"La mer a des limites, le profond désir n'en souffre pas."
Je traîne autour du théâtre, je regarde les couleurs, les enseignes. Je retarde le moment d'entrer dans la salle de pierre grise - et froide - où il n'y a rien (que le théâtre plein). Toujours faire entrer le réel dans le théâtre est très difficile. Tout est tellement plus beau dans la vraie vie. Perception : trois-cent-soixante degrés, caméra des yeux qui virevolte et travellings liés au Temps, les rues s'ouvrent comme des branches... La ville est imaginaire puisqu'elle est son envers : c'est l'hiver et l'événement sera en été, foule en liesse. Puis je prends la rue de la Croix - je suis déjà passé souvent devant son départ en épingle à cheveux - et j'entre à la Condition des Soies.
On aperçoit au loin les tours crénelées du Palais, j'aurais voulu louer le même appartement qu'il y a trois ans, tout près et dont la terrasse donnait aussi sur ces tours, mais il est déjà parti.
Maintenant je suis dedans cette salle - et je pense à la phrase d'Andy Warhol, sagesse reprise par toute la sphère, qui dit qu'un espace vide est toujours infiniment plus beau qu'un espace occupé par une image d'art, que l'art est du remplissage et que c'est dommage - même si ça permet de gagner sa vie car les bourgeois qui, par définition, n'aiment pas le vide, ont peur du vide (Duras, le personnage portugais de L'Amante anglaise : "la valise vide et personne pour voir qu'il est idéal") l'achètent. J'ai juste (je viens juste de) retoucher un peu la lumière, deux quartz sur le côté dont j'ai modifié l'inclinaison. On est comme au bord de la mer, dans un bunker ou une ruine, il y a un silence. Le petit bruit du Bic sur le papier que j'appuie fortement parce qu'il est un peu gelé et les frottements de la doudoune que cette activité musculaire entraîne forment un très exact silence de neige, frottement de spatules, ouate. Vous savez, Jean-Jacques Schuhl qui n'a écrit que trois livres en cent ans vient d'en publier un et il nous parle - d'ailleurs de la même chose - comme si on ne s'était pas quitté. Il était jeune dans les années soixante (ou même avant), il est sans doute vieux (il a des problèmes de hanche), il sera bientôt mort - mais tout ça n'a absolument pas d'importance : il ne dit rien que l'éternité, que l'absolu, que la vie... ici, par le truchement des fantômes. On ne dira jamais à quel point n'avoir pas à "gagner sa vie"* est profitable pour l'art, pour la vie. Voilà pourquoi j'ai presque décidé, ici, de ne pas faire payer. Marguerite Duras disait à la télévision quand on lui avait demandé son avis sur l'an 2000, en 1985 : "On reviendra à la gratuité." Je voudrais te dire à quel point ce lieu est beau vide, je voudrais que tu sois là, en hiver, j'avais peur d'y entrer tout à l'heure, mais non : il est parfait, il est pur, il est vivant comme un fantôme et transparent comme un fantôme, ce lieu de tous les lieux, comme au bord, comme au centre, cette grande bibliothèque, ce centre de la mer, cette capsule envoyée dans l'espace, cette gravité, cette attraction universelle, centrifuge et centripète, je sais, maintenant, qu'à Avignon, je ferai le spectacle du lieu. Il faudrait, peut-être, avec moi, un (une) violoniste - ou Felix. Ou un âne.
* François Tanguy détestait cette expression.
On aperçoit au loin les tours crénelées du Palais, j'aurais voulu louer le même appartement qu'il y a trois ans, tout près et dont la terrasse donnait aussi sur ces tours, mais il est déjà parti.
Maintenant je suis dedans cette salle - et je pense à la phrase d'Andy Warhol, sagesse reprise par toute la sphère, qui dit qu'un espace vide est toujours infiniment plus beau qu'un espace occupé par une image d'art, que l'art est du remplissage et que c'est dommage - même si ça permet de gagner sa vie car les bourgeois qui, par définition, n'aiment pas le vide, ont peur du vide (Duras, le personnage portugais de L'Amante anglaise : "la valise vide et personne pour voir qu'il est idéal") l'achètent. J'ai juste (je viens juste de) retoucher un peu la lumière, deux quartz sur le côté dont j'ai modifié l'inclinaison. On est comme au bord de la mer, dans un bunker ou une ruine, il y a un silence. Le petit bruit du Bic sur le papier que j'appuie fortement parce qu'il est un peu gelé et les frottements de la doudoune que cette activité musculaire entraîne forment un très exact silence de neige, frottement de spatules, ouate. Vous savez, Jean-Jacques Schuhl qui n'a écrit que trois livres en cent ans vient d'en publier un et il nous parle - d'ailleurs de la même chose - comme si on ne s'était pas quitté. Il était jeune dans les années soixante (ou même avant), il est sans doute vieux (il a des problèmes de hanche), il sera bientôt mort - mais tout ça n'a absolument pas d'importance : il ne dit rien que l'éternité, que l'absolu, que la vie... ici, par le truchement des fantômes. On ne dira jamais à quel point n'avoir pas à "gagner sa vie"* est profitable pour l'art, pour la vie. Voilà pourquoi j'ai presque décidé, ici, de ne pas faire payer. Marguerite Duras disait à la télévision quand on lui avait demandé son avis sur l'an 2000, en 1985 : "On reviendra à la gratuité." Je voudrais te dire à quel point ce lieu est beau vide, je voudrais que tu sois là, en hiver, j'avais peur d'y entrer tout à l'heure, mais non : il est parfait, il est pur, il est vivant comme un fantôme et transparent comme un fantôme, ce lieu de tous les lieux, comme au bord, comme au centre, cette grande bibliothèque, ce centre de la mer, cette capsule envoyée dans l'espace, cette gravité, cette attraction universelle, centrifuge et centripète, je sais, maintenant, qu'à Avignon, je ferai le spectacle du lieu. Il faudrait, peut-être, avec moi, un (une) violoniste - ou Felix. Ou un âne.
* François Tanguy détestait cette expression.
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