Thursday, December 27, 2007

Écrire à deux (être idiots à deux), chronique de mars

Chronique de mars 2006 pour le magazine "Spirit" à Bordeaux.






I






Une personne réelle, un amour à Bordeaux. Départ 9h50, brouillard, banlieue de Paris, immeubles sans cachet, Hélèna dit : « Regarde on est déjà à la mer ! » « Dans le Nord de la France. » « Le Havre. » Étonné du nom des accusées : Laurence Tramois, Chantal Chanel. Plaine immense qui touche à l’immense par le brouillard massif comme de l’or. La beauté. Christian Rizzo vient de faire un spectacle d’une exceptionnelle beauté qui sera présenté à Montpellier en juin. La beauté, c’est une question de montre et de touché, d’audace et d’espace. Non, c’est de l’ordre d’une croyance. Georges Bataille plaçait sa femme dans un buisson lors des cocktails Gallimard, ça l’excitait beaucoup, mais cette femme se plaignait à Josée Lapeyrère que j’ai rencontrée après la lecture de Frédéric Léal au Musée Zadkine à Paris. Ah… Paris ! Le plein été pendant deux jours. Aujourd’hui, un temps plus de saison (léger retour arrière). Joie de l’affolement climatique. Brouillard, emblavures, semis, douceur, tracteur et mouettes. 10h25, trace de soleil pour réchauffer. Et puis, ensuite, on décide du bleu. On repeint les maisons, on retouche, camaïeu. Rouille, bleu, ocre, « beige intemporel ». Hélèna, en face de moi. Elle veut écrire mes chroniques. Elle a une idée : comme Cherry Vanilla, la rubrique hebdomadaire de David Bowie pour le magazine « Mirabelle » ! Hélèna me fait passer ce message : « Bonjour, je suis la blonde assise en face de vous, celle qui serre votre genou entre les siens. Je m’appelle Hélèna et j’aimerais vous connaître. Nu, allongé, longtemps, etc. » Le paysage sera donc : blond. La matinée très vite échappée du brouillard (avec un regret). Maintenant poisseuse de bleu. Blonde, je vous dis, fausse blonde. « Le faux devient une méthode qui permet de multiplier les facettes du moi et d’élever la frivolité au rang d’une vérité transcendante. », est-il écrit en quatrième de couverture des Papiers de Ziggy Stardust. Matinée poussière d’étoile. Christian Rizzo a transfiguré le paysage (de la campagne présidentielle, par exemple). Il a mis des couleurs tout en utilisant le noir. Hélèna me filme. Je fais des grimaces. Elle dit : « Moi, j’imagine de belles phrases pour mon journal. » « Et toutes ces heures passées dans le train, à écrire, à rêver, le paysage qui défile. » Mouvement collectif : croyance en la beauté, mon leader : Christian Rizzo. Hélèna est ma poupée. Dégagement festif de la vie. Après l’histoire Bim bam boum de la dernière fois, cette chronique sera sous le signe de : « Pour vivre cachés, vivons heureux. » Ô les petits bouleaux ! Une armée comme dans Star Wars, L’attaque des clones ! Les bras des arbres qui ne sont que des bras se penchent vers le train qui s’arrête ou ralentit presque tant qu’il s’arrête. « Mesdames, Messieurs, notre TGV est arrêté. » Est-ce que les ajoncs sont plus du côté des résineux ou du côté des cactus ? Un château - et tout. Le sucre, le sucre glace, mais fertile, sur les emblavures, en mars. Hélèna me secoue le genou pour me montrer quoi ? une surnaturelle falaise – le train à marée basse – portant comme un socle une ligne de maisons style maison. Ma voisine n’a rien vu dans son téléphone : « On passe devant un cimetière. » « Parce que j’aime pas ça, les cimetières. » « T’aimes les cimetières ? ». Hélèna se demandant s’il y a des habitations troglodytes – et elle en trouve ! Angoulême ? Non, Poitiers. Ségolène. Buisson rouge ou vert (le même arbuste semble choisir sa couleur, très franchement vert, très franchement rouge) d’une haie dans la gare. Ma vie est une longue pièce de théâtre. Je m’écrie : « Y a un château, là, avec des gros greniers ! » Il paraît que Jeanne Michard, toujours selon cette empoisonneuse de Carole Bim – ou femme-poison – s’est reconnue dans la phrase : « Les amis drogués – ou allumés – ou drogués de Madame Bim. » Cherry Vanilla écrit : « Comme ces lettres que j’écrivais étaient destinées à d’innocents préadolescents anglais, j’ai fait en sorte de dissimuler entre les lignes toutes les allusions au sexe et aux drogues – sachant fort bien, évidemment, qu’il y en aurait au moins quelques-uns pour les y deviner. » Tant de récits, autant de fictions. Un château ! Encore un château ! C’est vrai, y a une foule de châteaux. « Ils les ont tous sortis, aujourd’hui. » Hélèna fait remarquer que personne n’entend ce que nous disons, que maintenant tout le monde a des écouteurs. Je me mets alors – expérimentalement – à hurler le F-word, sur tous les tons, à l’intérieur et à l’extérieur du TGV. F… ! F… ! F… !
Sur les châteaux, les rivières,
Le printemps, la misère,
Les arbres calcinés renaissant,
La chaleur, la poussière,
Les ruines et les fabriques de ciment,
La rouille et les étangs,
Les châteaux de la société industrielle,
Une flamme au sommet d’une tour métallique, « Une tour à combustion. »
Et ceux de la France éternelle.






« Dans la vie, il y a une phrase qui peut vous sauver, mais vous ne l’entendrez peut-être jamais et, par contre, il y a une infinité de phrases qui peuvent vous détruire – et, celles-là, vous les entendrez plusieurs fois par jour. » Philip K. Dick, de mémoire, par Hélèna. Hélèna ne veut pas que, si elle tombe, je dise : « Vous inquiétez pas, elle a l’habitude ! » « Ces X sont sûrement l’effet du Lysanxia, un puissant anti-dépresseur que prend d’ailleurs mon amie. » (H., soufflant l’idée.) Les X, quand on arrive sur le pont gris. H. se souvient du noir à Bordeaux. « En face de la gare, les maisons comme brûlées, mais c’était avant, je trouvais ça joli. » Vous connaissez la transparence de verre, de l’eau, de la carafe, sur une terrasse à Bordeaux ? J’offre à Carole B. une place il-li-mi-tée dans ma chronique. Il y a une telle différence entre Paris et la province ! Premier repas. À Paris, on est « les mêmes », à Bordeaux, ils sont aussi « les mêmes ». Mais comment est-ce possible ? Tout est affaire de fictions. Dans le TGV, l’amour entre la journaliste française et le chef de guerre moyenâgeux. Œdipe sur la route. Les événements comme des vieilles lunes. « Il faut parler des gens qui ont été spoliés. Quand y avait le tramway de Bordeaux, y avait beaucoup de Kurdes, Albanais qui travaillaient sous les yeux bienveillants des CRS, embauchés au noir par des sous-traitants. Et, quand le chantier a été fini, les neuf dixième ont été expulsés. Place de la Victoire, colonies de Kurdes. Y avait de tout, Congolais, Kinshasa. À Paris, y a beaucoup de Chinois, à Marseille, y a beaucoup de Russes et, à Bordeaux, c’était des Bulgares, des mêmes villages, des Roms souvent. Des bulgares qui ne sont pas de souche, si vous voulez, qui écrivent mal le bulgare, plutôt des Roms qui ont été assez maltraités en Bulgarie pour fuir. Et je crois qu’on leur fait miroiter des trucs. J’en vois qui tombent un peu des nues sur la situation précaire. Ils travaillent au noir, ils sont expulsés. Ils reviennent. Le tramway, c’est pas fini, mais quand c’était au centre-ville, ils essayaient d’aller vite, alors ils ont embauché. » Le bébé Simon. « Je connais des gens, mais je les vois dans le privé, je ne sors pas beaucoup. » Lisez Léal. « – Oh, je vais en manger, du Coca Zéro ! » Au TNT, le Ministre de la Santé tchétchène. « La présidente de Médecins du Monde avait trouvé ce plan. Y avait Cadiot. Lisait, ce soir-là. » Au moins, l’histoire avec Bim et les Michard prouve que je suis lu. Les arbres forment un décor surréel à la fête foraine – comment dit-on, ici ? « vogue » ? – le décor de La Belle au bois dormant. « Du coup, les bonnes femmes là-haut font un peu danseuses de podium. » « – Danseuses de ? », « Danseuses de podium, tu sais, comme dans les boîtes. » Fumées et florilège. Les couleurs de feu. Magic Dance, Billa Bong, Speedy Family, Ufo speed. Cris dans les grandes mains colorées. Hélèna, taquine : « Tu devrais aller là-dessus pour écrire. » Amazonia Thriller, Flipper. On gagne aux boites de conserve des pocket bikes. Hélèna : « C’est les années 50, ici ! » « Les seuls lots qu’il y a là, c’est les motos-bulots. » « C’est ça ou rien ; on dirait qu’ils cherchent à écouler leur stock ! » Ça lui fait peur, une histoire à la Philip K. Dick, le jouet qui sort des armes. Le Rafale. La Pieuvre. Jusqu’aux chevaux de mer, des nageoires au bout des pattes, une ou plusieurs queues de poissons. « C’est un peu compliqué, ce qui se passe derrière. » « Mais c’est beau, c’est des chevaux qui sont des vagues en même temps. » Souffrance, culpabilité de villes comme Bordeaux (aussi belles que Bordeaux) de ne pas être Paris, Rome. Toutes les villes sont copiées d’Italie. Atmosphère très enfumée au Petit Commerce. Hélèna : « Les gens au téléphone disent tous des choses importantes : « Viens me chercher. », « Je commence juste à relever la tête. » Tu vois, c’était une grosse bonne femme pas belle, mais, au moment où elle l’a dit, elle était un peu Gena Rowlands. » Remplacer Bim par de la vraie meuf. Les années 60, c’est les platanes. Moi, je mourrai, j’aurai au moins connu une chose : les platanes. Hélèna, père instit aussi, mais le mien : barbu, le sien : cheveux en brosse – il n’y a que deux types d’instits. On l’envoyait taper les brosses à tableaux sur les platanes. « On avait des ardoises aussi. On nous donnait un calcul mental à faire et il fallait très vite écrire le résultat sur l’ardoise et la lever. J’étais très bonne à ça ! » Maître, j’ai touché la lumière ! Livraison gratuite ! J’adore gagner du temps sans dépenser d’argent ! « Alors, ça y est, maintenant tu racontes tes souvenirs d’enfance ! Ça s’appellera : Tableau noir et poussière de craie et tu le liras comme Gérard Genette ! Tu rajouteras des précisions : « Il faut bien imaginer qu’à l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable. » « Tu sais ce qu’il faisait, mon père ? Il avait un long bâton, une longue baguette parce que dans sa classe, il y avait plein de trucs pour montrer, A, B… Papa fume la pipe, Rémi et Colette vont à l’école. Le livre, c’était Rémi et Colette. La pipe de papa. Mais le mien, il fumait pas. »

L’esplanade des Quinconces, le jardin des merveilles, le labyrinthe des illusions. Le tracé des bus comme des limaces. « Tu as été dans la classe de ton père ? Moi non plus. Mon frère, il y a été, il s’est pissé dessus dès le jour de la rentrée et, mon père, il voulait pas faire de favoritisme, alors il a dit : « Villebasse, qu’est-ce qu’il vous arrive ? » Et mon frère a dit : « Rien, Monsieur, j’ai transpiré. » Moi, tu veux savoir comment je me suis démerdée pour être dans la classe de mon père quand même ? Je suis tombée malade, alors j’habitais chez ma tante et mon père venait me faire la classe chez elle. » « Tu vois des platanes partout. » « – T’entends Indochine partout. » Le micropénis de Hugh Grant. L’un des conservateurs du musée Cernuschi à Paris (c’est un ami d’Hélèna) s’habille en femme pour faire des conférences. « Et ce qui est amusant aussi, c’est qu’il est pas très beau en homme et pas très beau en femme non plus, il ressemble à une bonne femme, quoi. » « Ah ? Tu vas dire des choses sur ?... » « Il s’appelle Michel. Dans mon film, il joue le rôle de la dame pipi. » Partons vite, si tu veux bien. Vous écoutez RTL 2. Les plaines beiges, sexy. Il faut aimer les pédés. Les plaines beiges, sexy, les savanes, quand on quitte Bordeaux en car en direction du Cap Ferret. Vraiment, on cherche les gazelles, les bêtes. Qu’est-ce qu’il pourrait bien… lions, éléphants ? Une route de platanes fins traverse la savane africaine. …couvrent les dommages causés par les événements climatiques, même les plus petits ! « Il arrive que ce genre d’histoires tristes m’envahisse. » Grand ménagement de rideau tendu, transparent des pins en direction du Cap Ferret. Hélèna sur mon épaule. Elle me suce. Hélèna à poil au fond du car, à Lège. Ça y est, je lui envoie les jeunes. Une forêt se présente intriquée, une forêt se présente transparente, buisson dentelle de beignet japonais. Écrire, c’est pour vivre, la pensée, on l’occupe, puis la découverte de la mer. Depuis le temps que je patiente dans cette chambre noire. Hélèna, à l’arrière du car, a sucé tous les surfeurs. Chevelure fauve comme la savane et les cheveux des jeunes surfeurs. Une secrétaire doit se taire. Sublime chat noir sur l’escalier, aux yeux coquille d’œuf comme l’escalier. « Lucas, tu fais pas sauter le vélo ! » Une chambre rose à l’Hôtel de la Plage, le gros chat, la marmaille. Évidemment, on s’est enfermé dans la chambre aux meilleures heures et on est sorti au crépuscule. Ah, l’amour, les amants ! Clichés magiques. Nous aimons les chats noirs, nous, le gris métallique, les matières denses non réfléchissantes, les ciels bas et lourds, la mer pleine de tréfonds. Palmiers désassortis, arbres nus, familles éventrées comme au milieu des guerres, les chiens, ici, à Arcachon, se répondent, le paysage d’église. (Julie : « Les bronches gonflées et la tête dans les nuages. ») Les piquets dans l’eau calme, on se croirait à Venise, un peu.






Ici, des pages en blanc à remplir par le lecteur.






Au lieu de la vie mondaine, vous imaginez la vie des amants. La communauté des amants. Plages, miroirs d’eau, nature sable, crépuscule approfondi. Plus la lumière baisse, imperceptiblement, plus les couleurs s’intensifient, inouïes, intérieures, matière couleur, le bleu intense qu’est censé voir le fœtus. Oui, couleurs de l’intérieur. Le sable devient gris, mais un gris de l’intérieur. La forêt, une bête noiraude comme le chat. Le bassin est noir de Chine, noir Soulage. Une femme de sel, un homme de poivre. « Arnaud, mets-toi, tu seras plus à l’aise. » « Tu te mets là, toi, mon biquet. » « Nous, faut qu’on se mette en ordre de bataille parce qu’on est mort, là. » (Toujours à la table d’à côté.) Palmiers du rond-point, vrais arbres de Noël. Et le bassin d’Arcachon, noir vitrail. Il fait surnaturellement doux. Hélèna raconte un village de Californie, un village de millionnaires dont Clinton était le maire. Les encres noires, le chat noir et le chat blanc. « Regarde comment elle s’amuse. » Le chat blanc, petit fantôme de farine sur la plage. Two cigarettes in the dark. Le monde défile. Imprégnation du noir. La nuit, l’unique nuit…

Tant d’amour dans les livres. Frédéric Léal nous a donné Le peigne-rose, un chacun. J’ai dit : « Non, Frédéric, un pour deux, nous sommes amoureux. Nous nous connaissons depuis 20 ans, 20 jours, 20 minutes… » L’Hôtel de la Plage donne une image de la vie qui nous fuit, la vie sauvage et naturelle comme dans un film de Tati, parapluies, tournesols, la vie du dimanche. Enfants, conversations au téléphone. Le seul truc, c’est qu’il faut baiser en silence, ça, si on ne veut pas avoir l’air de porn stars au petit-déjeuner. « Bien dormi ? » « On a un hôtel, ce qu’il y a, c’est qu’il faut faire le ménage tout le temps, balayer, passer la serpillière dans la salle du restaurant. » L’employé-patron au très petit cul, père de Lucas qui fait sauter son vélo et sert à table, le soir, très bien. Ce qui fait que… je me sens capable de le lui défoncer, son petit cul, le jeune père, dans un interstice, une faille spatio-temporelle de la journée que je consacre à Hélèna. « Un chien noir, maintenant. Ici, les animaux sont monochromes. » « – Ouais, c’est simple, y a les noirs et les blancs, comme aux échecs. » « Pas de taches, pas de rayures. » Lucas traîne devant l’hôtel, comme font les animaux, avec son vélo. « Mais, tu sais, il parlait à la plante. Il parlait au pot de fleurs, tout à l’heure. » « – Ah, ouais ? » « Oui, au pot de fleurs qu’est sur la table. Bon, moi, je comprends, je le fais aussi. »

Dimanche matin dans l’univers. Titre pour Avignon : Ma vie a changé. Pieds de gazelles des tables du restaurant. Hélèna s’est levée cette nuit et, quand elle est revenue, elle m’a trouvé – surpris – en train d’écrire. « C’était drôle de te trouver cette nuit en train d’écrire. » « C’est comme si t’écrivais dans tous les intervalles. » Résidus de nostalgie. « Je roule au pas pour garder la façade de crépi blanc visible le plus longtemps possible. » Je lis à Hélèna le diagnostic de Madame Bietri. « Elle s’isole, ressasse son passé, refuse de participer aux activités de groupe. » « – C’est comme moi, m’interrompt-elle. » « Si ! Tu acceptes de participer aux activités de groupe. » Je la tanne, Hélèna, depuis le début, avec mes fantasmes. Les amants roses. Hélèna me suggère d’aller lire « si tu veux » dans un endroit agréable, par exemple sur le banc. Est-ce qu’elle veut la chambre pour elle toute seule ? On n’est pas obligé de rendre la chambre à midi. Puis, finalement, comme on n’est pas obligé, elle se colle avec moi sur le banc. « Je me colle un peu parce que j’ai froid. » Je lis Frédéric Léal. Je me souviens de l’extrême sympathie qu’il nous a manifesté quand il nous a raccompagné dans la rue. Ce genre de moments, ça diffuse. Roucoulements de tourterelles. On est donc sur le banc face aux piquets de la culture ostréicole. Marée assez basse et, dans le coin de l’œil droit, le mirage du Pilat, le Sahara, l’Afrique violent. Le paysage plein. Cendre bleu, étain bleu. En face : Arcachon, avant, les parcs à huîtres (avec une pelleteuse au milieu de l’eau) et l’île avec les palmiers – et le Pilat dément la douceur. Hélèna lit les épreuves d’un roman traduit de l’américain sous le titre : Sauvages (originellement : Blue horse dreaming). L’Île aux Oiseaux. Je ne sais pas si je vais tenir encore longtemps dans ce frigo – sur le banc – gris bleu, avec mon petit polo rose clair, flamant rose. « Sans Frédéric Léal, t’aurais jamais pensé à allumer le convecteur tôt dans l’après-midi. », « Isabelle ou Marie, elle s’appelle, sa femme ? » « – Marie, c’est la femme de Guillaume. » « Alors, c’est Isabelle. » « En même temps, il peut y en avoir deux. » Je ne sens pas l’odeur de la mer, mais j’entends encore son bruit. Des piquets trois ou quatre fois la taille d’une homme. « On a fait la Bretagne, on a fait la Côte d’Azur. On a fait… (Inaudible.) Et puis, là… (Inaudible.) » « Lucas, tu ne fais pas sauter ton vélo ! » Les bateaux gris, colorés à la main, « veulent » aussi lire le livre de Frédéric Léal avant la pluie. J’ai enfilé plusieurs T-shirt, remis par-dessus le polo flamant rose et ramené à Hélèna le cachemire noir avec lequel je me suis branlé hier en arrivant, très doux, et le blouson de cuir blanc sale et je me suis remis avec elle sur le banc sale. « Et mon sac, tu sais ce que c’est ? » « – Non. » « C’est de la peau de camion. » « – Ça existe, ça ? » « C’est de la bâche qui a été récupérée de camions et ça (la lanière), c’est de la ceinture de sécurité. » « – Et la marque, c’est quoi ? » « C’est Freitag. Mais tout le monde porte ça, maintenant, mais, moi, je l’avais acheté à la Samaritaine avant que ça commence. » « Un vol de flamants, tel une myriade pourpre, se détachant sur un ciel d’Afrique, un spectacle inou… » Mon déguisement de flamant rose : acheté à Sitges, ville homo, genre Sodome et Gomorrhe. Hélèna lisait quelques lignes au-dessus de mon épaule : « Waouh, j’ai l’impression d’écrire pour les bébés, moi, à côté. » Livre jetable, les jeux d’épreuves. Trois hommes sur la plage qui se déplacent en trois, le père, le fils, et le fils du fils, très reliés, très semblables. Je menace Hélèna de les appeler pour qu’ils la baisent. « C’est quoi « des eaux alcalines » ? » Entièrement reliés, tout entier, ils avancent par trois, jamais séparés, leur fil jamais rompu, un ballet – comment montrer ça sur scène ? Moi, je saurais le faire...

Je lis l’histoire des flamants roses face au lac africain du bassin d’Arcachon. Tout d’un coup, vive clarté extra-terrestre sur la dune du Pilat qui, de Sahara, devient crayeuse, surnaturelle, tandis que l’avion passe (petit avion moteur). « Ce coucher de soleil opaque sur Nairobi, tamisé par les ailes des grands volatiles. » D’un côté, Venise grise, de l’autre – quoi, de l’autre ? De l’autre, la place que je quitte.

Dans mon dos, le dos, le banc, la plage verticale du Pilat. Trop « hallu », trop danger, trop froid, je retourne à la chambre, camaïeu bleu et rose. Vaccins de nuit. Un nouveau rond-point, de nouvelles résidences. Sourire + silence. On ne consulte pas une montre absente. Tandis qu’on lui prêtait des mœurs contrariés, le Prince essaimait une progéniture un peu partout sur la planète. Les palmes, les palmiers verts pendant la fenêtre – non, à travers – pas facile d’écrire quand Hélèna me parle – la fenêtre, donc, de la transparente – non, du transparent – rien ne va – Hôtel de la Plage (celui-ci est visiblement féminin) – ressemblent, au dehors – dehors comme dedans, vitres faibles, des gens dehors, des gens dedans, restaurant et terrasse, soleil dedans : électricité, gris : dehors – ressemblent, sont, pour moi, les "peignes roses" de Frédéric Léal.

L’Hôtel de la Plage, Boulevard de la Plage, en face le bassin.






Retrouver la ville. Les légères couleurs, les couleurs de travers. Du coin de l’œil, tout un monde de couleurs vivantes. Les mots rattachés aux couleurs. Éclats de vie, éclats des apparences. La vie : apparence d’une vie ailleurs. On sait que c’est faux, mais l’impression en est pourtant criante. Tant de jeu, tant d’espace, rien ne colle, pas de continu, tout est ouvert et pourtant plein, rien à ouvrir. Transparence du cœur. Une fois que vous avez le cœur, vous l’ouvrez, vous avez le monde. Au moins le monde tel qu'il se présente, dedans, dehors. Les palmiers roses du cœur d’Hélèna bercent mon cœur. Hélèna : « J’adore avoir des têtes de poisson dans mon assiette, c’est joli. » La dune du Pilat, maintenant, efface la côte boisée, un vide, un blanc, le néant à la place. Les saisons passent, lanterne magique. « Moi, je voudrais passer toute une saison ici. » De la « chick-lit ». Un temps très gris, très vert. Les pins en hiver, l’outrevert. Les couleurs rajoutées par l’homme sont harmonieuses. Cézanne peint et peint le vide entre les choses. Les troncs, les arbres. Les découpes. Petit et grand dans le lotissement. Le lotissement boisé. Gris bleu, gris mauve, gris vert, gris coloré, chaud, terni. D’en haut, on voit les toits du village : lacustre, dirait-on, à marée haute face à l’Île aux Oiseaux. Crachin sur les pins, la mer, les maisons du haut lotissement, les bateaux de pêche. Écrire dans les intervalles. « Mais comment peindre le bonheur, dit Stendhal, s’il ne laisse pas de souvenirs ? » Stendhal rime avec cristal (note du TGV). Tremblant d’un long voyage. « Tout l’art d’aimer se réduit, ce me semble, à dire exactement ce que le degré d’ivresse du moment comporte, c’est à dire, en d’autres termes, à écouter son âme. Il ne faut pas croire que cela soit si facile, un homme qui aime vraiment, quand son amie lui dit des choses qui le rendent heureux, n’a plus la force de parler. » Chevaux non terrestres. Viduité. Village et château. Brouillard. Mais, toi, tu es assis à ta fenêtre et tu le rêves quand vient le soir…










Yves-Noël Genod, 16 mars, 20 mars 2007.



Le livre de Frédéric Léal, Le peigne-rose vient de paraître aux Éditions de l’Attente.






II






NE VOUS INQUIÉTEZ PAS, IL FAIT ÇA TOUT LE TEMPS



1(16.03.07)

D’abord, je tente d’impressionner ma compagne de voyage en débitant pêle-mêle tous les mots compliqués que je connais : immarcescible, sémaphore, uchronie, futurotroc. Ma compagne de voyage est une blonde genre décoiffée, que l’étendue de mon vocabulaire, bizarrement, ne fait pas entrer en transe. Alors, je saisis son petit doigt dans ma bouche et, imaginant qu’il s’agit du micropénis de Hugh Grant, je lui donne un cours express de fellation. On ne sait jamais, je pourrais peut-être en bénéficier plus tard dans la journée, si je parviens à la convaincre, cette compagne de voyage qui s’avère être journaliste, de passer quelques heures avec moi.






2 (17.03.07)

Maintenant on est au bar du train, ma compagne de voyage et moi. Elle n’est pas que journaliste, elle écrit des livres aussi. Des nouvelles, des romans que je n’ai pas lus, mais ça semble important pour elle. Elle dit « hier j’ai déjeuné avec mon éditeur » et ça la met visiblement de bonne humeur, alors je la laisse parler tout en gardant un œil sur une autre fille, plus jeune, qui me fait penser à mon ex, Anne, je pense souvent à elle. Ma compagne de voyage continue de parler et moi de regarder l’autre fille, assez boutonneuse en vérité mais son mec me plaît bien aussi. Je ne sais pas si je l’ai déjà dit mais je m’intéresse aussi bien aux hommes qu’aux femmes, mais notez bien que je ne suis pas homosexuel, la preuve, jamais je ne mangerais de dessert aux pralines roses. Ma compagne de voyage me raconte quelque chose, je ne sais plus quoi, quand une petite bonne femme lui tombe dessus avant de s’écraser au sol en criant « mes fesses, mes fesses ». « Ne vous inquiétez pas, elle fait ça tout le temps » dit un type qui l’accompagne.






IL VOIT DES PLATANES PARTOUT



3 (18.03.07)

Je ne suis évidemment pas à Bordeaux pour ne rien faire, mais pour rencontrer des branchés et pour écrire une chronique mondaine. La blonde du train me suit partout, elle ne dit plus grand chose à présent. Non, elle n’est pas chiante. Ça va. On rencontre Alexia du TNT, habillée tout en doré, et puis Isabelle et ses lunettes en diamants. Les gens gagnent bien leur vie à Bordeaux. Mais moi, avec mon jean Dior, mon blouson de moto et mes énormes bagues, je fais sensation dans les rues. Un mec demande à la fille qui l’accompagne : « ça te plairait que je m’habille comme ça ? » et la fille éclate bêtement de rire, je ne sais pas pourquoi. Ensuite, on mange une glace. Mangue pour Alexia, chocolat amer pour moi et fraise Mara des Bois pour la blonde qui s’appelle, au fait, Hélèna Villovitch.






4

Les branchés et la vie mondaine, ça va un moment. Frédéric Léal m’indique un hôtel dans un village près du Cap Ferret, L’Herbe. Je décide d’y emmener la Villovitch, qui ne demande pas mieux : elle me suit partout depuis deux jours, de toute manière. On y va en bus et on parle de nos enfances respectives. Points communs : parents instituteurs, platanes dans la cour de l’école. Des platanes, justement, il y en a beaucoup sur notre trajet. Platanes à feuilles, platanes sans feuilles, platanes des îles, platanes des plages. À L’Herbe, on nous sert des huîtres, accompagnées de saucisses rabougries, je repense à cette histoire de Hugh Grant dont on m’a dit qu’il n’était pas favorisé par la nature, sexuellement parlant. Je mange aussi un aïoli de colin, quelques tartines et puis, je ne sais pas, je n’ai plus très faim, ça m’inquiète un peu.






FLAMANTS ROSES EN PROJECTION



5

Encore à L’Herbe avec la blonde. On écrit chacun dans son carnet. Moi : ma chronique mondaine des animaux de L’Herbe, 3 gros chiens couleur miel, un chat noir qui ronronne sur notre lit, un chat blanc sur la plage qui s’emmêle dans nos jambes. La blonde, comment elle s’appelle, déjà ? Ah oui, Hélèna, comme une jeune prostituée roumaine, bien qu’elle soit un peu trop âgée pour ce rôle. La blonde, donc, remarque que les animaux d’ici ont une très forte tendance à la monochromie. Manque plus que des flamants roses. Du coup, pour ce dernier dimanche, je porte mon polo Body Body assorti à la chambre n° 4, ses draps et ses huisseries, ainsi qu’aux volatiles sus-cités apparaissant parfois en surimpression, mais rarement à la bonne échelle*. Hélèna n’est pas partante, à priori, pour les activités de groupe incluant les ostréiculteurs, mais je compte bien la convaincre avant notre départ, dans quelques heures.

* car il s’agit de projections effectuées depuis le zoo de la Palmyre, à 100 km au moins de L’Herbe.






6

Il faut quitter l’Hôtel de la Plage, non sans avoir répondu aux questions de la blonde, Hélèna Machinchose, qui publie donc des livres aux Éditions de l’Olivier (on donnera la liste à la fin). Mes réponses : Je m’appelle Yves-Noël Genod, je pense prendre un pseudo un jour, peut-être, je ne sais pas quand. Oui, je veux bien la revoir et même revenir passer une semaine à l’Hôtel de la Plage en avril. Oui, elle aura le droit d’assister à mon one man show à Bordeaux en juin (au fait, je me disais que ce serait bien que tous les spectateurs soient nus, d’accord ?) Oui, elle pourra aussi m’accompagner à Bologne en avril et à Avignon cet été. Je réponds oui à tout. Elle me dit qu’il pleut à verse. Oui. Qu’on va rater le train pour Paris. Oui. Qu’il faut marcher plus vite. Oui. Qu’il faut courir. Oui. Oui. Oui. J’attrape son sac et j’essaie de la semer, mais elle grimpe derrière moi juste quand le train démarre. Elle me dit qu’elle m’aime. Qu’est-ce que je fais ?






Yves-Noël Genod



Hélèna Villovitch a publié : Je pense à toi tous les jours ; Pat, Dave & moi ; Petites soupes froides ; Dans la vraie vie.

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