Belles du soir
"La vieille idée très scolaire de séparer les auteurs, d’un côté ceux qui creusent leur « moi », de l’autre, les artistes qui font prétendument entrer le monde entier dans leurs livres, est une belle sottise – mais je ne suis pas contre ces classements pour l’enfant : à lui, adulte, de les démentir, de les bousculer !"
"Mon idéal serait de faire une sorte de Songe d’une nuit d’été. C’est une œuvre unique, que l’on relit sans fin, ou plutôt dont on rêve sans fin. Le titre dit tout, voilà une œuvre qui est faite pour être rêvée. "
"Pour un enfant, la nuit c’est comme un ensemble de journées."
"Je suis infirme, mais c’est une infirmité que je revendique et qui est très créatrice sur le plan artistique et sur d’autres. Il y a ce déchirement entre le réel qu’il faut vivre et un autre réel qui est celui de la poésie."
"Dans la préface à l’édition japonaise de Tombeau en 1969, j’avais expliqué cela : j’ai choisi d’asservir le mâle, la femme l’ayant déjà été beaucoup, pour faire une fiction nouvelle."
"La Nature accompagne, précède, suit, au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche, les actes humains. Il peut s’agir aussi bien du cosmos, du ciel, des autres planètes… Quand on a un esprit poétique, tout vient de là. On est à l’unisson de tout ce qui existe, du réel (contesté aussi comme tel), comme de l’invisible. C’est très frappant dans tous les drames de Shakespeare, la nature est là… avec une présence absolument pharamineuse. Je ne la vois pas comme un décor. Elle est invoquée parce qu’elle participe de l’acte poétique de l’écriture. La lune, par exemple, est très importante. Nous sommes en 1955 et elle est encore un astre non visité, mystérieux. Le soleil, l’eau, la végétation, les animaux, leur capture, leur compagnonnage, ont aussi une fonction très importante… Ce n’est pas d’aujourd’hui que le règne animal a cette importance pour moi. Le discours sur l’animal n’est pas chez moi un discours moral. C’est un discours de Raison. Les choses les plus fortes, les plus violentes même, passent non pas par le bon sens mais par la Raison. J’entends parfois, à la radio ou autre, des discours qui me choquent profondément. On écoute quelqu’un faire des développements culturels très savants et, tout à coup, la même personne affirme soudain que l’animal est un être inférieur qui doit servir l’homme, au nom de je ne sais quelle affaire d’affrontement sacré (car il faut mettre du sacré partout, bien entendu) avec la « bête ». Je ressens aujourd’hui ce discours comme un discours ennemi, peu loin d’un discours nazi. Je comprends très bien que l’on puisse avoir une idée très différente des animaux, que l’on se cantonne, pour les penser, dans une pensée de type anthropomorphique temporellement limitée. Mais si l’on fait jouer la grande Raison, ces propos n’ont aucun sens. « Règne » animal, « règne » végétal, ce sont des termes que nous avons appris à l’école. De plus, devons-nous oublier que nous avons nous-mêmes été, dans notre évolution, des animaux ? Ne sommes-nous pas d’ailleurs souvent pires qu’eux, pire que les pires animaux. Si l’on ne pense pas avec cette grande Raison, à quoi bon penser, à quoi bon écrire, peindre, faire du théâtre… ? Il faut considérer qu’il y a d’autres règnes, d’autres histoires, d’autres raisons à côté des nôtres. Ne pas en tenir compte nous expose à des réveils difficiles. Je rappelle d’autant plus cela que nous avons longtemps cru que certaines populations humaines ne l’étaient pas à part entière. Ce fut un grand débat dans l’Espagne du XVIe siècle. Les Indiens découverts par les Espagnols, qui sont amenés à Valladolid, sont au centre d’une grande controverse : sont-ils humains ? Des gens tout à fait bien nés et cultivés se posaient la question. Ces Indiens venaient de tellement loin, géographiquement, ils étaient si différents. Du reste, pour en revenir aux animaux, aucun saint n’a été leur contempteur. Tous les plus grands saints les ont impliqués dans leur grand amour. C’est vraiment le rôle de la poésie, au sens très large du terme, de rappeler cela."
"La grande dualité chez moi s’opère entre l’artiste et le saint. La sainteté n’est pas réductible à de l’humanitaire, de même que réduire l’art de la poésie à de la littérature est pour moi impensable."
"Or c’est une chose extraordinaire que d’avoir une immensité devant soi, même étroite (en fait, on a le monde devant soi), et de devoir la transformer, de ne pas savoir où l’on va. Je comprends mieux les sportifs, les gens du cirque, ceux qui font quotidiennement des actes risqués. Les acteurs, aussi, les interprètes."
"C’est une réalité après tout, l’inspiration. Pourquoi aurait-on à en rire ? Si l’art à un tel prestige c’est qu’il participe bien de quelque chose qui n’a pas épuisé son mystère. Les tableaux, les œuvres d’art, les textes, les partitions sont ce qu’il y a de plus précieux dans l’histoire du monde. Quand on ne retrouve pas de restes suffisamment tangibles de l’histoire de l’humanité (même les momies, les petites cuillères, les crânes ne nous touchent pas tout à fait), qu’avons-nous ? On a les gravures de Lascaux (une trace de l’esprit, du cœur, de l’humeur de l’artiste d’alors, la trace de l’invention, c’est cela qui nous touche le plus, et tous), on a Titien…"
"Aujourd’hui, loin de la Deuxième Guerre mondiale, quand on « aime » il faut prendre, et jouir. L’idée de se priver de ce que l’on aime, de ce dont on pourrait jouir, pour en faire quelque chose de plus fort, de se servir de cette jouissance contenue pour en faire quelque chose de plus puissant, a hélas presque disparu. L’idée, aussi, que l’on soit ça et ça et ça en même temps semble aussi impossible à assimiler aujourd’hui. C’est une violence faite aux gens de leur faire croire que s’ils pensent une chose, ils ne peuvent pas en penser une autre."
"Mon idéal serait de faire une sorte de Songe d’une nuit d’été. C’est une œuvre unique, que l’on relit sans fin, ou plutôt dont on rêve sans fin. Le titre dit tout, voilà une œuvre qui est faite pour être rêvée. "
"Pour un enfant, la nuit c’est comme un ensemble de journées."
"Je suis infirme, mais c’est une infirmité que je revendique et qui est très créatrice sur le plan artistique et sur d’autres. Il y a ce déchirement entre le réel qu’il faut vivre et un autre réel qui est celui de la poésie."
"Dans la préface à l’édition japonaise de Tombeau en 1969, j’avais expliqué cela : j’ai choisi d’asservir le mâle, la femme l’ayant déjà été beaucoup, pour faire une fiction nouvelle."
"La Nature accompagne, précède, suit, au-dessus, au-dessous, à droite, à gauche, les actes humains. Il peut s’agir aussi bien du cosmos, du ciel, des autres planètes… Quand on a un esprit poétique, tout vient de là. On est à l’unisson de tout ce qui existe, du réel (contesté aussi comme tel), comme de l’invisible. C’est très frappant dans tous les drames de Shakespeare, la nature est là… avec une présence absolument pharamineuse. Je ne la vois pas comme un décor. Elle est invoquée parce qu’elle participe de l’acte poétique de l’écriture. La lune, par exemple, est très importante. Nous sommes en 1955 et elle est encore un astre non visité, mystérieux. Le soleil, l’eau, la végétation, les animaux, leur capture, leur compagnonnage, ont aussi une fonction très importante… Ce n’est pas d’aujourd’hui que le règne animal a cette importance pour moi. Le discours sur l’animal n’est pas chez moi un discours moral. C’est un discours de Raison. Les choses les plus fortes, les plus violentes même, passent non pas par le bon sens mais par la Raison. J’entends parfois, à la radio ou autre, des discours qui me choquent profondément. On écoute quelqu’un faire des développements culturels très savants et, tout à coup, la même personne affirme soudain que l’animal est un être inférieur qui doit servir l’homme, au nom de je ne sais quelle affaire d’affrontement sacré (car il faut mettre du sacré partout, bien entendu) avec la « bête ». Je ressens aujourd’hui ce discours comme un discours ennemi, peu loin d’un discours nazi. Je comprends très bien que l’on puisse avoir une idée très différente des animaux, que l’on se cantonne, pour les penser, dans une pensée de type anthropomorphique temporellement limitée. Mais si l’on fait jouer la grande Raison, ces propos n’ont aucun sens. « Règne » animal, « règne » végétal, ce sont des termes que nous avons appris à l’école. De plus, devons-nous oublier que nous avons nous-mêmes été, dans notre évolution, des animaux ? Ne sommes-nous pas d’ailleurs souvent pires qu’eux, pire que les pires animaux. Si l’on ne pense pas avec cette grande Raison, à quoi bon penser, à quoi bon écrire, peindre, faire du théâtre… ? Il faut considérer qu’il y a d’autres règnes, d’autres histoires, d’autres raisons à côté des nôtres. Ne pas en tenir compte nous expose à des réveils difficiles. Je rappelle d’autant plus cela que nous avons longtemps cru que certaines populations humaines ne l’étaient pas à part entière. Ce fut un grand débat dans l’Espagne du XVIe siècle. Les Indiens découverts par les Espagnols, qui sont amenés à Valladolid, sont au centre d’une grande controverse : sont-ils humains ? Des gens tout à fait bien nés et cultivés se posaient la question. Ces Indiens venaient de tellement loin, géographiquement, ils étaient si différents. Du reste, pour en revenir aux animaux, aucun saint n’a été leur contempteur. Tous les plus grands saints les ont impliqués dans leur grand amour. C’est vraiment le rôle de la poésie, au sens très large du terme, de rappeler cela."
"La grande dualité chez moi s’opère entre l’artiste et le saint. La sainteté n’est pas réductible à de l’humanitaire, de même que réduire l’art de la poésie à de la littérature est pour moi impensable."
"Or c’est une chose extraordinaire que d’avoir une immensité devant soi, même étroite (en fait, on a le monde devant soi), et de devoir la transformer, de ne pas savoir où l’on va. Je comprends mieux les sportifs, les gens du cirque, ceux qui font quotidiennement des actes risqués. Les acteurs, aussi, les interprètes."
"C’est une réalité après tout, l’inspiration. Pourquoi aurait-on à en rire ? Si l’art à un tel prestige c’est qu’il participe bien de quelque chose qui n’a pas épuisé son mystère. Les tableaux, les œuvres d’art, les textes, les partitions sont ce qu’il y a de plus précieux dans l’histoire du monde. Quand on ne retrouve pas de restes suffisamment tangibles de l’histoire de l’humanité (même les momies, les petites cuillères, les crânes ne nous touchent pas tout à fait), qu’avons-nous ? On a les gravures de Lascaux (une trace de l’esprit, du cœur, de l’humeur de l’artiste d’alors, la trace de l’invention, c’est cela qui nous touche le plus, et tous), on a Titien…"
"Aujourd’hui, loin de la Deuxième Guerre mondiale, quand on « aime » il faut prendre, et jouir. L’idée de se priver de ce que l’on aime, de ce dont on pourrait jouir, pour en faire quelque chose de plus fort, de se servir de cette jouissance contenue pour en faire quelque chose de plus puissant, a hélas presque disparu. L’idée, aussi, que l’on soit ça et ça et ça en même temps semble aussi impossible à assimiler aujourd’hui. C’est une violence faite aux gens de leur faire croire que s’ils pensent une chose, ils ne peuvent pas en penser une autre."
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