Saturday, January 24, 2009

On pourra fermer les yeux dans l’métro parce que ça va être long on fait toute la ligne en fait

Hier, dîner chez Norah Krief, avec Frédéric Fresson et Pierre. Norah raconte des choses délicieuses sur Isabelle Huppert, Christine Angot. Sur la prédation. On lui propose de jouer Sylvia Plath, elle me demande mon avis. On lui propose aussi La Musica deuxième, de Marguerite Duras, le rôle que jouait Miou-Miou. Elle va commencer les répétitions de La Dame de chez Maxim. On a tous les trois envie de faire des choses ensemble, mais on ne sait pas quoi. On le répète plusieurs fois dans la soirée. On parle un peu du quartier, du passage d'Enfer, de l'immeuble Art Déco de la rue Campagne-Première. À la fin, au moment de partir, Cyril Bothorel arrive, cet acteur fascinant que je viens de voir jouer dans Le Songe d’une nuit d’été (il l’était déjà il y a vingt ans, quand nous étions à l’École d’Antoine Vitez ensemble, et il n’a fait que laisser croître son capital de vie magnifique). Frédéric Fresson est le fils de Bernard Fresson (dont Claude Régy m’a souvent parlé), je ne savais pas. Il a un lumbago, mais il tient quand même à nous raccompagner en voiture jusqu’à chez Pierre. Avec Pierre, chez lui ou n’importe où, la vie est facile. Je ne suis pas complètement à l’aise chez Norah, je me sens mal équipé pour les dîners en ville (bien que parfaitement réjoui dans le cas présent). Je suis finalement un peu gêné d’avoir entraîné Pierre et de me montrer soudain « parlant métier » alors que notre relation n’a été jusque là que d’eau fraîche et de lectures. – Qu’est-ce donc que ce métier si ce n’est ça ? – mais, ce soir-là, j’ai du mal à accéder justement aux vraies sensations ni intellectuelles ni spéculatives, celles du plateau, du travail, de l'amour. Mais Pierre, silencieux et écoutant, ouvert et sans secrets lorsqu’on l’interroge, tient à me dire, à un moment, comme en aparté : « J’aime comment tu parles. » Ce matin, au lit, Pierre me fait écouter sa musique, celle qu’il a composée, et j’imagine le spectacle pour Chaillot : décor de Claude Schmitz et musique enregistrée de Pierre Courcelle, c’est tout, c’est simple, c’est tout. Mais – comprendront-ils ? C’est pourtant ce que je pourrais donner de plus sincère (ce matin), et ma vision n’est pas embrumée. Et on parle au lit et on lit au lit et on s'aime au lit, en déglutissant aussi quelques gouttes de café noir avec un peu de confiture Bonne Maman posée sur quelques miettes de biscottes. Je tourne les pages du livre d’Hélèna que j’ai passé à Pierre qui me le demandais, c’est le seul livre d’Hélèna que j’avais encore, parce qu’il était dédicacé et que je ne l’avais jamais lu. Là, je tombe sur des passages splendides : il aura donc fallu que je rencontre Pierre, que je sois allongé à côté de lui et dans la pleine protection de sa destinée pour que je découvre enfin le talent et le bonheur d’Hélèna Villovitch ! Les livres ont cette supériorité sur les spectacles, c’est qu’ils durent et voyagent. Le livre s’appelle : Le Bonheur par le shopping. On lit aussi Perceval, le passage du château désolé, et Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité. Frédéric Fresson nous a parlé la veille de son projet. À ce moment-là, seul Frédéric et Pierre parlent, moi, Fernando Pessoa, ça ne produit aucun écho – à part la vision de sa statue naturaliste – lui, comme s’il était vivant, marchant dans une rue de Lisbonne – qui m’apparaît à la place de son œuvre à chaque fois que quelqu’un m'en parle. Tout à l’heure, j’envoie un mail à Frédéric : « Il a suffit que Pierre (mon Pierre) me lise au lit ce matin quelques extraits seulement du Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa (Bernardo Soares) pour que je perçoive la splendeur de ton projet... Tiens-moi au courant de tes avancées, s'il te plaît, et redis-moi le nom de ce musicien dont tu faisais l'éloge et avec qui tu travailles... » Avec Pierre, il n’y a pas d’amélioration possible de la vie, la vie ne peut pas s’améliorer, elle est là, un peu comme Franz Kafka disait que la splendeur de la vie se tenait à nos côtés, oui, la vie est là toute proche, c’est assez simple, bien sûr Pierre est brillant, mais c’est assez simple, c’est de l’ordre de la simplicité, comme de cacher les Juifs quand on habite au Chambon-sur-Lignon, c’est sans dilemme, ou de jouer avec Valérie Dréville, idem, juste, partagé (Valérie, brillante comme le vent). Dès que je me retrouve seul (entre deux rendez-vous), l’angoisse reprend, ou la fatigue, mais, avec lui, toute la vie devient fluide et facile. Ça communique dans tous les sens comme un cheval communique avec les prés ou comme les moutons « tels de vrais piliers, / soutiennent la brume. », comme le dit Fabrizio dans un recueil de poèmes qu’il m’envoie ce matin, je suis encore chez Pierre quand je le reçois, j'ouvre mon « courrier », « Avant que le voyage ferme / nos yeux quelque part, / s’arrêter dans un jardin gelé, ». En rentrant chez moi, justement, au cours du petit trajet, je regarde les jardins désolés – mais très beaux – le jardin frère – que les autorités ont appelés les « Jardins d’Éole »...

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