Saturday, June 05, 2010

Sous mon oreiller

Ode



Les lèvres, je les imaginerais peintes de suave liqueur, le débordement des sentiments, ce qu'il reste de doute et de joie avant de parler, avancer le premier mot, se souvenir de l'instant d'avant, plonger du même bond dans l'immémorable arrachement de l'âme: je le quittais ce matin vers sept heures, dévalais six étages, paradigme des vies dans un immeuble qui s'éveille, lumière un peu grise d'un printemps qui ne s'est pas encore décidé.

OU

Quatre heures d'étreinte contenue, me contant les jours passés à l'écran de son ordinateur, pages de vie déjà révolues, ce qu'il reste de joie et de doute quand s'achève la narration de soi, puis l'immémorable embrassement d'une si courte nuit, membres déclinés d'un commun accord, l'invite du rêve. Au matin je quittais la couche de sueur pour la rue déserte, lumière un peu grise d'un printemps qui ne s'est pas encore décidé.

OU

Jamais on ne voit les étoiles, les habits du voyage sur le sol, une valise béante qu'on remplirait le lendemain dans la panique du départ, le ciel chaque nuit désert d'étoiles, et moi qui arrivais si tard, frappais à la porte accoutumée, à mon tour me déshabillais: pour me souvenir des jours séparés, il lisait à l'écran de son ordinateur quelques paragraphes de sa vie, ce qu'il reste de doute et de joie dans l'imagination de soi.

PUIS OU AVANT

Il parle du style des graphistes, c'est-à-dire que les graphistes se ressemblent, dans la rue on reconnaîtra aisément un graphiste à son allure de graphiste, sa vêture de graphiste. La veille il avait lu dans une lecture publique un texte de Blaise Cendrars sur Arthur Cravan, je scrutais les portraits d'Arthur Cravan comme on trouve toujours dans ces livres compilatoires quelque portrait médusant où l'écrivain n'est plus qu'un visage qu'on baisa passionnément. Je me souviens aussi de cet autre livre plein de colère et d'Arthur Cravan l'irrécupérable: celui-là même qui se résout à s'afficher aujourd'hui sur l'affiche d'un graphiste.

AUSSI

De cela nous parlions aussi, je ne sais plus, avant l'étreinte je crois, le nom d'Arthur Cravan qui est de ces noms d'auteurs merveilleux où tournent mes rêves longtemps avant que je me heurte pour de bon à ce qu'ils osèrent écrire. Comment les hommes ressuscitent les plus révoltés d'entre eux, l'aveuglement le plus heureux dans l'invention des idoles modernes, l'exhumation de quelques lettres adressées peut-être à une mère aimante, ce qu'on fait dire aux hommes du passé quand on tient deux ou trois preuves touchantes qu'ils existèrent.

INCIPIT

Dans le métro je ressassais un sonnet de Philippe Desportes, ce serait mon bouquet de fleurs, mon amour privé depuis quelques années du sens de l'odorat, je devrais le dire, l'animalité de son corps à mes narines animales, mon ventre sur son dos, ma tête dans le creux d'une épaule au moment où se décide le sommeil. Ce matin je le quittais sans mon livre, resté sur le sol près du lit, le sonnet commençait ainsi: "Le temps s'enfuit léger sans m'en apercevoir..."

EXCIPIT

C'est la fin du printemps où les nuits sont plus rares, quatre heures de baisers sont trop courtes dans le poème de Desportes: quatre nuits, dit-il, c'est assez, mais quatre heures! Pour tout dire, j'arrivais chez mon amour une heure avant minuit, et passais chez lui deux fois quatre heures, il me lisait deux textes à l'écran de son ordinateur, pages de sa vie pleines de joie et de doute. Ce qu'il n'avait pas écrit, il me le disait: qu'il avait oublié dans un train le livre qu'une femme lui avait donné, un livre qu'elle avait écrit, le seul qu'elle avait emmené, pourtant elle devait en lire des extraits dans une lecture publique, et comment avait-elle fait...

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