Yves-Noël Vilar
Note de service à la manière de Jean Vilar.
Je ne suis pas sûr que nous nous rendions compte à quel point nous sommes en retard. Seule Marlène est prête, mais aucun des trois autres (sans parler d'Yvonnick) ne l'est. Dimanche, je n'ai pas vu le spectacle que nous espérons (sauf de la part de Marlène). C'est très inquiétant ! Nous sommes très en retard par rapport à mes habitudes : il m'est arrivé plusieurs fois, pour mes meilleurs spectacles, de faire venir tout Paris au premier filage. Mais dimanche seules les parties de Marlène étaient montrables.
Il faut donc que vous mettiez toutes vos forces et votre "professionnalité" à retrouver ce qui a été bâti, malgré tout, dimanche et à le jouer.
Je crois que l'erreur a été faite de croire qu'on avait le temps de mettre de côté le bon (l'excellent) qui a été fait pour chercher autre chose. Il faut enrayer ce processus de déconstruction qui équivaut à jeter le bébé avec l'eau du bain et qui nous entraîne à très grande vitesse vers d'énormes frustrations. Je n'ai jamais eu le temps de travailler donc j'ai toujours travaillé vite et j'ai toujours dit : la première chose que l'on fait est la bonne simplement parce qu'on n'a pas le temps d'en essayer une autre. Seule Marlène l'a compris qui n'a fait que refaire ce qu'elle avait fait le premier jour, elle dit "par paresse", je dirais, moi : par bon sens. J'ai vu des choses si splendides, si somptueuses, si abouties, si parfaites, de la part de toi, Mohand, de toi Felix, de toi Kate, je serai très malheureux d'en avoir été le seul témoin ! Ce sont ces choses qu'il faut montrer au public.
Il y a une erreur, sans doute, concernant l'improvisation. L'improvisation que je vous demande, c'est celle de Bob Wilson, Maria Callas, Rudolf Nureyev, Marlène Dietrich et, allons, pour être gentil, rajoutons Marlon Brando à la liste. J'ai travaillé pendant des années avec les improvisateurs américains en danse (Julyen Hamilton, Steve Paxton, Simone Forti, Lisa Nelson, Mark Tompkins...), mais l'improvisation de ces gens-là (et ils sont très peu nombreux) est une chose très complexe et très construite. Ce n'est certes pas attendre que ça tombe du ciel. J'ai travaillé une fois au théâtre en improvisation pour une scène dans Le Cadavre vivant de Tolstoï mise en scène par Julie Brochen, c'était génial, mais c'était beaucoup, beaucoup de travail tous les jours pour bâtir de nouvelles intentions, directions, dégager de la scène un nouveau sens non aperçu la veille et les jours précédents et je dois dire que ce travail que nous faisions à trois, Julie, Valérie Dréville et moi, ce n'était pas moi, ni même Julie, mais surtout et de très loin, Valérie qui le fournissait (Valérie considérée comme l'actrice numéro un en France non sans raison). Bref : improviser, je ne serais pas contre si vous y arriviez. Or vous n'y arrivez que par intermittence. Tout le monde peut faire quelque chose de merveilleux une fois ou deux, il n'y a pas besoin d'acteurs pour ça (tant de films fabuleux se font sans acteurs), ce qui est difficile, et ce qui est la raison de l'existence de notre profession, c'est de refaire. Marlon Brando à qui on demandait pourquoi il ne faisait plus de théâtre (où il avait excellé) disait : "J'adore Shakespeare, mais je préfère le lire dans mon lit, l'idée de le répéter tous les soirs m'ennuierait trop". C'est très difficile.
Quand vous serez à l'aise, bien sûr que vous sentirez l'improvisation ! Improviser, c'est être à l'aise. Mais commencez par être à l'aise. Tant qu'on verra des cerfs et des biches comme pris dans les phares d'une voiture la nuit, il n'y aura pas de spectacle.
Je rappelle la phrase de Jean Vilar que je vous ai lue hier : "Il n'y a pas d'amateur, il n'y a pas de professionnel, il y a celui qui sait distraire de ses soucis ou de ses peines un public."
Or depuis Jean Vilar, le nihilisme n'a fait qu'augmenter dans des proportions qu'il n'aurait certes pas imaginer (comme on dit). C'est de plus en plus dur de distraire le public de ses soucis ! Le nihilisme et la difficulté ont augmenté. C'est pourquoi il NE FAUT PAS montrer sur le plateau le moindre doute, la moindre indécision, vélléité, manque de confiance, cacophonie, incommunicabilité, dépression, mélancolie, détresse, désarroi, inquiétude, misère de toute sorte qui sont le lot commun de toutes les existences broyées de notre époque.
Ce n'est pas le vrai monde.
Le vrai monde, celui que nous proposons au public pendant un temps simplement suspendu comme une parenthèse, c'est le monde que nous avons vu passer comme "réel" chez chacun d'entre vous - sinon je vous assure que vous ne seriez pas là ! C'est un monde de civilisation, de raffinement, de beauté, de grâce, d'humanité, de joie, de sensualité, de disponibilité, de grandeur (sentiments nobles), de compassion, d'amour, de générosité, de dilapidation des richesses (parce qu'il y en a pour tous !) de lumière, de réel, de grâce, de royauté, de liberté, de masculinité, de féminité, d'honneur, d'ouverture, de splendeur, de musique, d'art, d'harmonie, de poésie, d'amour, etc.
Vous êtes parfaitement capable de donner et de vivre ces choses-là, mais il faut prendre l'enjeu tout à fait au sérieux !
Je sais que vous prenez l'enjeu au sérieux et je vous demande pardon de cette sévérité. Mais nous manquons de temps et d'espace pour batifoler (faire autre chose que ce que nous faisons).
Je ne peux promettre à Kate, Felix, Mohand qu'une heure et demi ou deux maximum chacun pour retravailler en solo, plus sans doute aussi deux heures pour le duo Kate Felix.
Si demain la situation ne s'améliore pas, je partagerai les répétitions suivantes en deux pour me garder la moitié du temps pour travailler, moi, quelque chose parce qu'il va bien falloir présenter un spectacle !
Pour demain, venez en avance, préparez vos affaires, placez les costumes et les accessoires dont vous avez besoin aux endroits les plus efficaces et les plus discrets pour que vous les trouviez. Allez habiter les loges, le théâtre, vous allez maintenant passer beaucoup de temps ici, les répétitions sont de 16h à 24h, pause de 19 à 20h, il faut venir bien avant 16h pour commencer exactement les filages à 16h.
L'ambition est encore un spectacle long (deux parties), mais on verra demain car il faut que ce spectacle long ne le paraisse pas. Sinon il vaudra mieux faire trois quarts d'heure, une heure. Un spectacle long prend plus de temps à répéter. Les dernières journées vont être fatigantes.
Ne comptez pas sur Patrice et Jean-Christophe pour vous sauver. Ce ne sont pas des "artistes" selon les catégories sociales. Ils ont fait des choses extraordinaires quand vous étiez bons, mais quand vous ne l'êtes pas, ils ne peuvent rien (à part vous enfoncer un peu plus).
Urgent aussi : vos invitations pour les 14, 15 et 16. Trop tard pour envoyer par la poste mais je peux rassembler les demandes et transmettre à Diane qui s'en occupe. Vous pouvez aussi le faire en direct par téléphone au 01 53 65 31 24 ou par mail : diane.tramoni@theatre-chaillot.fr
Le 14, la salle est presque pleine, mais pas le 15 et le 16. Pour les jours suivants, vous pouvez aussi réserver dans la limite de 4 invitations par jour pour tous. Me tenir au courant pour ces jours suivants.
Pour les avant-premières le 10 à 15h et les 12 et 13 à 20h30, c'est aussi invitation bien sûr, mais avec réservation auprès de moi (mon mail).
Haut les cœurs !
Je suis avec vous, mettez toutes vos forces dans la joie !
Yves-Noël Vilar
Je ne suis pas sûr que nous nous rendions compte à quel point nous sommes en retard. Seule Marlène est prête, mais aucun des trois autres (sans parler d'Yvonnick) ne l'est. Dimanche, je n'ai pas vu le spectacle que nous espérons (sauf de la part de Marlène). C'est très inquiétant ! Nous sommes très en retard par rapport à mes habitudes : il m'est arrivé plusieurs fois, pour mes meilleurs spectacles, de faire venir tout Paris au premier filage. Mais dimanche seules les parties de Marlène étaient montrables.
Il faut donc que vous mettiez toutes vos forces et votre "professionnalité" à retrouver ce qui a été bâti, malgré tout, dimanche et à le jouer.
Je crois que l'erreur a été faite de croire qu'on avait le temps de mettre de côté le bon (l'excellent) qui a été fait pour chercher autre chose. Il faut enrayer ce processus de déconstruction qui équivaut à jeter le bébé avec l'eau du bain et qui nous entraîne à très grande vitesse vers d'énormes frustrations. Je n'ai jamais eu le temps de travailler donc j'ai toujours travaillé vite et j'ai toujours dit : la première chose que l'on fait est la bonne simplement parce qu'on n'a pas le temps d'en essayer une autre. Seule Marlène l'a compris qui n'a fait que refaire ce qu'elle avait fait le premier jour, elle dit "par paresse", je dirais, moi : par bon sens. J'ai vu des choses si splendides, si somptueuses, si abouties, si parfaites, de la part de toi, Mohand, de toi Felix, de toi Kate, je serai très malheureux d'en avoir été le seul témoin ! Ce sont ces choses qu'il faut montrer au public.
Il y a une erreur, sans doute, concernant l'improvisation. L'improvisation que je vous demande, c'est celle de Bob Wilson, Maria Callas, Rudolf Nureyev, Marlène Dietrich et, allons, pour être gentil, rajoutons Marlon Brando à la liste. J'ai travaillé pendant des années avec les improvisateurs américains en danse (Julyen Hamilton, Steve Paxton, Simone Forti, Lisa Nelson, Mark Tompkins...), mais l'improvisation de ces gens-là (et ils sont très peu nombreux) est une chose très complexe et très construite. Ce n'est certes pas attendre que ça tombe du ciel. J'ai travaillé une fois au théâtre en improvisation pour une scène dans Le Cadavre vivant de Tolstoï mise en scène par Julie Brochen, c'était génial, mais c'était beaucoup, beaucoup de travail tous les jours pour bâtir de nouvelles intentions, directions, dégager de la scène un nouveau sens non aperçu la veille et les jours précédents et je dois dire que ce travail que nous faisions à trois, Julie, Valérie Dréville et moi, ce n'était pas moi, ni même Julie, mais surtout et de très loin, Valérie qui le fournissait (Valérie considérée comme l'actrice numéro un en France non sans raison). Bref : improviser, je ne serais pas contre si vous y arriviez. Or vous n'y arrivez que par intermittence. Tout le monde peut faire quelque chose de merveilleux une fois ou deux, il n'y a pas besoin d'acteurs pour ça (tant de films fabuleux se font sans acteurs), ce qui est difficile, et ce qui est la raison de l'existence de notre profession, c'est de refaire. Marlon Brando à qui on demandait pourquoi il ne faisait plus de théâtre (où il avait excellé) disait : "J'adore Shakespeare, mais je préfère le lire dans mon lit, l'idée de le répéter tous les soirs m'ennuierait trop". C'est très difficile.
Quand vous serez à l'aise, bien sûr que vous sentirez l'improvisation ! Improviser, c'est être à l'aise. Mais commencez par être à l'aise. Tant qu'on verra des cerfs et des biches comme pris dans les phares d'une voiture la nuit, il n'y aura pas de spectacle.
Je rappelle la phrase de Jean Vilar que je vous ai lue hier : "Il n'y a pas d'amateur, il n'y a pas de professionnel, il y a celui qui sait distraire de ses soucis ou de ses peines un public."
Or depuis Jean Vilar, le nihilisme n'a fait qu'augmenter dans des proportions qu'il n'aurait certes pas imaginer (comme on dit). C'est de plus en plus dur de distraire le public de ses soucis ! Le nihilisme et la difficulté ont augmenté. C'est pourquoi il NE FAUT PAS montrer sur le plateau le moindre doute, la moindre indécision, vélléité, manque de confiance, cacophonie, incommunicabilité, dépression, mélancolie, détresse, désarroi, inquiétude, misère de toute sorte qui sont le lot commun de toutes les existences broyées de notre époque.
Ce n'est pas le vrai monde.
Le vrai monde, celui que nous proposons au public pendant un temps simplement suspendu comme une parenthèse, c'est le monde que nous avons vu passer comme "réel" chez chacun d'entre vous - sinon je vous assure que vous ne seriez pas là ! C'est un monde de civilisation, de raffinement, de beauté, de grâce, d'humanité, de joie, de sensualité, de disponibilité, de grandeur (sentiments nobles), de compassion, d'amour, de générosité, de dilapidation des richesses (parce qu'il y en a pour tous !) de lumière, de réel, de grâce, de royauté, de liberté, de masculinité, de féminité, d'honneur, d'ouverture, de splendeur, de musique, d'art, d'harmonie, de poésie, d'amour, etc.
Vous êtes parfaitement capable de donner et de vivre ces choses-là, mais il faut prendre l'enjeu tout à fait au sérieux !
Je sais que vous prenez l'enjeu au sérieux et je vous demande pardon de cette sévérité. Mais nous manquons de temps et d'espace pour batifoler (faire autre chose que ce que nous faisons).
Je ne peux promettre à Kate, Felix, Mohand qu'une heure et demi ou deux maximum chacun pour retravailler en solo, plus sans doute aussi deux heures pour le duo Kate Felix.
Si demain la situation ne s'améliore pas, je partagerai les répétitions suivantes en deux pour me garder la moitié du temps pour travailler, moi, quelque chose parce qu'il va bien falloir présenter un spectacle !
Pour demain, venez en avance, préparez vos affaires, placez les costumes et les accessoires dont vous avez besoin aux endroits les plus efficaces et les plus discrets pour que vous les trouviez. Allez habiter les loges, le théâtre, vous allez maintenant passer beaucoup de temps ici, les répétitions sont de 16h à 24h, pause de 19 à 20h, il faut venir bien avant 16h pour commencer exactement les filages à 16h.
L'ambition est encore un spectacle long (deux parties), mais on verra demain car il faut que ce spectacle long ne le paraisse pas. Sinon il vaudra mieux faire trois quarts d'heure, une heure. Un spectacle long prend plus de temps à répéter. Les dernières journées vont être fatigantes.
Ne comptez pas sur Patrice et Jean-Christophe pour vous sauver. Ce ne sont pas des "artistes" selon les catégories sociales. Ils ont fait des choses extraordinaires quand vous étiez bons, mais quand vous ne l'êtes pas, ils ne peuvent rien (à part vous enfoncer un peu plus).
Urgent aussi : vos invitations pour les 14, 15 et 16. Trop tard pour envoyer par la poste mais je peux rassembler les demandes et transmettre à Diane qui s'en occupe. Vous pouvez aussi le faire en direct par téléphone au 01 53 65 31 24 ou par mail : diane.tramoni@theatre-chaillot.fr
Le 14, la salle est presque pleine, mais pas le 15 et le 16. Pour les jours suivants, vous pouvez aussi réserver dans la limite de 4 invitations par jour pour tous. Me tenir au courant pour ces jours suivants.
Pour les avant-premières le 10 à 15h et les 12 et 13 à 20h30, c'est aussi invitation bien sûr, mais avec réservation auprès de moi (mon mail).
Haut les cœurs !
Je suis avec vous, mettez toutes vos forces dans la joie !
Yves-Noël Vilar
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