonnettes, adolescente, pour remplacer le whisky dans le minibar d’une chambre d’hôtel lors d’une tournée de championnat de golf (elle est championne locale). Voilà tout ! Les mignonnettes ! Et son frère chou-fleur ! Madame Bim est trop sale ! Le viol d’une femme par un ours, ça, ça serait de la chronique ! Le cerf des cerfs, l’esclave des esclaves. Mais Peter Pan est incroyable. L’argent monstrueux. From yesterday. Je sais écrire dans toutes les langues. Hang me up to dry. Les Cold War Kids. Les femmes montrent leur chatte. Merci Tania. En -ffrance, en souff… Masses et lignes liées en équilibre contre le ciel. Sur la plaie du fruit trop mûr, une abeille, la patience d’or à petites pattes. Par la fenêtre, je vois un ciel tout bleu, rassurant. Pour celui qui me désherbe par le désir. La fonction érectile de la vierge. You know que nos ancestors ont vendu Manhattan pour une bouchée de pain ? She wrung the cloth out in the sink. Des meubles projetés, des télés par les escaliers, les terrasses. Soleil filmé. Les yeux humains sont remplis de peine. Je déambule morose, le crépuscule est grandiose. Ce luxe qui s’effondre. Les caves de Londres. Ce rock sophistiqué. Toi, sous la pluie rose. Quelques feuilles, jeune homme, dans le ruisseau du caniveau. Ce paysage interne. J’ai fixé la date comme un grand tout seul. De la minutieuse poésie.










Yves-Noël Genod, Paris, dimanche 4 février 2007.

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