Tuesday, September 14, 2010

Belle de jour

"La politique hors-la-loi
15 Septembre 2010 Par Pascale Fautrier



En guise d'insulte, le ministre Eric Woerth s'est écrié en direction d'une parlementaire socialiste : «C'est honteux ce que vous dites (...), vous faites de la politique.

Voilà bien le fond du problème, et ce qu'il faudrait ajouter en modeste codicille à l'excellent article de Jacques Rancière sur le racisme d'état (Mediapart) dans le type de gouvernance actuelle dont on veut nous faire croire qu'il est fatal : il ne s'agit pas seulement d'une réduction du champ de pouvoir, mais pour reprendre une autre analyse du philosophe (cf. La haine de la démocratie), de la volonté délibérée de restreindre le champ politique démocratique pour permettre à une oligarchie d'imposer une gouvernance soi-disant technique et en réalité autocratique.

Mais où sont les intellectuels pour qui le mot "politique" n'est pas devenu un gros mot? Signons toutes les pétitions en cours, celle de SOS, l'appel citoyen contre la politique du pilori... Mais qui développera une argumentation qui dénonce la même logique sous-jacente dans la politique du racisme d'état, et dans celle qui consiste à considérer qu'il y a deux humanités : celle qui doit payer des impôts et travailler toute sa vie de manière plus ou moins pénible, et celle à qui on accorde des passe-droits, des positions honorifiques ou de responsabilités, parce qu'elle appartient à une caste d'héritiers sur-privilégiés incluant ses réseaux et ses clientèles.

C'est la même notion de "démocratie économique et sociale" chère au Conseil National de Résistance qui est en cause ici et là, comme cela a été parfois, trop peu, heureusement rappelé. Parce que c'est bien ce programme du Conseil National de la Résistance qui est en ligne de mire des récentes décisions de ce gouvernement (particulièrement la proposition d'étendre la déchéance de nationalité).

Pourquoi les députés de gauche n'ont-ils pas appelé leurs partis à venir les soutenir Place de la Concorde (il y avait déjà là un maigre rassemblement syndical "toléré") lorsqu'ils ont subi ce matin le coup de force arbitraire du président de l'assemblée nationale? Ils ont été contraints à se taire sans avoir pu retarder le vote de la loi, comme un minimum de politique les contraignait à le faire, ne serait-ce que pour la forme. Et c'est ce minimum politique que le président de l'Assemblée a voulu interdire en contrevenant aux règlements qu'il a lui-même fait voter l'année dernière (droit d'expression de cinq minutes pour chaque député). Où en sommes-nous?

Pourquoi le citoyen lambda sent-il confusément, alors qu'un scandale éclate par jour, qu'un scandale efface l'autre (affaire Woerth-Bettencourt et autres affaires de collusion d'intérêt, affaire des écoutes du Monde, Karachi - exactement comme cela se passe en Italie depuis que Berlusconi est au pouvoir?

Pourquoi personne n'appelle à la démission d'Eric Woerth - ce qu'exigerait le minimum de dignité et d'honneur pour une "grande démocratie", ne serait-ce que pour que le ministre puisse organiser sa défense?

Parce qu'ils ont réussi à faire passer l'idée, même chez les intellectuels d'extrême-gauche, que faire de la politique, c'est mal, ça n'est pas de bon ton. Parce que tout le monde se laisse berlusconiser sans regarder en face ce qui s'est passé en Italie : la disparition de la gauche de la scène politique, le débat réduit à un débat droite-droite extrême. Et quel débat?

Voilà où mène la timidité à parler de "politique".

Alors certes, ce n'est pas Vichy : c'est tout doucement l'installation dans le consentement général d'un monde à deux vitesses, celui des visibles (les puissants) et celui des invisibles (les clandestins de la production - ces usines pas belles, polluantes cachées dans les banlieues lointaines et dans les pays dits émergents), géré par une unique technique d'administration (est-il encore pertinent de parler de gouvernance?)."

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