Le Séjour
fraîcheur : mer et montagne
Cléelie dit la mer bleue
la mer grise, elle
nous laisse lui dire
les bonnes appellations
mais sa manière à elle
lui semble la plus
parfaite : mer bleue
mer grise
"la mer bleue est encore
plus grande que la
mer grise"
"voilà ce que j'préfère :
la mer." "j'la vois
de mon côté, j'la vois
de mon côté - mais
on est très haut"
"papa comment on va
faire pour descendre jusqu'à
la mer ?"
les brunes et les blondes
Cléelie immédiatement à l'aise (et nous aussi), la reine de l'Italie. imaginez un paradis, un paradis perché. mais pas un paradis factice, non, simplement : on est quelque part. comme hier j'étais quelque part dans la cour d'honneur du palais des Papes à Avignon pour la deuxième partie d'(A)pollonia par Krzysztof Warlikowski - dans un lieu totalement inoubliable - qui va me changer la vie - ici aussi je suis quelque part dans un lieu inoubliable - qui va me changer la vie. j'ai appris à Cléelie à jouer aux échecs et maintenant elle joue aux dominos. on rêvait de ce qu'elle pouvait faire, avec Pierre. du chant. Pierre disait : "C'est possible, elle chante juste." et moi : "Il faut, il faut, le chant, c'est plus beau que la danse !" et Pierre : "Si elle chante, il faut aussi qu'elle fasse d'un instrument. - Lequel ? - Je ne sais pas. - Du violon, c'est trop difficile ? (ma mère faisait du violon.) - Non... Si elle était avec moi elle ferait du piano bien sûr, mais Axeelle ne la laissera pas, ça lui rappellera trop de mauvais souvenirs."
Cléelie sur le balcon qui domine la vallée parle aux oiseaux, je disais : immédiatement à l'aise
hier Malgorzata merveilleuse m'affirmait que quand elle pensait à un Parisien elle pensait à moi, ça m'a fait tellement plaisir ! mais j'aimerais maintenant voyager au moins en Europe, connaître toutes les langues. j'ai dit à Krzysztof Warlikowski que ses spectacles donnaient l'envie d'apprendre le polonais. il m'a serré dans ses bras. mon Dieu, donnez-moi un cerveau qui me permette d'aimer ! d'aimer aimer ! en tout cas, Cléelie a l'air d'une Italienne, une diva ! elle ressemble aussi à l'héroïne de Au hasard Baltazar à moins que ce soit celle de Pickpocket, ce n'est pas pour étaler ma culture que je le dis : bressonienne -
hier j'ai dragué un beau garçon qui justement me connaissait, il avait vu Vénus & Adonis ! il m'a demandé si je m'étais inspiré des Amours d'Astrée et de Céladon d'Eric Rohmer. non, je ne connais pas encore...
Cléelie : "Punaise, c'qu'on est haut !"
je racontais que mon père, il avait faim, il n'avait pas assez à manger (Pierre : "Le mien aussi !") et que c'était pour ça qu'elle devait finir ses pâtes, elle qui avait la chance de manger... et Cléelie : "J'ai plus faim ! ...plus faim !", dit-elle en cadence. (Verdi.)
"On voit encore les yeux du poisson."
"C'est quand la fête des Pierre ?"
un calme bleu
what can I do to make a difference ?
je suis dehors je suis dedans, le village est moyenâgeux, Cléelie a cinq ans - mais je pense aussi à La Chartreuse de Parme
il y a une prison en contre-bas. c'est fou d'imaginer ça. ça : le monde. "la peinture à l'huile", dit Pierre et Cléelie répète :"la peinture à l'huile ?"
donc le village : pauvre, en ruine, cassé, très belle église baroque effondrée comme d'hier, les pastels des couleurs encore aux morceaux restants et les stucs...
il y a des chats, des arches, des chiens, pas de cochons et je le regrette, d'oies, de chèvres, d'ânes dans les rues pour soutenir l'état de siège
il y a sur la terrasse un calme bleu
"Pourquoi on va pas à la mer ?", Cléelie avait ce rêve toute la journée mais nous, les grands, ne voulions pas bouger
"Je prends des photos d'enfants, d'enfants dans le village." c'est pour écrire que je dis ça. c'est pour commencer
la journée commence, à portée de main
il y a le village, l'enfant, les enfants, tout à l'heure une Italienne descendait la ruelle avec sa petite fille qui pleurait et son tout petit bébé qu'elle allaitait en marchant. elle était comme une Italienne, extrêmement sensuelle avec des cheveux intenses
Pierre joue à l'infini avec son enfant, il ne fait que ça, ils sont amis, il est grand, il est son père, mais elle le considère aussi comme son amoureux et, malgré ses dénégations, il n'en est pas loin. complètement fada de cette petite cruche !
il passe ses journées avec elle, il s'est perché dans un village et il ne fait rien que rester caché avec elle comme en cavale : lui, trente-quatre ans, elle : cinq ans
Cléelie s'est cachée dans l'escalier qui ne mène à rien
Cléelie se cache en haut et en bas de la maison infinie du village infini (c'est l'avant-dernière maison la plus haut perchée). on attend le soir pour sortir, pour sortir nulle part
la maison pure, ouverte, mur, voûte, arche
j'ai retrouvé mon petit bureau portatif
le rire de Pierre est joué, les phrases de Cléelie, le rire de Cléelie, les phrases de Pierre, tout est joué à l'infini. la maison est un jouet, le cerveau est un jouet, Pierre siffle parmi la maison, Cléelie dit des phrases toute faites comme : "C'est fou c'que tu m'as fait peur !", avec l'intonation, les plus belles, ou : "Mais c'est pas grave..."
et puis le temps, pesamment, légèrement, dans l'espace, l'espace du temps, cela devient le soir, "vers le soir", vers les chats, vers le village et j'écris encore des choses qui n'intéresseront personne. "Papa, qu'est-ce qu'il écrit, Yves-Noël ?"
son papa est un prince
c'est très curieux cette indisposition de l'intelligence. les livres lus se rassemblent. Duras, Les petits chevaux de Tarquinia devient un livre de Borges. on n'avait pas pris les affaires de bain, mais du haut du village la mer paraissait si belle quand on est arrivé près de la voiture. j'ai proposé de descendre (contrairement à ce qui avait été décidé), mais Pierre n'avait rien pris ou n'était "pas organisé pour". j'ai proposé que Cléelie se baigne en culotte. "Oui, je peux me baigner en culotte ou je peux me baigner toute nue. - Mais aussi nous n'avons pas de serviette, comment pourrais-tu te sécher ? - Je pourrais me sécher avec ça." c'était ingénieux ! ça, un bambi qu'elle avait traîné et, en effet, il était en peluche. le bambi, Pierre l'a dessiné au café, mais avec une patte arrière trop grosse, en fait qui ressemble à une bite. Cléelie, quand elle dessine, est aussi imprégnée que le plus grand peintre - comme tous les enfants. c'est curieux ce sens naturel comme le théâtre - ou faire des photos - ou l'ordinateur, tout ça : naturel. quel est l'artificiel ?
"Et l'mot magique ?"
"C'est bon, je vais pas te dire "s'il te plaît" pour que t'ailles prendre ta douche quand même !"
on regarde les prisonniers tourner en rond dans la cour. je trouve terrible la prison, mais pas Pierre, il trouve normal la régulation. on parle des choses "normales" et de l'idée de changer le monde, de l'améliorer. Pierre veut aller en Afrique. je parle de cet homme dont j'ai lu l'histoire dans le supplément du "Monde" en anglais : après une vie de débauche (toujours la même histoire) à prendre de la coke et à s'amuser en boîte, il a une révélation spirituelle au Brésil au cours d'un voyage et depuis il a fondé une association humanitaire, Charity : Water, qui récolte des fonds avec des méthodes marketing modernes. Cléelie écoute tout ce qu'on dit (particulièrement quand on parle entre nous). elle essaie constamment de nous entraîner dans ses jeux, dans ses histoires, mais elle est très curieuse quand nous parlons sans s'adresser à elle. elle pose parfois une question, une question psychologique qui fait dire à Pierre : "Elle écoute tout, en fait."
le projet est d'aller à la mer, toujours reporté en fait.
"en fait" est le mot du jour...
"barbarie", aussi. "C'est aux portes de la barbarie que nous entraîne..." voici comment est présenté le spectacle de Rachid Ouramdane dans le programme du festival d'Avignon, je remarque que ce mot ne me donne pas du tout l'idée qu'il veut exprimer : ça a l'air chouette, la "barbarie" ("orgue de barbarie")...
Pierre monte et me dit : "Alors, monsieur - tu viens ou tu viens pas ?"
tout ce que dit Cléelie est naturellement poétique : "Est-ce que j'peux mettre la robe bleue ? - La robe bleue ? Celle que tu avais l'autre jour ? - Ben, oui, c'est elle. Avec les papillons blancs."
au supermarché deux manières, laquelle est la meilleure ? la mienne, c'est d'acheter les produits les plus bio, celle de Pierre les moins chers. le village est réel, le supermarché ne l'est pas. pas assez.
la sieste
"Pourquoi faut-il tenir à ce point à ce à quoi on tient ?"
pour écrire cette phrase je me suis réveillé avec cette expression : "J'ai l'cafard." qui est de ma mère et que j'ai lue tout à l'heure dans le livre de Cioran de 1941, De la France, où il dit : "Voici le mot le plus fréquent aussi bien dans le beau monde que dans la basse société." - j'avais remarqué que cette expression ne se disait plus, je l'avais dit à Pierre qui m'avait dit que lui non plus ne connaissait pas ce mot - donc, en me réveillant, j'y repense, "Un coup d'cafard..." je pense à ma mère qui pleure chaque fois que nous partons de Bretagne à la fin de l'été, même pas des vacances, même pas de l'été, mais de partir, je me demande pourquoi elle pleure (ce que je me demandais à l'époque), je me demande si elle pleure comme Cléelie et si elle pleurait dans le souvenir d'être partie pour la première fois avec sa sœur à dix-huit ans au volant d'une Dauphine pour enseigner en Normandie, là où elles ont beaucoup pleuré (ça nous a été raconté plein de fois) - ensuite je veux écrire tout ça, je pense même : comme un moyen de me sortir de cette dépression et de cette sieste, aller "vers le soir", toujours l'expression magique. puis je pense que c'est un sujet qui me dégoûte parce que je ne la connais pas, ma mère, je ne saurais rien en dire de général, c'est un sujet qui me répugne par inconnaissance et c'est ainsi, je crois, que je pense à Peter Handke ("L'ignorance est une infirmité.") qui, lui, a très bien parlé de sa mère dans un livre remarquable m'a-t-on dit (Le Malheur indifférent). je me vois entrer dans une librairie au retour d'ici, à Avignon par exemple, et demander le livre qui doit être en poche maintenant (Folio) et le lire (car c'est si important pour moi) puis je repense à ce que dit Jeanne Moreau ("Jeanne" : prénom de ma mère) dans son interview du festival d'Avignon à propos de Peter Handke : "A l'époque de La Chevauchée sur le lac de Constance, j'étais très proche de lui (ils étaient amants) mais j'ai cessé de lui parler quand il est allé sur la tombe de Milosevitch, je vais peut-être lui réécrire parce que je crois qu'il est très seul et qu'au fond je suis fidèle." voici, je crois, ce qui m'a amené à cette phrase : "Pourquoi faut-il tenir à ce point à ce à quoi on tient ?" même ce génie, cet homme supérieur s'est laissé rattraper par ce à quoi il tenait, le passé pro-nazi où je ne sais quoi de sa famille (Rémy m'a parlé d'un livre qu'il lisait sur ce sujet) et je pensais à cette manière qu'on a de rester attaché par rapport, par exemple, à la nourriture... - des pensées que j'avais eues tout à l'heure avant l'heure de la sieste
j'apprends à parler à Pierre à travers Cléelie... une remarque qui, si je l'adressais à Pierre trahirait un agacement, mais si je m'adresse à Clélie comme si elle était ma fille avec ma manière de voir...
Cléelie, son influence
le baiser
on est dans le plus beau pays du monde et comment y résister ? le pays, la terre, c'est le soir, tous les p'tits bruits, les montagnes, la mer. l'impression de n'avoir rien à dire, dois-je le dire, pendant mon séjour sur terre - à quoi bon ?
nous sommes à l'Ouest, les aloès, les cloches, les chiens de mille pays, le chien, l'autoroute qui transporte les tomates de Hollande (l'aberration) et les lignes, les maisons comme Marseille, la saleté, le n'importe quoi
Pierre se penche et me fait un baiser, le baiser me tourne la tête
les incroyables piques des aloès comme formes. on pique dans le paysage, dans le ciel. le paysage est moderne, le village est moyenâgeux, le paysage est moderne, les insectes sont du futur
français, oui, le soleil - comme un métier - se cache. Pierre n'a pas de vacances assez longtemps - mais ce mystère, nous l'embrassons
la mer détache un drap blanc sur tout cela, précise, les mouettes sont les envoyés de l'au-delà. les cactus, les aloès font partie de l'architecture, les palmiers aussi d'ailleurs
"- On est à l'Ouest. - Non, on est en Italie !" on voit, très loin, le détail des crêtes, les petits palmiers sur la ligne fluctuante, redondante. "Si j'étais pas une petite fille, j'aimerais être un koala." on crie en direction des prisonniers : "Vous êtes des papillons !"
Cléelie écrit à l'ordinateur : KOALA YVES-NOEL PIERRE CLELIE PAPOUNET RIDEAU
je lis dans Cioran : "Aucun Français n'écrit irrémédiablement mal. Tous voient la forme avant l'idée."
j'avais envie de dire maintenant à quel point Mark Tompkins et Jean-Louis Badet sont gentils avec moi, ils ont vus beaucoup de mes spectacles depuis le premier, En attendant Genod, ce sont eux qui en ont vus le plus, jusqu'au dernier, Vénus & Adonis, et ils m'ont couvert de compliments à chaque fois (sauf pour Dictionnaire des Açores), c'est très très agréable et d'un grand réconfort de sentir leur enthousiasme et leur disponibilité toujours renouvelée (comme celle des enfants), je pense beaucoup à eux quand je fabrique des spectacles, j'espère toujours qu'ils me disent - comme ils me disent souvent - : "Encore une fois, tu nous as ébloui !"
l'amour des textes m'a conduit jusqu'à Shakespeare, jusqu'à Shakespeare et avec tout le monde
Cioran écrit aussi : "Chacun sait se présenter, chacun sait quelque chose."
on devient gaga avec cette petite. aujourd'hui je lui ai dit : "tu vas sur la place du village et tu dis : "Je m'appelle Cléelie, j'ai cinq ans et je voudrais jouer avec une petite Italienne." ou : "Je m'appelle Cléelie, j'ai cinq ans et je voudrais jouer avec un petit Italien." la chose l'inquiétait (un ordre ?) mais la variation l'enchante. dans la descente, près de la piccola chiesa, je chantais : "Il était gai comme un Italien quand il sait qu'il aura de l'amour et du vin...", elle me demande d'où me vient cette chanson, je lui dit : "De mon ancienne copine qui la chantait très bien et qui s'appelait Anne de Sterk." elle me demande si elle est vivante. "Oui, oui."
je lui dis la phrase que j'ai écrite :
"- Quelle petite ? - Devine ! - (Un temps.) Vous r'ssemblez comme avant."
nous découvrons que le village, en fait, a subi un tremblement de terre un triste jour de février 1887, un funeste tremblement de terre, il y a une liste des morts
maintenant Clélie chantonne et invente des histoires tandis que son père que j'ai traité comme une femme - et ça l'excite - prépare le repas
Cioran écrit de belles phrases :
"La clé donnant accès aux doux secrets de la terre se trouve en-dehors du christianisme. - L'intelligence et les sens peuvent s'accorder et même s'entraider. Mais quand intervient l'âme, avec ses incertitudes obscures, la paix est troublée. L'homme dévoile alors son essence souterraine ou céleste - et le plaisir, fleur de l'immanence, se fane. Etre superficiel avec style est plus difficile qu'être profond. Dans le premier cas, il faut beaucoup de culture ; dans le second, un simple déséquilibre des facultés. La culture est nuance ; la profondeur, intensité. Sans une dose d'artificiel, l'esprit humain se brise sous le poids de la sincérité, cette forme de barbarie."
"Aux antipodes de l'héroïsme se trouve l'amour de la vie en tant que telle."
les angoisses de Clélie se sont déplacées des volcans (où nous allons aller, en Auvergne) aux tremblements de terre - elle sait ce que c'est, elle en a vu dans un film et elle a pleuré. je me demandais tout à l'heure si je lui parlais du tsunami (pour faire le tour)
ce qui m'a fait repenser à ce livre d'Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne
aujourd'hui tout le monde s'est levé tôt sauf moi, un rhume... hier Clélie a eu une crise régressive assez pénible (elle fait l'animal, elle retrouve sa sucette, elle ne parle plus qu'en couinements, elle lance du sable) suivie d'une crise de sagesse où elle s'est même excusée, son père a cru que c'était de la scène dans le magasin, non, c'était d'avoir lancé du sable (peut-être, imaginé-je, que, le jouet, elle le veut toujours), elle est alors incroyablement attentive, pleine de bonnes résolutions, elle fait des cadeaux à une petite fille plus petite qu'elle dans une poussette, le soir elle écrira une lettre à sa mère à haute voix (sans doute en regardant la photo) : "Je t'aime de toutes mes forces, tu sais." ou quelque chose dans ce genre, on arrive même à lui parler de son régime alimentaire et elle semble entendre que nous ne sommes pas seulement des "ramat-joie" comme elle avait dit à son père à trois ans...
et Pierre crie : "C'est quoi ces conneries ?"
Pierre m'explique ensuite la "catastrophe" : elle s'est suspendue à une corde qui sert de rambarde au petit escalier, le truc s'est décroché (les chevilles se sont arrachées) et elle est tombée, heureusement pas de très haut, y a plein de poussière de plâtre partout
mais au moment où tout cela arrivait je lisais justement ceci :
"Un peuple a de la vitalité tant qu'il accumule des forces dangereuses pour lui et pour les autres. Mais quand le déséquilibre et la révolte commencent à se neutraliser, quand chaque instant du présent n'est plus l'occasion de crise féconde, d'avenir, sa tension ne dépasse plus le seuil du temps. Il devient dépendant du temps. Et les événements l'accablent. Le phénomène de la décadence révèle le glissement de la dépendance au temps."
Cléelie n'arrête pas de faire de somptueux dessins qui ne servent à rien. (le naïf ne correspond pas.) elle reproduit le même motif d'une tête de chat dans des variations de couleur et de format très réussies. On dirait du Munch. je plaisante souvent en disant à Pierre qu'on va bientôt ouvrir une boutique, le village est plein de ces "artisans" qui l'ont réhabilité
le "Elle" unique
dans la maison il y a un magazine. ce n'est pas que j'ai spécialement envie de reparler d'Hélèna, mais le fait est qu'il y a son nom en couverture : "Et la semaine prochaine "Les Ondes du désir" par Hélèna Villovitch" (le titre était de Sandra). c'est le numéro du 30 juillet 2007, juste après Avignon. alors on lit le "Elle" unique. ça me semble si loin. on regarde surtout le top model Karolina Kurkova absolument pornographique. c'est dans les pages que je regardais avant de rencontrer Hélèna, que je ne regardais plus pendant Hélèna et que je peux regarder de nouveau sans angoisse depuis que j'ai quittée Hélèna. d'ailleurs c'est Pierre qui me les montre : "La Russe dans le "Elle" est très belle." incroyablement belle. je dis : "On comprend qu'il y ait les guerres... Hélène de Troye." dans le magazine, quand on cesse de regarder uniquement Karolina, on s'aperçoit qu'on parle aussi d'Ischia, cette île au large de Naples qui est le lieu du roman de Pascal Quignard que j'ai lu récemment, Villa Amalia. j'ai un problème avec ce roman. à un moment la petite fille meurt, comme ça, pour rien : elle s'est étouffée avec une cacahuète et elle meurt, c'est le bonheur absolu et, voilà, tout d'un coup elle est morte. je n'arrive pas à me défaire de cette saloperie (ça fait maintenant plusieurs semaines que je l'ai lue). le roman était très bien, mais il n'y a plus que ça : mort brutale de petite fille au milieu. tout un livre pour coincer le lecteur avec ça. je suis pas d'accord
j'entends dans mon dos une phrase étrange : "On n'est pas dans la rue comme à Paris, ici." Pierre a sorti le flacon de bulle de savon qu'utilisait Felix dans le spectacle de Chaillot et Cléelie ne peut pas courir après les bulles, tout est en escalier
j'aime faire des leçons de choses à Cléelie. tout à l'heure, sur le lit (notre lit mais qui est pendant la journée sa "maison") on a listé les catastrophes naturelles : les volcans, les tremblements de terre, les tsunamis donc et les tornades. Cléelie tenait absolument à y associer les dinosaures (bien que le diplodocus ne mange que de l'herbe). on est parti ensuite sur leur disparition. là tout le monde était à égalité. Cléelie, plutôt que le grand froid, penchait plutôt pour le désert : le soleil avait poursuivi les dinosaures partout où ils allaient jusqu'à les faire se dessécher, se "déshydrater" (c'est le mot qu'elle a parfaitement intégré cet été) et ne leur laisser que la peau sur les os et ensuite que les os, c'est à dire rien du tout - elle le sait parce qu'elle l'a vu à la télé. mais au bout d'un moment Cléelie en a mare, elle dit : "Tu veux bien arrêter d'papoter ?" Pina Bausch..
je suis dehors, les rondes collines comme des seins avec, entre les deux, la mer
une cloche vaut pour toute la vallée : midi
sur la route en venant jusqu'ici, on citait les noms des montagnes, quand on les savait ou quand on les lisait sur le bord de l'autoroute : la montagne Sainte-Victoire, le massif des Maures, l'Esterel... la mer borde tout ça, un bleu abstrait, un néant aujourd'hui. la ligne de l'horizon effacée par l'évaporation. quand je parle à Clélie, je pense à mon père et à ma mère et à mon psy : c'est pas évident, tout ça ! je me dis que j'aimerais bien relire Françoise Dolto quand il y a un problème sur lequel je bute. tout est tellement psychologique... cette petite fille... tout a tellement à vivre... les plantes, les insectes, les hirondelles et ces milliards de fourmis
je lis un "Hot reportage", Ma journée sans culotte, d'Alix Girod de l'Ain, la rivale d'Hélèna qui me fait beaucoup rire
la prison, on n'y pense plus - tant pis pour ces tristes prisonniers. certains font des études. Clélia les délivrera-t-elle ?
dans les mille maisons qui nous font face, toutes détaillées... - à quoi bon finir les phrases ?
le vent, le jour, la terre, tout ce qui fait plaisir, la terre, le vin blanc en apéro, la terrasse, le papillon blanc, l'olivier plein d'olives jeunes et ces serres inutilisées, cette tentative de faire d'l'argent... la maison, le bord, les succulentes...
"On mange en bas !" prévient Cléelie déjà attablée (devant ses féculents et ses sucres)
le charme restant d'un ventre de bébé
Cléelie a toujours un argument qui lui paraît définitif : "C'est mon papa !" mais j'en ai un autre qui la laisse sans réponse : "Oui, mais c'est mon amoureux." On sent une lutte en elle, elle aimerait autant que son papa soit son amoureux et puis voilà on n'en parlerait plus, je serais un ami de la famille... elle m'aime beaucoup, cela dit
Cléelie est une petite fille très facile, très disponible, très joyeuse, contente pour un rien, qui s'occupe et dessine, toujours prête à jouer ou à écouter ou à vivre. c'est très facile de s'occuper d'elle à part ce problème de la nourriture qui nous laisse un peu désarmés, Pierre et moi, parce que nous nous souvenons des scènes de hurlements quand nos pères nous obligeaient à manger ce que nous n'aimions pas - et puis aussi parce que sa mère, Axeelle, a lâché prise pour elle-même avec cette question
on aimerait que Cléelie soit la plus belle à l'adolescence, celle qui ferait tourner les cœurs, la top model, elle descendrait sur la côte à mobylette et, pour le moment, elle est très très très jolie, adorable, y a qu'à voir les photos, mais, toute nue sur la plage, son ventre n'a plus seulement le charme de celui d'un bébé, c'est aussi un ventre gras
Pierre est incroyablement beau durant ce séjour (là-aussi, y a qu'à voir les photos). c'est incroyable les possibilités de ce type, placez-le dans n'importe quel milieu, il s'y déploie, c'est un caméléon... ici il a l'air plus italien qu'un Italien, ce qui n'est pas peu dire... ou alors sur la plage, avec un temps un peu frais et un T-shirt rayé il a l'air breton, j'ai envie de l'emmener à Ouessant. j'aimerais aussi l'emmener dans un domaine naturiste, ça lui irait si bien, mais ça, ce n'est pas possible. pas sur le principe, mais Pierre vient du Nord et a vécu avec Axeelle dans un milieu très dur, ils ne comprendraient pas. (ça ne ferait que rajouter à la perversion.) Cléelie et lui sont mes modèles, Cléelie demande : "Pourquoi tu me prends toujours en photo et aussi toujours papa ?" c'est aussi que j'ai découvert depuis quelques jours les disponibilités de mon Iphone : aucun bruit, toutes les photos sont belles, la lumière, les couleurs, tous les cadrages, la vie... l'ensemble de mes photos est alors comme un film. je plaisante : "L'année prochaine à Arles !" c'est vrai que j'ai du mal à comprendre comment la photo peut être un art, maintenant, avec ces possibilités extraordinaires données à tous
sauf bien sûr le travail de Véronique Ellena, Duane Michals... mais même Nan Goldin, maintenant tout le monde en fait, du Nan Goldin... (si on suppose que c'est sans rapport à la drogue)
il y a aussi Rimaldas Viksraitis, dont j'avais promis d'écrire le nom - Grimaces of the Weary Village - et bien sûr Martin Parr...
Paul Eluard parle des moments de la vie comme des "instants échappés au processus du temps"
en relisant mes notes de notre séjour à Arles, je trouve ce début de one man show :
"Tout ce que je dis est de l'or... Dites-moi une phrase et, vous verrez, je la transforme en or..."
j'aimerais revenir à Avignon l'année prochaine, jouer un mois dans le off, peut-être dans la très belle salle de La Condition des Soies, le théâtre de Benjamin, un one man show sur le thème de Duras avec un titre un peu accrocheur, pour remplir : Duras, la pute. qu'en pensez-vous ? il faudrait que je me trouve un mécène...
le temps s'amenuise : nous partons dans quelques jours.
je demande à Pierre : "Dans combien d'dodos ?" à la mode de Cléelie. Pierre me suggère de parler comme ça professionnellement. "Allo, c'est pour votre résidence en Thaïlande... - Je rentre à Paris dans quatre dodos, je vous rappelle." on rit. "Ce s'rait bien ! Ça leur f'rait peur."
le monde est tellement de droite ! c'est ça que mes parents ne m'ont pas appris. être une grande puissance, par exemple
Cioran parle de la décadence. il me semble que j'ai parlé de la décadence avec cette association : Le Dispariteur. "Peu de gens se rendent compte lucidement du style complexe de la décadence, peu ont conscience du phénomène que la force du devenir les contraint de vivre." c'est avec l'instinct de la pleine santé que l'on joue, même des spectacles décadents. tout spectacle
maintenant vient l'heure où on a eu tant de bonheur la veille au soir... l'idée de reprendre le chemin de la mer ou le chemin du village, les meilleures heures. tous les insectes s'amenuisent, l'espace est à tous
il y avait Pierre quand on levait la tête, il n'est plus là, rien ne fait peur (sur la terrasse du haut)
plus de question, il n'y a plus qu'à vivre l'impressionnisme de la technologie, la photo à la définition infinie, tous les détails, la musique au rendu inouï, la technologie de la grâce...
"Je rêve d'une culture d'oracles en logique, de Pythies lucides..., et d'un homme qui contrôlerait ses réflexes par un supplément de vie, et non par austérité."
vous savez, ce bonheur, je ne sais pas si ça dira quelque chose à quelqu'un : c'est comme de vivre sur une autre planète
autrement dit, Pierre : "C'est génial de ne rien foutre."
il est temps
je mange une feuille d'olivier. manducation. Pierre me parle de Spinoza qu'il a lu quand il a quitté Axeelle
on va toujours au même restaurant parce qu'il est au bord de la route à la sortie (ou à l'entrée) du village et qu'il surplombe la mer, la vallée, le ciel, la soirée jusqu'aux montagnes. je m'installe toujours face à la mer et Cléelie face aux montagnes et elle exige que Pierre soit à côté d'elle. le serveur plaît beaucoup à Pierre, ce soir on a su son nom : Francesco (Cléelie a présenté tout le monde). il y a aussi un trisomique qui sert avec une certaine violence très agréable. tous les soirs la même musique : une compile de Mickael Jackson. c'est le restaurant le plus animé, le plus populaire et aussi on y mange très bien, mais c'est tout un ensemble. aujourd'hui une assemblée d'hommes qui se sont retournés quand nous sommes arrivés fait penser à Une Femme sous influence. Pierre parle de Bruno de temps en temps - "Bruno, je l'imagine très bien ici" - qui nous prête la maison. on se couvre d'anti-moustique et grâce à ça, ça va. Cléelie, curieusement, n'est pas du tout piquée, comme si les moustiques ne la voyaient pas. Pierre propose à Cléelie qui manque de papier de dessiner sur la nappe "comme les grands peintres", dit-il, et : "Y en a deux qui ont souvent un crayon à la main pendant les vacances."
"J'en ai assez qu'tu m'prennes en photo, tu sais."
et c'est sur Queen que j'ai compris le sens de la vie
les microdrames
c'est vrai qu'on affabule, mais Francesco est de plus en plus agréable. je fais mine de jouer la jalousie. des scènes imaginaires. "les microdrames", dit Pierre. il répond : "Ça va s'finir sur la banquette arrière de ma voiture." c'est à dire que Francesco a proposé comme la veille un digestif. comme j'ai décliné et que Pierre a choisi la grappa, Francesco s'est touné vers lui et a dit : "Pour toi seulement." Pour toi seulement, c'est le titre de ce microdrame. il y a de drôles de lézards sur le mur, très clairs avec des pattes-ventouses et des yeux globuleux... et il y a toutes ces sortes de chiens complètement désassortis, un de chaque, très moches...
ah ! avoir touché la vérité et en avoir été expulsé (toujours sur Queen)...
on est tous les deux sur la terrasse, toujours ce coq bizarre, enroué. le monde pourrait être un jardin, un jardin industriel, c'est ce qu'il est
si on n'est pas réveillé, si la terrasse ennuie, on remonte dans la chambre, c'est un plaisir de retrouver la tiédeur, le monde des rêves. la petite dort sur le ventre d'une manière délicatement obscène
galaxies
aujourd'hui leçon de choses sur le ciel et l'univers. notre lune
je suis un peu intimidé de raconter des choses que je comprends à peine évidemment, mais elle semble dans l'coup... son père lui a très bien parlé des étoiles filantes hier au soir, alors...
la lune qui tourne, la terre qui tourne, le soleil qui tourne, la voie lactée... "40 Years Ago, the World Watched Humans Set Foot on Lunar Soil", c'est en anglais dans le New York Times... "Men Walk on Moon", "Astronauts Land on Plain; Collect Rocks, Plant Flag". Cléelie a mis sa somptueuse robe verte, celle que Pierre avait mouillée pour la défroisser et qui a séché pendant la nuit
"Et en d'ssous d'la terre, c'est du feu."
"Parce qu'on dit qu'on est sur l'écorce terrestre comme l'écorce d'un arbre."
puis on joue au "Tu préfères" (c'est un jeu que je propose), par exemple : "Tu préfères être un diplodocus qui fait de l'alpinisme ou une bulle de savon qui parle anglais ?" (Cléelie préfère la bulle de savon.) il y a un jeu que Cléelie adore, c'est de faire la maîtresse (et nous les élèves, bien sûr) : on dirait Isabelle Adjani dans La Journée de la jupe
je pense encore à mes parents qui étaient instituteurs. je me dis que ça doit être impossible maintenant. mon père lançait des craies sur les élèves et, parfois, la brosse. d'un côté les enfants sont devenus rois, de l'autre, l'autorité a été pulvérisée. je demande à Pierre s'ils en parlent au ministère. Pierre dit : "Que faire quand un enfant dit : "J'm'en fous." ?"
mon père s'était passionné pour la technique Freinet
Pierre raconte une scène de collège : pour énerver un prof de physique tous les enfants s'étaient mis d'accord pour faire au même moment des choses apparemment insignifiantes comme regarder sans raison dans un angle de la classe ou bien émettre un petit sifflement entre les lèvres
révolution du voir
l'effort de ne pas écrire, chacun des auteurs, c'est, comme disait Péguy, d'enlever autour de la forme dans le bloc de marbre
comme chaque soir le petit lézard transparent grimpe sur son mur rose
les routes s'enfoncent dans le paysage
le mélange, avec l'imagination, de toutes les vies, c'est pour plus tard. I'm en route now. dawn coming in prismatic beams
je voudrais dire à mes fans : je rêve beaucoup de spectacle, je ne sais pas si j'en referai, mais en ce moment je rêve beaucoup de spectacle. vie et travail mêlés, c'est ma vie. ces spectacles sont les plus beaux, ils m'émerveillent. les solutions que je trouve m'émerveillent.
l'aube est comme un feu pâle, la voiture n'a plus de batterie, nous sommes coincés au village. hier nous avons essayé de la faire démarrer en pente, la fameuse pente de cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer, rien n'y a fait. nous avons rencontré Marie-Eve, une autochtone, qui nous aide. elle m'a fait monter dans sa Méharie alors que je marchais tout seul sur la route après avoir poussé la voiture. elle m'a dit qu'elle me trouvait beau. "Je vous trouve beau." ça m'a semblé tout naturel, je me suis demandé quelques secondes si j'allais devoir coucher, mais en fait (mais peut-être...) ce qu'elle trouvait beau, c'était Pierre aussi, c'était le groupe que nous formions avec la petite depuis quelques jours dans le village. deux hommes et une petite, ça lui rappelait son père et son copain - et elle, sans doute, en petite. elle est arrivée dans le village en 79
pendant qu'il se débattait avec la voiture, Cléelie voulait à tout prix que son père répare son collier - et après tout, quelle urgence ? c'était drôle cette petite qui participait à la situation comme elle pouvait
à la limite de la surdité
Pierre geint un peu dans le lit, jamais d'antipathie, toujours des grognements de plaisir qu'il me communique avec ce langage du cœur. parfois il parle vraiment, un rêve ou un cauchemar très drôle à Remoulins...
il sent que je parle de lui
il s'est retourné, il m'a fait coucou de la main (avec un sourire)
bientôt la petite poussera un soupir
parmi tous ces bruits légers, comme dissous, proches de la surdité, bruits d'autoroute, oiseaux, quelqu'un dans l'infiniment loin tape avec un marteau, quelques klaxons d'une ville, des prisonniers qui crient et puis le coq enroué... - il y a ces animaux qui s'éveillent de leur activité nocturne
et la vie légère, fallacieuse, reprendra avec ses cafés, ses Campari-sodas, ses rencontres
pour encore une journée sous le soleil ou dans la brume (Marie-Eve, hier :"C'est l'Ecosse ou quoi ?")
nest
Pierre est allé s'occuper de la voiture. je garde Cléelie. je lui pose les questions du "Hot test" du "Elle" 2007 (le magazine unique) : "Avec qui aimeriez-vous coucher cet été ? - Devine ! avec mon papa !"
"Ce que les garçons aiment, c'est une cascade de cheveux entre les seins, une dégoulinade de mèches sur les omoplates", c'est tout toi ! - J'ai pas de totottes, moi."
je lui apprends le mot "omoplate", je touche les siennes toute neuves, je lui dis ce que l'on dit, que c'est de là que partaient les ailes quand on en avait. elle dit : "Comme la fée Clochette !" nous sommes dans un nid, de là où nous sommes nous pourrions nous envoler partout dans l'immense vallée
Cléelie, que j'essaie d'entraîner pour une sortie dans l'village, préfère rester : "Si tu veux, je peux t'aider à faire le ménage comme maman."
je l'entends qui dit : "Pas... sage."
"- Qu'est-ce que tu écris ? - En fait, j'écris que t'es pas sage, mais c'est en faux, ne crois pas que c'est en vrai, d'accord ?"
son père lui raconte des histoires d'Aurore pour l'endormir (une princesse Aurore), alors je lui raconte des histoires d'horreur ! Son père a un peu peur au début, il me dit : "Merci..." mais elle, elle en redemande, c'est moi qui me fait peur avec les histoires que je lui invente. je mime aussi l'exaspération, ça la fait rire : "J'en ai assez ! j'en ai ras le bol ! j'en ai plus que ça ! j'en ai plein l'dos ! j'en ai ma claque !..." et je ne sais pas pourquoi je dis : "si ça continue, je vais te vendre ! et pour deux francs, pas cher du tout ! " trop drôle ! mais elle se tourne vers son père et lui demande : "Toi aussi, tu vas me vendre ?" il répond sur le même ton et, là, crise de larmes (mais, que voulez-vous, ce ton ne lui va pas)
loose groups
son père avait quitté sa mère alors qu'elle était tout bébé et avait vécu dix-huit ans avec le même homme. quand il l'avait quitté, pour elle ça avait été un drame (alors qu'elle avait toujours vu sa mère changer de mec sans problème)
c'est elle qui emploie - officiellement, donc - le mot "hippie" qu'on hésitait à utiliser. j'ai croisé Clemente, le vendeur de perles, il était comme encadré dans une fenêtre-tableau au-dessus de la voûte ; je lui ai dit que je le photographiais ; il a dit :"Non, je ne suis pas beau. Avant oui, j'avais les cheveux longs... - Vraiment ? - J'étais jeune aussi !" je m'amuse à regarder ces jeunes gens des années soixante, Pierre se demande ce qu'ils vont devenir quand ils seront vraiment impotents. c'est sûr qu'avec les déambulateurs...
"Elle est gentille, Marie-Eve. - Ah oui, elle est adorable ! - Si elle revient, je lui demanderai si elle peut apporter du fil pour réparer mon collier qui est cassé un peu."
le paysage d'or du corps de Pierre - la peau - cheval translucide - les gémissements infinis, les rêves
Cléelie, perverse ou intelligente raconte que sa mère aussi mange de la purée, des pommes de terre, des frites et des pâtes. après plusieurs répliques insatisfaisantes, j'imagine encore celle-ci : "Les adultes aussi font parfois des bêtises, regarde ton père (son héros) : il fume alors qu'il ne devrait pas." Pierre essaye lui aussi de me trouver un défaut, mais il n'en trouve pas. c'est ça, sa pureté, ne pas voir les défauts des autres. puis finalement : "Il s'est disputé avec quelqu'un au théâtre. - Avec qui ? Pas avec Felix au moins ?", dit la petite qui avoue ainsi son goût des beaux garçons (Yvonnick, Felix...)
une fois qu'elle avait demandé à son père pourquoi il ne se remariait pas et qu'il lui avait dit : "Parce que je préfères les garçons", du tac au tac : "C'est comme moi !"
beauty and abiding mystery
la terre si jolie vue de l'espace
pretty
to see the Earth as it truly is, small and blue...
passer la matinée à la maison, déjeuner là-haut, parfois un apéro dans le village, la sieste puis descendre vers cinq heures à la plage jusqu'au soir, revenir dîner en terrasse, voilà l'organisation de la journée, rentrer avec la lampe de poche
s'éloigner de la côte à la nage
cet éclairage d'été un peu sale de la Méditerranée
le village de l'Italie
"J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de gens en Italie parce que c'est un grand village." c'est difficile qu'un texte n'en soit pas un
la montagne allongée (carapace)
Cléelie dit la mer bleue
la mer grise, elle
nous laisse lui dire
les bonnes appellations
mais sa manière à elle
lui semble la plus
parfaite : mer bleue
mer grise
"la mer bleue est encore
plus grande que la
mer grise"
"voilà ce que j'préfère :
la mer." "j'la vois
de mon côté, j'la vois
de mon côté - mais
on est très haut"
"papa comment on va
faire pour descendre jusqu'à
la mer ?"
les brunes et les blondes
Cléelie immédiatement à l'aise (et nous aussi), la reine de l'Italie. imaginez un paradis, un paradis perché. mais pas un paradis factice, non, simplement : on est quelque part. comme hier j'étais quelque part dans la cour d'honneur du palais des Papes à Avignon pour la deuxième partie d'(A)pollonia par Krzysztof Warlikowski - dans un lieu totalement inoubliable - qui va me changer la vie - ici aussi je suis quelque part dans un lieu inoubliable - qui va me changer la vie. j'ai appris à Cléelie à jouer aux échecs et maintenant elle joue aux dominos. on rêvait de ce qu'elle pouvait faire, avec Pierre. du chant. Pierre disait : "C'est possible, elle chante juste." et moi : "Il faut, il faut, le chant, c'est plus beau que la danse !" et Pierre : "Si elle chante, il faut aussi qu'elle fasse d'un instrument. - Lequel ? - Je ne sais pas. - Du violon, c'est trop difficile ? (ma mère faisait du violon.) - Non... Si elle était avec moi elle ferait du piano bien sûr, mais Axeelle ne la laissera pas, ça lui rappellera trop de mauvais souvenirs."
Cléelie sur le balcon qui domine la vallée parle aux oiseaux, je disais : immédiatement à l'aise
hier Malgorzata merveilleuse m'affirmait que quand elle pensait à un Parisien elle pensait à moi, ça m'a fait tellement plaisir ! mais j'aimerais maintenant voyager au moins en Europe, connaître toutes les langues. j'ai dit à Krzysztof Warlikowski que ses spectacles donnaient l'envie d'apprendre le polonais. il m'a serré dans ses bras. mon Dieu, donnez-moi un cerveau qui me permette d'aimer ! d'aimer aimer ! en tout cas, Cléelie a l'air d'une Italienne, une diva ! elle ressemble aussi à l'héroïne de Au hasard Baltazar à moins que ce soit celle de Pickpocket, ce n'est pas pour étaler ma culture que je le dis : bressonienne -
hier j'ai dragué un beau garçon qui justement me connaissait, il avait vu Vénus & Adonis ! il m'a demandé si je m'étais inspiré des Amours d'Astrée et de Céladon d'Eric Rohmer. non, je ne connais pas encore...
Cléelie : "Punaise, c'qu'on est haut !"
je racontais que mon père, il avait faim, il n'avait pas assez à manger (Pierre : "Le mien aussi !") et que c'était pour ça qu'elle devait finir ses pâtes, elle qui avait la chance de manger... et Cléelie : "J'ai plus faim ! ...plus faim !", dit-elle en cadence. (Verdi.)
"On voit encore les yeux du poisson."
"C'est quand la fête des Pierre ?"
un calme bleu
what can I do to make a difference ?
je suis dehors je suis dedans, le village est moyenâgeux, Cléelie a cinq ans - mais je pense aussi à La Chartreuse de Parme
il y a une prison en contre-bas. c'est fou d'imaginer ça. ça : le monde. "la peinture à l'huile", dit Pierre et Cléelie répète :"la peinture à l'huile ?"
donc le village : pauvre, en ruine, cassé, très belle église baroque effondrée comme d'hier, les pastels des couleurs encore aux morceaux restants et les stucs...
il y a des chats, des arches, des chiens, pas de cochons et je le regrette, d'oies, de chèvres, d'ânes dans les rues pour soutenir l'état de siège
il y a sur la terrasse un calme bleu
"Pourquoi on va pas à la mer ?", Cléelie avait ce rêve toute la journée mais nous, les grands, ne voulions pas bouger
"Je prends des photos d'enfants, d'enfants dans le village." c'est pour écrire que je dis ça. c'est pour commencer
la journée commence, à portée de main
il y a le village, l'enfant, les enfants, tout à l'heure une Italienne descendait la ruelle avec sa petite fille qui pleurait et son tout petit bébé qu'elle allaitait en marchant. elle était comme une Italienne, extrêmement sensuelle avec des cheveux intenses
Pierre joue à l'infini avec son enfant, il ne fait que ça, ils sont amis, il est grand, il est son père, mais elle le considère aussi comme son amoureux et, malgré ses dénégations, il n'en est pas loin. complètement fada de cette petite cruche !
il passe ses journées avec elle, il s'est perché dans un village et il ne fait rien que rester caché avec elle comme en cavale : lui, trente-quatre ans, elle : cinq ans
Cléelie s'est cachée dans l'escalier qui ne mène à rien
Cléelie se cache en haut et en bas de la maison infinie du village infini (c'est l'avant-dernière maison la plus haut perchée). on attend le soir pour sortir, pour sortir nulle part
la maison pure, ouverte, mur, voûte, arche
j'ai retrouvé mon petit bureau portatif
le rire de Pierre est joué, les phrases de Cléelie, le rire de Cléelie, les phrases de Pierre, tout est joué à l'infini. la maison est un jouet, le cerveau est un jouet, Pierre siffle parmi la maison, Cléelie dit des phrases toute faites comme : "C'est fou c'que tu m'as fait peur !", avec l'intonation, les plus belles, ou : "Mais c'est pas grave..."
et puis le temps, pesamment, légèrement, dans l'espace, l'espace du temps, cela devient le soir, "vers le soir", vers les chats, vers le village et j'écris encore des choses qui n'intéresseront personne. "Papa, qu'est-ce qu'il écrit, Yves-Noël ?"
son papa est un prince
c'est très curieux cette indisposition de l'intelligence. les livres lus se rassemblent. Duras, Les petits chevaux de Tarquinia devient un livre de Borges. on n'avait pas pris les affaires de bain, mais du haut du village la mer paraissait si belle quand on est arrivé près de la voiture. j'ai proposé de descendre (contrairement à ce qui avait été décidé), mais Pierre n'avait rien pris ou n'était "pas organisé pour". j'ai proposé que Cléelie se baigne en culotte. "Oui, je peux me baigner en culotte ou je peux me baigner toute nue. - Mais aussi nous n'avons pas de serviette, comment pourrais-tu te sécher ? - Je pourrais me sécher avec ça." c'était ingénieux ! ça, un bambi qu'elle avait traîné et, en effet, il était en peluche. le bambi, Pierre l'a dessiné au café, mais avec une patte arrière trop grosse, en fait qui ressemble à une bite. Cléelie, quand elle dessine, est aussi imprégnée que le plus grand peintre - comme tous les enfants. c'est curieux ce sens naturel comme le théâtre - ou faire des photos - ou l'ordinateur, tout ça : naturel. quel est l'artificiel ?
"Et l'mot magique ?"
"C'est bon, je vais pas te dire "s'il te plaît" pour que t'ailles prendre ta douche quand même !"
on regarde les prisonniers tourner en rond dans la cour. je trouve terrible la prison, mais pas Pierre, il trouve normal la régulation. on parle des choses "normales" et de l'idée de changer le monde, de l'améliorer. Pierre veut aller en Afrique. je parle de cet homme dont j'ai lu l'histoire dans le supplément du "Monde" en anglais : après une vie de débauche (toujours la même histoire) à prendre de la coke et à s'amuser en boîte, il a une révélation spirituelle au Brésil au cours d'un voyage et depuis il a fondé une association humanitaire, Charity : Water, qui récolte des fonds avec des méthodes marketing modernes. Cléelie écoute tout ce qu'on dit (particulièrement quand on parle entre nous). elle essaie constamment de nous entraîner dans ses jeux, dans ses histoires, mais elle est très curieuse quand nous parlons sans s'adresser à elle. elle pose parfois une question, une question psychologique qui fait dire à Pierre : "Elle écoute tout, en fait."
le projet est d'aller à la mer, toujours reporté en fait.
"en fait" est le mot du jour...
"barbarie", aussi. "C'est aux portes de la barbarie que nous entraîne..." voici comment est présenté le spectacle de Rachid Ouramdane dans le programme du festival d'Avignon, je remarque que ce mot ne me donne pas du tout l'idée qu'il veut exprimer : ça a l'air chouette, la "barbarie" ("orgue de barbarie")...
Pierre monte et me dit : "Alors, monsieur - tu viens ou tu viens pas ?"
tout ce que dit Cléelie est naturellement poétique : "Est-ce que j'peux mettre la robe bleue ? - La robe bleue ? Celle que tu avais l'autre jour ? - Ben, oui, c'est elle. Avec les papillons blancs."
au supermarché deux manières, laquelle est la meilleure ? la mienne, c'est d'acheter les produits les plus bio, celle de Pierre les moins chers. le village est réel, le supermarché ne l'est pas. pas assez.
la sieste
"Pourquoi faut-il tenir à ce point à ce à quoi on tient ?"
pour écrire cette phrase je me suis réveillé avec cette expression : "J'ai l'cafard." qui est de ma mère et que j'ai lue tout à l'heure dans le livre de Cioran de 1941, De la France, où il dit : "Voici le mot le plus fréquent aussi bien dans le beau monde que dans la basse société." - j'avais remarqué que cette expression ne se disait plus, je l'avais dit à Pierre qui m'avait dit que lui non plus ne connaissait pas ce mot - donc, en me réveillant, j'y repense, "Un coup d'cafard..." je pense à ma mère qui pleure chaque fois que nous partons de Bretagne à la fin de l'été, même pas des vacances, même pas de l'été, mais de partir, je me demande pourquoi elle pleure (ce que je me demandais à l'époque), je me demande si elle pleure comme Cléelie et si elle pleurait dans le souvenir d'être partie pour la première fois avec sa sœur à dix-huit ans au volant d'une Dauphine pour enseigner en Normandie, là où elles ont beaucoup pleuré (ça nous a été raconté plein de fois) - ensuite je veux écrire tout ça, je pense même : comme un moyen de me sortir de cette dépression et de cette sieste, aller "vers le soir", toujours l'expression magique. puis je pense que c'est un sujet qui me dégoûte parce que je ne la connais pas, ma mère, je ne saurais rien en dire de général, c'est un sujet qui me répugne par inconnaissance et c'est ainsi, je crois, que je pense à Peter Handke ("L'ignorance est une infirmité.") qui, lui, a très bien parlé de sa mère dans un livre remarquable m'a-t-on dit (Le Malheur indifférent). je me vois entrer dans une librairie au retour d'ici, à Avignon par exemple, et demander le livre qui doit être en poche maintenant (Folio) et le lire (car c'est si important pour moi) puis je repense à ce que dit Jeanne Moreau ("Jeanne" : prénom de ma mère) dans son interview du festival d'Avignon à propos de Peter Handke : "A l'époque de La Chevauchée sur le lac de Constance, j'étais très proche de lui (ils étaient amants) mais j'ai cessé de lui parler quand il est allé sur la tombe de Milosevitch, je vais peut-être lui réécrire parce que je crois qu'il est très seul et qu'au fond je suis fidèle." voici, je crois, ce qui m'a amené à cette phrase : "Pourquoi faut-il tenir à ce point à ce à quoi on tient ?" même ce génie, cet homme supérieur s'est laissé rattraper par ce à quoi il tenait, le passé pro-nazi où je ne sais quoi de sa famille (Rémy m'a parlé d'un livre qu'il lisait sur ce sujet) et je pensais à cette manière qu'on a de rester attaché par rapport, par exemple, à la nourriture... - des pensées que j'avais eues tout à l'heure avant l'heure de la sieste
j'apprends à parler à Pierre à travers Cléelie... une remarque qui, si je l'adressais à Pierre trahirait un agacement, mais si je m'adresse à Clélie comme si elle était ma fille avec ma manière de voir...
Cléelie, son influence
le baiser
on est dans le plus beau pays du monde et comment y résister ? le pays, la terre, c'est le soir, tous les p'tits bruits, les montagnes, la mer. l'impression de n'avoir rien à dire, dois-je le dire, pendant mon séjour sur terre - à quoi bon ?
nous sommes à l'Ouest, les aloès, les cloches, les chiens de mille pays, le chien, l'autoroute qui transporte les tomates de Hollande (l'aberration) et les lignes, les maisons comme Marseille, la saleté, le n'importe quoi
Pierre se penche et me fait un baiser, le baiser me tourne la tête
les incroyables piques des aloès comme formes. on pique dans le paysage, dans le ciel. le paysage est moderne, le village est moyenâgeux, le paysage est moderne, les insectes sont du futur
français, oui, le soleil - comme un métier - se cache. Pierre n'a pas de vacances assez longtemps - mais ce mystère, nous l'embrassons
la mer détache un drap blanc sur tout cela, précise, les mouettes sont les envoyés de l'au-delà. les cactus, les aloès font partie de l'architecture, les palmiers aussi d'ailleurs
"- On est à l'Ouest. - Non, on est en Italie !" on voit, très loin, le détail des crêtes, les petits palmiers sur la ligne fluctuante, redondante. "Si j'étais pas une petite fille, j'aimerais être un koala." on crie en direction des prisonniers : "Vous êtes des papillons !"
Cléelie écrit à l'ordinateur : KOALA YVES-NOEL PIERRE CLELIE PAPOUNET RIDEAU
je lis dans Cioran : "Aucun Français n'écrit irrémédiablement mal. Tous voient la forme avant l'idée."
j'avais envie de dire maintenant à quel point Mark Tompkins et Jean-Louis Badet sont gentils avec moi, ils ont vus beaucoup de mes spectacles depuis le premier, En attendant Genod, ce sont eux qui en ont vus le plus, jusqu'au dernier, Vénus & Adonis, et ils m'ont couvert de compliments à chaque fois (sauf pour Dictionnaire des Açores), c'est très très agréable et d'un grand réconfort de sentir leur enthousiasme et leur disponibilité toujours renouvelée (comme celle des enfants), je pense beaucoup à eux quand je fabrique des spectacles, j'espère toujours qu'ils me disent - comme ils me disent souvent - : "Encore une fois, tu nous as ébloui !"
l'amour des textes m'a conduit jusqu'à Shakespeare, jusqu'à Shakespeare et avec tout le monde
Cioran écrit aussi : "Chacun sait se présenter, chacun sait quelque chose."
on devient gaga avec cette petite. aujourd'hui je lui ai dit : "tu vas sur la place du village et tu dis : "Je m'appelle Cléelie, j'ai cinq ans et je voudrais jouer avec une petite Italienne." ou : "Je m'appelle Cléelie, j'ai cinq ans et je voudrais jouer avec un petit Italien." la chose l'inquiétait (un ordre ?) mais la variation l'enchante. dans la descente, près de la piccola chiesa, je chantais : "Il était gai comme un Italien quand il sait qu'il aura de l'amour et du vin...", elle me demande d'où me vient cette chanson, je lui dit : "De mon ancienne copine qui la chantait très bien et qui s'appelait Anne de Sterk." elle me demande si elle est vivante. "Oui, oui."
je lui dis la phrase que j'ai écrite :
"- Quelle petite ? - Devine ! - (Un temps.) Vous r'ssemblez comme avant."
nous découvrons que le village, en fait, a subi un tremblement de terre un triste jour de février 1887, un funeste tremblement de terre, il y a une liste des morts
maintenant Clélie chantonne et invente des histoires tandis que son père que j'ai traité comme une femme - et ça l'excite - prépare le repas
Cioran écrit de belles phrases :
"La clé donnant accès aux doux secrets de la terre se trouve en-dehors du christianisme. - L'intelligence et les sens peuvent s'accorder et même s'entraider. Mais quand intervient l'âme, avec ses incertitudes obscures, la paix est troublée. L'homme dévoile alors son essence souterraine ou céleste - et le plaisir, fleur de l'immanence, se fane. Etre superficiel avec style est plus difficile qu'être profond. Dans le premier cas, il faut beaucoup de culture ; dans le second, un simple déséquilibre des facultés. La culture est nuance ; la profondeur, intensité. Sans une dose d'artificiel, l'esprit humain se brise sous le poids de la sincérité, cette forme de barbarie."
"Aux antipodes de l'héroïsme se trouve l'amour de la vie en tant que telle."
les angoisses de Clélie se sont déplacées des volcans (où nous allons aller, en Auvergne) aux tremblements de terre - elle sait ce que c'est, elle en a vu dans un film et elle a pleuré. je me demandais tout à l'heure si je lui parlais du tsunami (pour faire le tour)
ce qui m'a fait repenser à ce livre d'Emmanuel Carrère, D'autres vies que la mienne
aujourd'hui tout le monde s'est levé tôt sauf moi, un rhume... hier Clélie a eu une crise régressive assez pénible (elle fait l'animal, elle retrouve sa sucette, elle ne parle plus qu'en couinements, elle lance du sable) suivie d'une crise de sagesse où elle s'est même excusée, son père a cru que c'était de la scène dans le magasin, non, c'était d'avoir lancé du sable (peut-être, imaginé-je, que, le jouet, elle le veut toujours), elle est alors incroyablement attentive, pleine de bonnes résolutions, elle fait des cadeaux à une petite fille plus petite qu'elle dans une poussette, le soir elle écrira une lettre à sa mère à haute voix (sans doute en regardant la photo) : "Je t'aime de toutes mes forces, tu sais." ou quelque chose dans ce genre, on arrive même à lui parler de son régime alimentaire et elle semble entendre que nous ne sommes pas seulement des "ramat-joie" comme elle avait dit à son père à trois ans...
et Pierre crie : "C'est quoi ces conneries ?"
Pierre m'explique ensuite la "catastrophe" : elle s'est suspendue à une corde qui sert de rambarde au petit escalier, le truc s'est décroché (les chevilles se sont arrachées) et elle est tombée, heureusement pas de très haut, y a plein de poussière de plâtre partout
mais au moment où tout cela arrivait je lisais justement ceci :
"Un peuple a de la vitalité tant qu'il accumule des forces dangereuses pour lui et pour les autres. Mais quand le déséquilibre et la révolte commencent à se neutraliser, quand chaque instant du présent n'est plus l'occasion de crise féconde, d'avenir, sa tension ne dépasse plus le seuil du temps. Il devient dépendant du temps. Et les événements l'accablent. Le phénomène de la décadence révèle le glissement de la dépendance au temps."
Cléelie n'arrête pas de faire de somptueux dessins qui ne servent à rien. (le naïf ne correspond pas.) elle reproduit le même motif d'une tête de chat dans des variations de couleur et de format très réussies. On dirait du Munch. je plaisante souvent en disant à Pierre qu'on va bientôt ouvrir une boutique, le village est plein de ces "artisans" qui l'ont réhabilité
le "Elle" unique
dans la maison il y a un magazine. ce n'est pas que j'ai spécialement envie de reparler d'Hélèna, mais le fait est qu'il y a son nom en couverture : "Et la semaine prochaine "Les Ondes du désir" par Hélèna Villovitch" (le titre était de Sandra). c'est le numéro du 30 juillet 2007, juste après Avignon. alors on lit le "Elle" unique. ça me semble si loin. on regarde surtout le top model Karolina Kurkova absolument pornographique. c'est dans les pages que je regardais avant de rencontrer Hélèna, que je ne regardais plus pendant Hélèna et que je peux regarder de nouveau sans angoisse depuis que j'ai quittée Hélèna. d'ailleurs c'est Pierre qui me les montre : "La Russe dans le "Elle" est très belle." incroyablement belle. je dis : "On comprend qu'il y ait les guerres... Hélène de Troye." dans le magazine, quand on cesse de regarder uniquement Karolina, on s'aperçoit qu'on parle aussi d'Ischia, cette île au large de Naples qui est le lieu du roman de Pascal Quignard que j'ai lu récemment, Villa Amalia. j'ai un problème avec ce roman. à un moment la petite fille meurt, comme ça, pour rien : elle s'est étouffée avec une cacahuète et elle meurt, c'est le bonheur absolu et, voilà, tout d'un coup elle est morte. je n'arrive pas à me défaire de cette saloperie (ça fait maintenant plusieurs semaines que je l'ai lue). le roman était très bien, mais il n'y a plus que ça : mort brutale de petite fille au milieu. tout un livre pour coincer le lecteur avec ça. je suis pas d'accord
j'entends dans mon dos une phrase étrange : "On n'est pas dans la rue comme à Paris, ici." Pierre a sorti le flacon de bulle de savon qu'utilisait Felix dans le spectacle de Chaillot et Cléelie ne peut pas courir après les bulles, tout est en escalier
j'aime faire des leçons de choses à Cléelie. tout à l'heure, sur le lit (notre lit mais qui est pendant la journée sa "maison") on a listé les catastrophes naturelles : les volcans, les tremblements de terre, les tsunamis donc et les tornades. Cléelie tenait absolument à y associer les dinosaures (bien que le diplodocus ne mange que de l'herbe). on est parti ensuite sur leur disparition. là tout le monde était à égalité. Cléelie, plutôt que le grand froid, penchait plutôt pour le désert : le soleil avait poursuivi les dinosaures partout où ils allaient jusqu'à les faire se dessécher, se "déshydrater" (c'est le mot qu'elle a parfaitement intégré cet été) et ne leur laisser que la peau sur les os et ensuite que les os, c'est à dire rien du tout - elle le sait parce qu'elle l'a vu à la télé. mais au bout d'un moment Cléelie en a mare, elle dit : "Tu veux bien arrêter d'papoter ?" Pina Bausch..
je suis dehors, les rondes collines comme des seins avec, entre les deux, la mer
une cloche vaut pour toute la vallée : midi
sur la route en venant jusqu'ici, on citait les noms des montagnes, quand on les savait ou quand on les lisait sur le bord de l'autoroute : la montagne Sainte-Victoire, le massif des Maures, l'Esterel... la mer borde tout ça, un bleu abstrait, un néant aujourd'hui. la ligne de l'horizon effacée par l'évaporation. quand je parle à Clélie, je pense à mon père et à ma mère et à mon psy : c'est pas évident, tout ça ! je me dis que j'aimerais bien relire Françoise Dolto quand il y a un problème sur lequel je bute. tout est tellement psychologique... cette petite fille... tout a tellement à vivre... les plantes, les insectes, les hirondelles et ces milliards de fourmis
je lis un "Hot reportage", Ma journée sans culotte, d'Alix Girod de l'Ain, la rivale d'Hélèna qui me fait beaucoup rire
la prison, on n'y pense plus - tant pis pour ces tristes prisonniers. certains font des études. Clélia les délivrera-t-elle ?
dans les mille maisons qui nous font face, toutes détaillées... - à quoi bon finir les phrases ?
le vent, le jour, la terre, tout ce qui fait plaisir, la terre, le vin blanc en apéro, la terrasse, le papillon blanc, l'olivier plein d'olives jeunes et ces serres inutilisées, cette tentative de faire d'l'argent... la maison, le bord, les succulentes...
"On mange en bas !" prévient Cléelie déjà attablée (devant ses féculents et ses sucres)
le charme restant d'un ventre de bébé
Cléelie a toujours un argument qui lui paraît définitif : "C'est mon papa !" mais j'en ai un autre qui la laisse sans réponse : "Oui, mais c'est mon amoureux." On sent une lutte en elle, elle aimerait autant que son papa soit son amoureux et puis voilà on n'en parlerait plus, je serais un ami de la famille... elle m'aime beaucoup, cela dit
Cléelie est une petite fille très facile, très disponible, très joyeuse, contente pour un rien, qui s'occupe et dessine, toujours prête à jouer ou à écouter ou à vivre. c'est très facile de s'occuper d'elle à part ce problème de la nourriture qui nous laisse un peu désarmés, Pierre et moi, parce que nous nous souvenons des scènes de hurlements quand nos pères nous obligeaient à manger ce que nous n'aimions pas - et puis aussi parce que sa mère, Axeelle, a lâché prise pour elle-même avec cette question
on aimerait que Cléelie soit la plus belle à l'adolescence, celle qui ferait tourner les cœurs, la top model, elle descendrait sur la côte à mobylette et, pour le moment, elle est très très très jolie, adorable, y a qu'à voir les photos, mais, toute nue sur la plage, son ventre n'a plus seulement le charme de celui d'un bébé, c'est aussi un ventre gras
Pierre est incroyablement beau durant ce séjour (là-aussi, y a qu'à voir les photos). c'est incroyable les possibilités de ce type, placez-le dans n'importe quel milieu, il s'y déploie, c'est un caméléon... ici il a l'air plus italien qu'un Italien, ce qui n'est pas peu dire... ou alors sur la plage, avec un temps un peu frais et un T-shirt rayé il a l'air breton, j'ai envie de l'emmener à Ouessant. j'aimerais aussi l'emmener dans un domaine naturiste, ça lui irait si bien, mais ça, ce n'est pas possible. pas sur le principe, mais Pierre vient du Nord et a vécu avec Axeelle dans un milieu très dur, ils ne comprendraient pas. (ça ne ferait que rajouter à la perversion.) Cléelie et lui sont mes modèles, Cléelie demande : "Pourquoi tu me prends toujours en photo et aussi toujours papa ?" c'est aussi que j'ai découvert depuis quelques jours les disponibilités de mon Iphone : aucun bruit, toutes les photos sont belles, la lumière, les couleurs, tous les cadrages, la vie... l'ensemble de mes photos est alors comme un film. je plaisante : "L'année prochaine à Arles !" c'est vrai que j'ai du mal à comprendre comment la photo peut être un art, maintenant, avec ces possibilités extraordinaires données à tous
sauf bien sûr le travail de Véronique Ellena, Duane Michals... mais même Nan Goldin, maintenant tout le monde en fait, du Nan Goldin... (si on suppose que c'est sans rapport à la drogue)
il y a aussi Rimaldas Viksraitis, dont j'avais promis d'écrire le nom - Grimaces of the Weary Village - et bien sûr Martin Parr...
Paul Eluard parle des moments de la vie comme des "instants échappés au processus du temps"
en relisant mes notes de notre séjour à Arles, je trouve ce début de one man show :
"Tout ce que je dis est de l'or... Dites-moi une phrase et, vous verrez, je la transforme en or..."
j'aimerais revenir à Avignon l'année prochaine, jouer un mois dans le off, peut-être dans la très belle salle de La Condition des Soies, le théâtre de Benjamin, un one man show sur le thème de Duras avec un titre un peu accrocheur, pour remplir : Duras, la pute. qu'en pensez-vous ? il faudrait que je me trouve un mécène...
le temps s'amenuise : nous partons dans quelques jours.
je demande à Pierre : "Dans combien d'dodos ?" à la mode de Cléelie. Pierre me suggère de parler comme ça professionnellement. "Allo, c'est pour votre résidence en Thaïlande... - Je rentre à Paris dans quatre dodos, je vous rappelle." on rit. "Ce s'rait bien ! Ça leur f'rait peur."
le monde est tellement de droite ! c'est ça que mes parents ne m'ont pas appris. être une grande puissance, par exemple
Cioran parle de la décadence. il me semble que j'ai parlé de la décadence avec cette association : Le Dispariteur. "Peu de gens se rendent compte lucidement du style complexe de la décadence, peu ont conscience du phénomène que la force du devenir les contraint de vivre." c'est avec l'instinct de la pleine santé que l'on joue, même des spectacles décadents. tout spectacle
maintenant vient l'heure où on a eu tant de bonheur la veille au soir... l'idée de reprendre le chemin de la mer ou le chemin du village, les meilleures heures. tous les insectes s'amenuisent, l'espace est à tous
il y avait Pierre quand on levait la tête, il n'est plus là, rien ne fait peur (sur la terrasse du haut)
plus de question, il n'y a plus qu'à vivre l'impressionnisme de la technologie, la photo à la définition infinie, tous les détails, la musique au rendu inouï, la technologie de la grâce...
"Je rêve d'une culture d'oracles en logique, de Pythies lucides..., et d'un homme qui contrôlerait ses réflexes par un supplément de vie, et non par austérité."
vous savez, ce bonheur, je ne sais pas si ça dira quelque chose à quelqu'un : c'est comme de vivre sur une autre planète
autrement dit, Pierre : "C'est génial de ne rien foutre."
il est temps
je mange une feuille d'olivier. manducation. Pierre me parle de Spinoza qu'il a lu quand il a quitté Axeelle
on va toujours au même restaurant parce qu'il est au bord de la route à la sortie (ou à l'entrée) du village et qu'il surplombe la mer, la vallée, le ciel, la soirée jusqu'aux montagnes. je m'installe toujours face à la mer et Cléelie face aux montagnes et elle exige que Pierre soit à côté d'elle. le serveur plaît beaucoup à Pierre, ce soir on a su son nom : Francesco (Cléelie a présenté tout le monde). il y a aussi un trisomique qui sert avec une certaine violence très agréable. tous les soirs la même musique : une compile de Mickael Jackson. c'est le restaurant le plus animé, le plus populaire et aussi on y mange très bien, mais c'est tout un ensemble. aujourd'hui une assemblée d'hommes qui se sont retournés quand nous sommes arrivés fait penser à Une Femme sous influence. Pierre parle de Bruno de temps en temps - "Bruno, je l'imagine très bien ici" - qui nous prête la maison. on se couvre d'anti-moustique et grâce à ça, ça va. Cléelie, curieusement, n'est pas du tout piquée, comme si les moustiques ne la voyaient pas. Pierre propose à Cléelie qui manque de papier de dessiner sur la nappe "comme les grands peintres", dit-il, et : "Y en a deux qui ont souvent un crayon à la main pendant les vacances."
"J'en ai assez qu'tu m'prennes en photo, tu sais."
et c'est sur Queen que j'ai compris le sens de la vie
les microdrames
c'est vrai qu'on affabule, mais Francesco est de plus en plus agréable. je fais mine de jouer la jalousie. des scènes imaginaires. "les microdrames", dit Pierre. il répond : "Ça va s'finir sur la banquette arrière de ma voiture." c'est à dire que Francesco a proposé comme la veille un digestif. comme j'ai décliné et que Pierre a choisi la grappa, Francesco s'est touné vers lui et a dit : "Pour toi seulement." Pour toi seulement, c'est le titre de ce microdrame. il y a de drôles de lézards sur le mur, très clairs avec des pattes-ventouses et des yeux globuleux... et il y a toutes ces sortes de chiens complètement désassortis, un de chaque, très moches...
ah ! avoir touché la vérité et en avoir été expulsé (toujours sur Queen)...
on est tous les deux sur la terrasse, toujours ce coq bizarre, enroué. le monde pourrait être un jardin, un jardin industriel, c'est ce qu'il est
si on n'est pas réveillé, si la terrasse ennuie, on remonte dans la chambre, c'est un plaisir de retrouver la tiédeur, le monde des rêves. la petite dort sur le ventre d'une manière délicatement obscène
galaxies
aujourd'hui leçon de choses sur le ciel et l'univers. notre lune
je suis un peu intimidé de raconter des choses que je comprends à peine évidemment, mais elle semble dans l'coup... son père lui a très bien parlé des étoiles filantes hier au soir, alors...
la lune qui tourne, la terre qui tourne, le soleil qui tourne, la voie lactée... "40 Years Ago, the World Watched Humans Set Foot on Lunar Soil", c'est en anglais dans le New York Times... "Men Walk on Moon", "Astronauts Land on Plain; Collect Rocks, Plant Flag". Cléelie a mis sa somptueuse robe verte, celle que Pierre avait mouillée pour la défroisser et qui a séché pendant la nuit
"Et en d'ssous d'la terre, c'est du feu."
"Parce qu'on dit qu'on est sur l'écorce terrestre comme l'écorce d'un arbre."
puis on joue au "Tu préfères" (c'est un jeu que je propose), par exemple : "Tu préfères être un diplodocus qui fait de l'alpinisme ou une bulle de savon qui parle anglais ?" (Cléelie préfère la bulle de savon.) il y a un jeu que Cléelie adore, c'est de faire la maîtresse (et nous les élèves, bien sûr) : on dirait Isabelle Adjani dans La Journée de la jupe
je pense encore à mes parents qui étaient instituteurs. je me dis que ça doit être impossible maintenant. mon père lançait des craies sur les élèves et, parfois, la brosse. d'un côté les enfants sont devenus rois, de l'autre, l'autorité a été pulvérisée. je demande à Pierre s'ils en parlent au ministère. Pierre dit : "Que faire quand un enfant dit : "J'm'en fous." ?"
mon père s'était passionné pour la technique Freinet
Pierre raconte une scène de collège : pour énerver un prof de physique tous les enfants s'étaient mis d'accord pour faire au même moment des choses apparemment insignifiantes comme regarder sans raison dans un angle de la classe ou bien émettre un petit sifflement entre les lèvres
révolution du voir
l'effort de ne pas écrire, chacun des auteurs, c'est, comme disait Péguy, d'enlever autour de la forme dans le bloc de marbre
comme chaque soir le petit lézard transparent grimpe sur son mur rose
les routes s'enfoncent dans le paysage
le mélange, avec l'imagination, de toutes les vies, c'est pour plus tard. I'm en route now. dawn coming in prismatic beams
je voudrais dire à mes fans : je rêve beaucoup de spectacle, je ne sais pas si j'en referai, mais en ce moment je rêve beaucoup de spectacle. vie et travail mêlés, c'est ma vie. ces spectacles sont les plus beaux, ils m'émerveillent. les solutions que je trouve m'émerveillent.
l'aube est comme un feu pâle, la voiture n'a plus de batterie, nous sommes coincés au village. hier nous avons essayé de la faire démarrer en pente, la fameuse pente de cinq cents mètres au-dessus du niveau de la mer, rien n'y a fait. nous avons rencontré Marie-Eve, une autochtone, qui nous aide. elle m'a fait monter dans sa Méharie alors que je marchais tout seul sur la route après avoir poussé la voiture. elle m'a dit qu'elle me trouvait beau. "Je vous trouve beau." ça m'a semblé tout naturel, je me suis demandé quelques secondes si j'allais devoir coucher, mais en fait (mais peut-être...) ce qu'elle trouvait beau, c'était Pierre aussi, c'était le groupe que nous formions avec la petite depuis quelques jours dans le village. deux hommes et une petite, ça lui rappelait son père et son copain - et elle, sans doute, en petite. elle est arrivée dans le village en 79
pendant qu'il se débattait avec la voiture, Cléelie voulait à tout prix que son père répare son collier - et après tout, quelle urgence ? c'était drôle cette petite qui participait à la situation comme elle pouvait
à la limite de la surdité
Pierre geint un peu dans le lit, jamais d'antipathie, toujours des grognements de plaisir qu'il me communique avec ce langage du cœur. parfois il parle vraiment, un rêve ou un cauchemar très drôle à Remoulins...
il sent que je parle de lui
il s'est retourné, il m'a fait coucou de la main (avec un sourire)
bientôt la petite poussera un soupir
parmi tous ces bruits légers, comme dissous, proches de la surdité, bruits d'autoroute, oiseaux, quelqu'un dans l'infiniment loin tape avec un marteau, quelques klaxons d'une ville, des prisonniers qui crient et puis le coq enroué... - il y a ces animaux qui s'éveillent de leur activité nocturne
et la vie légère, fallacieuse, reprendra avec ses cafés, ses Campari-sodas, ses rencontres
pour encore une journée sous le soleil ou dans la brume (Marie-Eve, hier :"C'est l'Ecosse ou quoi ?")
nest
Pierre est allé s'occuper de la voiture. je garde Cléelie. je lui pose les questions du "Hot test" du "Elle" 2007 (le magazine unique) : "Avec qui aimeriez-vous coucher cet été ? - Devine ! avec mon papa !"
"Ce que les garçons aiment, c'est une cascade de cheveux entre les seins, une dégoulinade de mèches sur les omoplates", c'est tout toi ! - J'ai pas de totottes, moi."
je lui apprends le mot "omoplate", je touche les siennes toute neuves, je lui dis ce que l'on dit, que c'est de là que partaient les ailes quand on en avait. elle dit : "Comme la fée Clochette !" nous sommes dans un nid, de là où nous sommes nous pourrions nous envoler partout dans l'immense vallée
Cléelie, que j'essaie d'entraîner pour une sortie dans l'village, préfère rester : "Si tu veux, je peux t'aider à faire le ménage comme maman."
je l'entends qui dit : "Pas... sage."
"- Qu'est-ce que tu écris ? - En fait, j'écris que t'es pas sage, mais c'est en faux, ne crois pas que c'est en vrai, d'accord ?"
son père lui raconte des histoires d'Aurore pour l'endormir (une princesse Aurore), alors je lui raconte des histoires d'horreur ! Son père a un peu peur au début, il me dit : "Merci..." mais elle, elle en redemande, c'est moi qui me fait peur avec les histoires que je lui invente. je mime aussi l'exaspération, ça la fait rire : "J'en ai assez ! j'en ai ras le bol ! j'en ai plus que ça ! j'en ai plein l'dos ! j'en ai ma claque !..." et je ne sais pas pourquoi je dis : "si ça continue, je vais te vendre ! et pour deux francs, pas cher du tout ! " trop drôle ! mais elle se tourne vers son père et lui demande : "Toi aussi, tu vas me vendre ?" il répond sur le même ton et, là, crise de larmes (mais, que voulez-vous, ce ton ne lui va pas)
loose groups
son père avait quitté sa mère alors qu'elle était tout bébé et avait vécu dix-huit ans avec le même homme. quand il l'avait quitté, pour elle ça avait été un drame (alors qu'elle avait toujours vu sa mère changer de mec sans problème)
c'est elle qui emploie - officiellement, donc - le mot "hippie" qu'on hésitait à utiliser. j'ai croisé Clemente, le vendeur de perles, il était comme encadré dans une fenêtre-tableau au-dessus de la voûte ; je lui ai dit que je le photographiais ; il a dit :"Non, je ne suis pas beau. Avant oui, j'avais les cheveux longs... - Vraiment ? - J'étais jeune aussi !" je m'amuse à regarder ces jeunes gens des années soixante, Pierre se demande ce qu'ils vont devenir quand ils seront vraiment impotents. c'est sûr qu'avec les déambulateurs...
"Elle est gentille, Marie-Eve. - Ah oui, elle est adorable ! - Si elle revient, je lui demanderai si elle peut apporter du fil pour réparer mon collier qui est cassé un peu."
le paysage d'or du corps de Pierre - la peau - cheval translucide - les gémissements infinis, les rêves
Cléelie, perverse ou intelligente raconte que sa mère aussi mange de la purée, des pommes de terre, des frites et des pâtes. après plusieurs répliques insatisfaisantes, j'imagine encore celle-ci : "Les adultes aussi font parfois des bêtises, regarde ton père (son héros) : il fume alors qu'il ne devrait pas." Pierre essaye lui aussi de me trouver un défaut, mais il n'en trouve pas. c'est ça, sa pureté, ne pas voir les défauts des autres. puis finalement : "Il s'est disputé avec quelqu'un au théâtre. - Avec qui ? Pas avec Felix au moins ?", dit la petite qui avoue ainsi son goût des beaux garçons (Yvonnick, Felix...)
une fois qu'elle avait demandé à son père pourquoi il ne se remariait pas et qu'il lui avait dit : "Parce que je préfères les garçons", du tac au tac : "C'est comme moi !"
beauty and abiding mystery
la terre si jolie vue de l'espace
pretty
to see the Earth as it truly is, small and blue...
passer la matinée à la maison, déjeuner là-haut, parfois un apéro dans le village, la sieste puis descendre vers cinq heures à la plage jusqu'au soir, revenir dîner en terrasse, voilà l'organisation de la journée, rentrer avec la lampe de poche
s'éloigner de la côte à la nage
cet éclairage d'été un peu sale de la Méditerranée
le village de l'Italie
"J'ai l'impression qu'il y a beaucoup de gens en Italie parce que c'est un grand village." c'est difficile qu'un texte n'en soit pas un
la montagne allongée (carapace)
Labels: pierre bussana
2 Comments:
vous êtes drôle drôle drôle ah mais svp laissez là, vous êtes terribles, avec votre "son ventre gras"
C'est qui, l'anonyme?
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