Quand Hamlet déménage
« MOUVEMENT »
Compte rendu
Quand Hamlet déménage
Hamlet mis en scène par Yves-Noël Genod
Yves-Noël GENOD
date de publication : 23/04/2008 // 4716 signes
Avec Hamlet, Yves-Noël Genod crée un moment de théâtre dont la scénographie proche de la chorégraphie renouvelle de manière radicale le grand classique. Une nudité performancielle à voir et à revoir.
Les récentes représentations d’Hamlet, sur la mise en scène et scénographie d’Yves-Noël Genod, dans le cadre d’Étrange Cargo à la Ménagerie de verre, posaient au regard un problème insolite ; voire insoluble. Et captivant. On avait pu voir, en décembre 2007 (voici quatre mois à peine) le même Hamlet, d’Yves-Noël Genod, dans le cadre de 100 Dessus Dessous, à la Halle aux Chaussures du Parc de La Villette. Brisons là les dernières illusions de qui pourrait croire en l’existence de l’œuvre en dehors de ses conditions effectives de coréalisation, en quoi consiste chacune de ses représentations, et donc réception, par un regard spécifique, en un lieu spécifique. Car enfin, on aura vu deux fois le même Hamlet, et pourtant deux Hamlet totalement distincts. On aura traversé deux états, d’enthousiasme jubilatoire pour la première expérience, de perplexité distancée pour la seconde. Celle-ci ne pouvant jamais être considérée exempte de l’effet différé de celle-là. Plus que jamais, dans ce cas, un exercice critique ne peut rendre compte que d’une expérience définitivement singulière ; en lieu et place de l’illusoire permanence d’une forme déposée.
Transport.
La Halle aux Chaussures de La Villette est une salle très neutre. On imaginerait de la voir transformée, du jour au lendemain, en concession automobile. Yves-Noël Genod y avait jeté son Hamlet, dans le déferlement d’un bric-à-brac de débris et objets de brocante, par centaines, par milliers, transportant ses spectateurs comme ses interprètes dans une décharge onirique. La dramaturgie de sa pièce ne charrie-t-elle pas, de même, les décombres d’un art théâtral en déroute, dont chacun des nombreux interprètes assumait une déclinaison stylistique, littéraire, corporelle, spécifique ; volontiers parodique, souvent citationnelle ? Délicieusement post-moderne. Tout cela produisait un magma de sens, aux prises avec un espace saturé d’objets signes, conférant à la pièce une texture globalement chorégraphique. Pour tout dire, on n’était pas sûr d’y avoir entendu beaucoup de texte, ou peu ; voire pas du tout. En revanche, on avait remarqué l’insistance de nudités masculines, là comme rehaussées par la sur-pression plastique d’un univers circonstancié.
La salle basse de la Ménagerie de verre n’a, en revanche, rien de neutre. Déjà peu banale dans ses proportions écrasées sous un interminable plafond bas, il n’est pas un millimètre cube de son volume qui n’évoque, à son public chevronné et fidèle, une histoire contemporaine des formes scéniques exploratoires qui s’y sont inventées. Hormis quelques remaniements du texte, et inévitables modifications dans la distribution, la radicalité du nouvel Hamlet, dans la mise en scène et scénographie d’Yves-Noël Genod, aura consisté à libérer ce volume de tout objet. Pari stupéfiant. Et admirable.
Les neuf interprètes y évoluent dans un autre genre de nudité, celle de leur absolue présence performancielle, s’avançant à blanc. Il est jusqu’aux nudités physiques effectives pour s’en trouver estompées, relativisées, elles-mêmes mises à nu dans l’immensité nue de l’espace imaginaire qu’elles affrontent. On regarde le sol de ciment. C’est un extraordinaire paysage de crevasses, de frissons, de failles, de tourments. Une petite rivière d’eau s’y écoule, tout du long, nonchalante. L’urine de l’un des comédiens sera la source d’un second ruisseau, errant, flottant, livré au sens, à l’humaine perplexité. Acte « naturel » maîtrisé en culture.
La Ménagerie de verre n’a nul besoin qu’on y figure les décombres de l’art de la scène. Ses hantises en sont peuplées. Sa raison d’être est d’en métamorphoser les suites, l’invention, le devenir. À ce jeu d’espace, le sens de cet Hamlet s’en trouve manifestement infléchi. Dommage que cet autre dispositif donne, forcément, à entendre beaucoup plus clairement le texte, comme retour irrépressible du refoulé théâtral, et de même saisir le jeu d’acteur, au point qu’on ne sache par moment si leur caractère appuyé, disons lourd, parodique, tient de la claire intention, ou de faiblesses hasardeuses.
Hamlet était joué les 12 et 13 décembre à la Maison de la Villette dans le cadre du festival 100 Dessus Dessous, et jusqu’au 5 avril à la Ménagerie de verre, à Paris.
Yves-Noël Genod présentait également, le lundi 21 avril à la Raffinerie, à Bruxelles, en ouverture du festival Compil’ d’avril, Blektre, initialement créé à Marseille dans le cadre du festival actOral.
Gérard MAYEN
Compte rendu
Quand Hamlet déménage
Hamlet mis en scène par Yves-Noël Genod
Yves-Noël GENOD
date de publication : 23/04/2008 // 4716 signes
Avec Hamlet, Yves-Noël Genod crée un moment de théâtre dont la scénographie proche de la chorégraphie renouvelle de manière radicale le grand classique. Une nudité performancielle à voir et à revoir.
Les récentes représentations d’Hamlet, sur la mise en scène et scénographie d’Yves-Noël Genod, dans le cadre d’Étrange Cargo à la Ménagerie de verre, posaient au regard un problème insolite ; voire insoluble. Et captivant. On avait pu voir, en décembre 2007 (voici quatre mois à peine) le même Hamlet, d’Yves-Noël Genod, dans le cadre de 100 Dessus Dessous, à la Halle aux Chaussures du Parc de La Villette. Brisons là les dernières illusions de qui pourrait croire en l’existence de l’œuvre en dehors de ses conditions effectives de coréalisation, en quoi consiste chacune de ses représentations, et donc réception, par un regard spécifique, en un lieu spécifique. Car enfin, on aura vu deux fois le même Hamlet, et pourtant deux Hamlet totalement distincts. On aura traversé deux états, d’enthousiasme jubilatoire pour la première expérience, de perplexité distancée pour la seconde. Celle-ci ne pouvant jamais être considérée exempte de l’effet différé de celle-là. Plus que jamais, dans ce cas, un exercice critique ne peut rendre compte que d’une expérience définitivement singulière ; en lieu et place de l’illusoire permanence d’une forme déposée.
Transport.
La Halle aux Chaussures de La Villette est une salle très neutre. On imaginerait de la voir transformée, du jour au lendemain, en concession automobile. Yves-Noël Genod y avait jeté son Hamlet, dans le déferlement d’un bric-à-brac de débris et objets de brocante, par centaines, par milliers, transportant ses spectateurs comme ses interprètes dans une décharge onirique. La dramaturgie de sa pièce ne charrie-t-elle pas, de même, les décombres d’un art théâtral en déroute, dont chacun des nombreux interprètes assumait une déclinaison stylistique, littéraire, corporelle, spécifique ; volontiers parodique, souvent citationnelle ? Délicieusement post-moderne. Tout cela produisait un magma de sens, aux prises avec un espace saturé d’objets signes, conférant à la pièce une texture globalement chorégraphique. Pour tout dire, on n’était pas sûr d’y avoir entendu beaucoup de texte, ou peu ; voire pas du tout. En revanche, on avait remarqué l’insistance de nudités masculines, là comme rehaussées par la sur-pression plastique d’un univers circonstancié.
La salle basse de la Ménagerie de verre n’a, en revanche, rien de neutre. Déjà peu banale dans ses proportions écrasées sous un interminable plafond bas, il n’est pas un millimètre cube de son volume qui n’évoque, à son public chevronné et fidèle, une histoire contemporaine des formes scéniques exploratoires qui s’y sont inventées. Hormis quelques remaniements du texte, et inévitables modifications dans la distribution, la radicalité du nouvel Hamlet, dans la mise en scène et scénographie d’Yves-Noël Genod, aura consisté à libérer ce volume de tout objet. Pari stupéfiant. Et admirable.
Les neuf interprètes y évoluent dans un autre genre de nudité, celle de leur absolue présence performancielle, s’avançant à blanc. Il est jusqu’aux nudités physiques effectives pour s’en trouver estompées, relativisées, elles-mêmes mises à nu dans l’immensité nue de l’espace imaginaire qu’elles affrontent. On regarde le sol de ciment. C’est un extraordinaire paysage de crevasses, de frissons, de failles, de tourments. Une petite rivière d’eau s’y écoule, tout du long, nonchalante. L’urine de l’un des comédiens sera la source d’un second ruisseau, errant, flottant, livré au sens, à l’humaine perplexité. Acte « naturel » maîtrisé en culture.
La Ménagerie de verre n’a nul besoin qu’on y figure les décombres de l’art de la scène. Ses hantises en sont peuplées. Sa raison d’être est d’en métamorphoser les suites, l’invention, le devenir. À ce jeu d’espace, le sens de cet Hamlet s’en trouve manifestement infléchi. Dommage que cet autre dispositif donne, forcément, à entendre beaucoup plus clairement le texte, comme retour irrépressible du refoulé théâtral, et de même saisir le jeu d’acteur, au point qu’on ne sache par moment si leur caractère appuyé, disons lourd, parodique, tient de la claire intention, ou de faiblesses hasardeuses.
Hamlet était joué les 12 et 13 décembre à la Maison de la Villette dans le cadre du festival 100 Dessus Dessous, et jusqu’au 5 avril à la Ménagerie de verre, à Paris.
Yves-Noël Genod présentait également, le lundi 21 avril à la Raffinerie, à Bruxelles, en ouverture du festival Compil’ d’avril, Blektre, initialement créé à Marseille dans le cadre du festival actOral.
Gérard MAYEN
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