Friday, February 20, 2009

Le texte de ce soir (C'est pas pour les cochons !)

Donc.
Kataline, moi, il m’est arrivé un truc ces derniers temps, je suis obligé d’en parler, c’est que je suis tombé amoureux d’un homme. Bien sûr, à notre époque de coming out généralisé, ça n’est pas un scoop une nouvelle comme ça, mais je t’assure que pour moi ça l’est. Je ne sais pas comment vivre ça, les femmes me manquent, je voudrais tellement que tu m’aimes.
Pour moi l’homosexualité n’est pas naturelle. C’est un fait de culture. Les femmes me manquent terriblement, je veux dire, les organes féminins me manquent… Et pourtant je suis avec Pierre parce que je l’aime terriblement. Ah, c’est terrible… Si Pierre était une femme ou si, moi, ce serait parfait… Cet amour est parfait, je n’ai jamais aimé comme ça, sauf que Pierre est un homme, avec une bite et tout ça, quoi… comment ça s’appelle déjà ? des bijoux d’familles, vulgairement des couilles… Sans que ça serve à grand chose entre nous…
Y a de la castration qui traîne dans l’air… Il faut laisser passer un peu de temps, mais peut-être y songer… Il en rêve d’ailleurs… La castration, lui ou moi… Pierre, il rêve souvent quand il s’endort au bureau… (Il travaille dans un ministère.) Quand il s’endort dix minutes au bureau, Pierre rêve d’une petite bite détachée…
– Pourquoi « petite » ?
– Oh, grosse aussi bien, je n’sais pas, je veux dire qu’elle est détachée de son corps, elle est toute seule, quoi, sans corps. Et il rêve aussi, concomitamment, d’ananas. Dans le rêve, le rêve de dix minutes, au bureau ou dans le métro, assoupi, métro, boulot, dodo, il rêve qu’il suce le gland et qu’il mange des morceaux de l’ananas… C’est tout Pierre, ça…
– La nana ?
– Voilà.
Avec ce nouvel amour, j’ai honte et je me sens con. J’étais dans le train et je pensais à ce titre : « Les effacements de brutalité ». Tu vois, ma chérie, Kataline chérie, ma Kataline chérie et douce, quand je suis avec lui, je me sens plus fort et quand je ne suis pas avec lui, je me sens plus faible.
Je me demande si l’amour de Pierre n’est pas un amour de convalescence, un amour qui me fait remonter (comme dit Baudelaire) au matin de mes impressions…
Le nouveau, quel qu’il soit, l’œil fixe et extatique, visage ou paysage, lumière, dorure, couleurs, étoffes chatoyantes…
Un de mes amis (page 350/51) (muscles des bras).
La forêt latence.
La forêt se range par la lumière.
La solitude est creusée, imbibée, noyée d’une eau de consolation qui n’agit que quand il est là.
Voyage en grande sexualité
On vit dans un monde récompensé quand il est là. (Ceci n’est valable que pour moi parce que, lui, dirait qu’il est récompensé toujours.)
Alors Lipstick On A Pig ou L’Éternelle question du maquillage… si nous en venions à notre causerie du moment ?
La nature caca, la nature berk, crime, la nature…
Non, l’idée, l’artifice, la statue, l’idéal, l’éternité, l’art, la nature mortelle, éphémère, toujours à côté, pas satisfaisante…
Il baisait jamais Baudelaire… Il a écrit des beaux poèmes sur la baise, mais ses amis se désolaient, ils l’emmenaient aux Folies Bergères qui était le plus grand bordel d’Europe à l’époque, plus grand et plus beau que le Dépôt, si vous voulez, cette boîte homo où traînait Pierre avant qu’on se rencontre, mais il foutait rien, Baudelaire. Pourtant y avait plein de femmes qui auraient dû lui plaire, des putes, puisqu’il aimait les putes, mais c’était jamais assez bien, le dandy les trouvait toujours trop vivantes… Ben, oui. Et c’est vrai que toutes ces filles et ces parties de jambes en l’air ont disparu et qu’il nous reste les poèmes… Les poèmes de Baudelaire se baladent partout dans le monde, dans tous les bordels, dans tous les orgasmes…
Le théâtre, pour moi, c’est du remplissage, remplissage d’espaces, comme Baudelaire disait que pour lui la critique d’art, c’était du remplissage de colonnes. Moi, je remplis les salles – je remplis les espaces, les salles de théâtre – de théâtre et d’humanité.
Les trains sont des colonnes vivantes, sensuelles, qui traversent les nuages.
La lune déchirure. La lune rêver à l’infini. L’éclairage.
La neige aboiements, soleil apparaît (dans toute la sphère), tout ça en silence, le grand bon silence de l’humain, de la littérature, la neige nage, le chat dressé sur la table ne bouge pas, ne change pas de position, seulement la tête, indépendante.
La voiture passe, bruit de piscine, splash, de gadoue.
Toute l’eau tout autour. La lune phénoménale. La lune de la fenêtre. Le chat regarde ce qu’il regarde, ou la mouche ou la lune. Bien sûr un roman ne raconte pas la lune…
Jean-Jacques parle du bonheur du genre humain. On le croit. Et de ces vérités… « Et de ces vérités qui tiennent au bonheur du genre humain »…
Les ténèbres de la nature… Les ténèbres de la nature… Les ténèbres de la nature…
J’ai mis mon chemin sur la route… Je suis allé jusqu’à l’embranchement des ruisseaux, jusqu’au camp de Romanichels… J’ai vu les lumières de la route se refléter dans le lac… Et Pierre, car je n’étais pas seul, Pierre était sur la question…
Jean-Jacques versus Charles. Jean-Jacques dit : « L’homme de bien est un athlète qui se plaît à combattre nu. »
« Les hommes qui forment ce troupeau qu’on appelle société. »
La beauté selon Charles Baudelaire : unir un cœur de neige à la blancheur des cygnes. « J’unis un cœur de neige à la blancheur des cygnes », c’est beau ce vers…
J’ai rêvé d’amitié et de grandes occasions, j’ai rêvé d’amitié et de paysages de grandes occasions et de grandes maisons et de grands débouchés, j’ai rêvé et c’est la lecture de Jean-Jacques qui m’y fait revenir à ce rêve de la nuit passée… Cour… chev… elle, La Roch… elle…
L’ami des grandes occasions…
Coq et lancement de coq. Et le ruisseau liquide d’or dans le paysage d’argent.
Bartabas répondait à un journaliste qui lui demandait : « Vous aimez les chevaux ? » : « Oui, à en manger ! » Maintenant dans les campagnes françaises, ils mangent de l’autruche. Moi, ça m’émeut. (Avec le geste de la direction main droite autour de la bouche.)
– Tu sais que je lui ai serré la patte, moi, à Bartabas. J’m’étais faite toute belle… Le mec froid, mais froid.
– Ah bon, pourtant je crois qu’il aime les jolies filles… Il en a peut-être trop qui se pendent à ses basques… (Ou alors c’est une technique de drague d’abord être très froid, ça opère un tri sélectif.) (J’adore cette expression « tri sélectif », on pourrait dire « sélection », mais non, on préfère dire « tri sélectif ».) J’ai joué une fois une pièce de Tolstoï, Léon Tolstoï, avec Valérie Dréville, et à c’tt’occasion j’ai lu son journal, à Tolstoï. À un endroit, il énumère ses trois passions : « les chiens, les chevaux, les femmes » et il précise : « dans l’ordre ». Et Dieu sait s’il aimait les femmes ! Mais, bon, il les aimait comme du bétail, oui.
– Les écuyères de Bartabas, elles ont toutes une queue de cheval.
– Ça lui rappelle les rênes quand il monte à cru.
La balance atmosphérique
Les hommes sont-ils les mêmes à la campagne qu’à la ville ?
Les chèvres ont voulu manger le Discours sur les Sciences et les Arts de Jean-Jacques Rousseau, bon papier, bonne encre.
« J’ignore ce que je ne sais pas. »
En Auvergne, on dit : y a deux choses qui conservent le cochon, c’est l’sel et l’amitié. (Parce que c’qu’on peut pas saler pour l’conserver, on est obligé de le donner aux amis, aux voisins si on veut pas l’perdre, le boudin, tout ça…)
Encore une fois la vraie vie me ramène à toi et je peux te dire – tant c’est irréel et reél – comme je t’aime.
On va jouer à Jean-Jacques a dit.
L’esclave doré, les troncs puissants.
La neige attablée.
À la ville perchée – avec une gare néanmoins.
Comment le train fait-il pour arriver là ?
« …retenir quand ça dérape… », dit la chanson.
Les Pompidou ils pompaient dur. C’était la fois où on a mangé le sanglier. L’histoire des Pompidou, c’est que on avait offert à un ami, Philippe le Guillou pour ne pas le nommer, un « Paris Match » de 1970 sur les Pompidou. On les voyait à l’Élysée bien sûr, mais aussi dans leur maison de campagne, dans différents lieux comme ça, dans l’salon, dans la cuisine, dans la salle de ping-pong, c’était un numéro spécial sur les Pompidou et ce qui était frappant, c’était que sur chaque image il y avait un gros cendrier qui débordait, ce n’était pas seulement qu’ils avaient la clope au bec les Pompidou, c’était que sur chaque page du « Paris Match » il y avait un cendrier plein à ras bord. Alors Laurent a dit : « C’était pas les Pompidou, c’était les Pompidur, ils pompaient dur. », il est comme ça, Laurent.
La plaine terrestre sur la planète et heureusement qu’on est mortel pour que les petites histoires s’évaporent comme ça dans l’atmosphère. Les petites histoires de la paix ou de la poisse ou de la guerre. La neige est ce feuilletage de cendre qui nous illumine l’été en hiver. On voudrait tout toucher, on voudrait tout aimer, tout caresser. Les champs sulfatés, les arbres étonnés, nos amies les bêtes. Les ruisseaux d’eau pleurent dans tous les sens, très actifs, trouvent les pentes et s’y faufilent, passent sous les autoroutes. L’arbre autour de lui dessine un rond de champignon car il a sué toutes ses gouttes.
Serge et Laurent gambadaient dans la noirceur, le vin aidant.
« L’art, c’est la décadence »… J’avais un spectacle une fois sur ce thème…
Les empires des richesses, c’est très complexe. De quoi s’agit-il donc précisément dans cette question du luxe ?
Je porte sur moi des vêtements très chers, c’est du Yohji Yamamoto, mais c’est revival, j’en portais il y a vingt ans du Yamamoto, dans les années 80, du temps où je fréquentais Marguerite Duras, tu lui aurais bien plu, toi, Kataline, à Marguerite, tu étais un peu son type de femme, en fait, t’as le genre durassien, j’trouve, et donc à cette époque je portais du « Yamamoto », « Yamonvélo », disait Marguerite Duras parce qu’elle était un peu raciste, elle était née en Indochine, tout ça… Bon alors des vêtements qui sur moi à l’époque faisaient misère, je les porte un peu mieux maintenant, je trouve… mais enfin…
…Franchissons la distance des lieux et des temps.
L’utopie théâtrale :
Je me demande pourquoi – car il le faudrait ! – il faudrait que dans chaque théâtre ou au moins un théâtre sur deux – ou au moins un théâtre dans la capitale pour expérimentation – il faudrait un théâtre avec une ferme attenante.
Il faudrait pouvoir faire sur scène toutes les intempéries, lumières, tonnerres, pluies diluviennes ou simples crachins, de la neige, tout ça…
Il faudrait que chaque théâtre surtout les plus vilains évidemment, chaque salle ait un décor fixe blanc – ou noir – ou les deux, au choix, nombre d’or, des murs des portes un plafond, très beau, pur, un truc tout simple, mais de manière à pouvoir tout jouer au besoin – et que cela soit beau, évidemment.
Qu’est-ce qui importe le plus d’être brillant et momentané ou vertueux et durable ? C’est la question du développement durable, de la vertu, c’est à dire de l’essentiel, du courage si l’on veut ou au moins… d’une sorte d’orientation vraie.
Ignorants nous étions mieux, dit Jean-Jacques. Jean-Jacques a dit : « Ignorants, nous serions mieux. »
– Mais ignorants nous sommes.
– Ah, certes moi, je n’avais aucune idée de comment il fallait donner le biberon…
« Peuples, sachez donc une fois que la nature a voulu vous préservez de la science, comme une mère arrache une arme dangereuse des mains de son enfant ; et que tous les secrets qu’elle vous cache sont autant de maux dont elle vous garantit, et que la peine que vous trouvez à vous instruire n’est pas le moindre de ses bienfaits. »
La Loire à Nevers
« Tout artiste veut être applaudi. Les éloges de ses contemporains sont la partie la plus précieuse de sa récompense. Que fera-t-il donc pour les obtenir, s’il a le malheur d’être né chez un peuple et dans des temps où les savants devenus à la mode ont mis une jeunesse frivole en état de donner le ton ; où les hommes ont sacrifié leur goût aux tyrans de leur liberté ; où l’un des sexes n’osant approuver que ce qui est proportionné à la pusillanimité de l’autre (pardon Kataline, on va… Cathy Bouvard va encore m’accuser d’attaquer l’image de la femme, c’est pas moi, c’est Jean-Jacques Rousseau, hein ?), on laisse tomber des chefs d’œuvres de poésie dramatique, et des prodiges d’harmonie sont rebutés ? Ce qu’il fera, messieurs ? Il rabaissera son génie au niveau de son siècle, et aimera mieux composer des ouvrages communs qu’on admire pendant sa vie que des merveilles qu’on admirerait que longtemps après sa mort. »
Taches dans les champs comme sur la peau des vaches. Si je pense trop à la campagne et au train, je pense à Hélèna, je suis obligé de me retenir de cet amour récent.
Ciel tu peux le tutoyer. Comme Saint Augustin, l’avouer. Le ciel ton espoir, ton désespoir évaporé en fines gouttelettes d’atmosphère et de voyage et les yeux et le pull d’un enfant. Mais nous naviguons parmi les poils et en train ! Mais qu’importe…
Franchissons la distance des lieux et des temps !
Éclat d’une nouvelle rivière à chaque pas.
Les fatales tours bâties comme des objets et la démultiplication du monde moderne…
Les ponts, tout accroche, les camions, tout ce qui est frisottant, les bouts de piques, tout accroche la lumière du soir.
La ville est encore plus immense qu’on imaginait.
(Et plus pure – et moins salie. Je vais rencontrer l’étoile qui a les clés. Mais que n’ai-je rencontré ?)

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