Guillaume Allardi répond lui aussi au thème "Action Directe" (pour la revue "Contre-attaques")
Salut, Yvno,
Tu sais, ça me fait toujours rire, parce que Violette Villard est, était ? allez savoir... la compagne de mon prof de Philo Antoine Châtelet, fils de François du même nom, et de Noëlle Châtelet, romancière, femme du même homme et nièce de Lionel Jospin.
Enfin, c'est très intéressant tout ça, l'action directe. Avec cet arrière-fond d'attentat.
Je n'ai pas la fulgurance verbale de Violette Villard, mais je vais essayer de dire des choses simples. D'abord que sur ton plateau il n'y a pas de fiction, pas d'histoire, à aucun moment tu n'as utilisé une trame narrative du début à la fin, ni pour démontrer, ni pour émouvoir. Ça, c'est déjà quelque chose, même Régy raconte des histoires. Toi, non. Ça veut dire une chose que l'on sent très fort sur ton plateau, et, là, je pense que tu dois pas mal à Tanguy comme à la danse, c'est que le temps Genod n'est pas un temps historique, ce n'est pas un temps génétique, il ne révèle rien, on ne peut le placer sur une frise. Rien ne s'y déroule, et comme le dit Régy dans un très beau texte sur toi, "tout se fait de se défaire" et vice versa (un truc comme ça).
On pourrait presque dire que c'est un temps thématique, dans le sens où un peintre, où un musicien explore un thème. Mais l'exploitation d'un thème ne se fait pas dans le temps. Et, comme un peintre, tu mets le temps à plat. Au lieu d'avoir un temps qui rejoint entre eux des événements jusqu'à la révélation du drame ou de la tragédie, on n'a plus que des durées qui se rattachent à des actes singuliers. Une histoire a un début et une fin (une unité de temps), une location (unité ou au moins détermination spatiale) et toutes les actions y sont subordonnées au drame (unité d'action). Exit, chez toi, la règle des trois unités.
Question : quel sens peut avoir une action dans un tel foutoir ?
Et c'est là, je crois, que tu dois beaucoup à la danse, là où tu es resté chorégraphe, en quelque sorte. C'est que tout ce qui peut y survenir est déjà mort à la signification, et donc à l'interprétation. Evidemment il y a toujours des gens pour dire en sortant "c'est magnifique, ça me raconte ceci, cela, ça m'a rappelé, évoqué, replongé etc..." (j'ai beaucoup soupé des "ça me raconte"...) Mais j'ose dire que ces gens n'ont pas vraiment compris ton travail, ou alors qu'ils le disent mal. En tous cas, ce n'est pas du tout ce qui m'intéresse dedans. Parce que, je dirai, ça résume tout ton travail à une expérience personnelle (et, comme tu le sais, toute expérience personnelle est une expérience négative, c'est la phrase que tu as noté dans ton carnet la première fois que je t'ai vu, au bar du TNB). Ton théâtre est un théâtre sans bords, ni spatials ni temporels ni dramatiques.
C'est quoi, un acte sans signification ? Qu'est-ce qui reste d'un acte si on lui enlève son sens ? Là, ça me rappelle Soulages qui dit "mes tableaux sont plus des murs que des fenêtres", ils n'ouvrent sur rien, ils ne représentent rien, ils sont là. L'acte alors devient souverain dans le sens où il ne se rapporte plus ni à la trame d'une histoire, ni même à celui qui l'exécute. Ce n'est pas l'acte de, ni l'acte pour, il n'est plus intentionnel. C'est là, tu comprends, que ça devient politique, si on veut. L'action n'est soumise ni à un objectif ni à une signification. Et c'est cette insoumission qui nous rend à la vie, qui conjure le jugement. On ne peut plus le juger parce qu'il est sans antécédent, sans critères, sans référent et qu'il ne se situe sur aucune échelle. Tout cela ne nous laisse de l'acte que sa vibration.
Voilà ce que je peux dire très rapidement, il y aurait beaucoup, beaucoup à dire là-dessus. Une action directe, si l'on veut, c'est une action en dehors de tout champ historique. C'est ce qui rend ton plateau si imprévisible, en faisant sans arrêt éclater la vérité contre la fiction. Ce qui nous ramène peut-être à l'attentat, car un attentat n'est rien d'autre finalement qu'une vérité qui "éclate". Mais, contrairement à un attentat, tes actions directes n'édifient rien, si elles sont sans antécédent, elles sont aussi sans postérité. Elles brillent de s'annuler, c'est pourquoi elles sont, en même temps, éternelles et dérisoires, sublimes et ridicules. Et ce rapport du sublime au ridicule, de l'éblouissement à l'oubli, oui, on peut dire que tu l'as inventé.
Je t'embrasse, joyeux ami
Et, PS : (...)
Bises,
G.
Ben, dis donc, tu me fais un beau cadeau avec ton texte !!! Que je comprends, en plus... Je travaille trois jours à Montévidéo avec un acteur pas payé parce que y a pas d'argent, pour une soirée, mais, si j'en crois la première journée (de travail), ce sera encore aussi beau que ce que tu décris. On prévoit des trucs, on a quelques envies, mais comme on a trois jours pour faire un spectacle et que y a pas un technicien prévu ni un projecteur branché, ce sera (encore) dans le noir, mais, finalement, ça n'a aucune importance, la beauté, elle est vraiment partout, surtout la beauté invisible qui était celle que Marguerite Duras préférait (mais pas qu'elle, bien sûr !) L'acteur assez fou pour accepter de travailler pour rien du tout (c'est la première fois, mais les conditions - vu la situation générale - ne peuvent en rien s'améliorer pour moi, forcément), c'est une sorte de mixte entre Thomas Scimeca et Jonathan Capdevielle, capable de se mettre nu comme Thomas et de chanter comme Jonathan, mais on pense aussi à toi ! (...) Je transmets ton texte à Alain Jugnon qu'il va sûrement intéresser parce qu'il est à plein dans le sujet (en plus) !
Bises, très cher
YN
Tu sais, ça me fait toujours rire, parce que Violette Villard est, était ? allez savoir... la compagne de mon prof de Philo Antoine Châtelet, fils de François du même nom, et de Noëlle Châtelet, romancière, femme du même homme et nièce de Lionel Jospin.
Enfin, c'est très intéressant tout ça, l'action directe. Avec cet arrière-fond d'attentat.
Je n'ai pas la fulgurance verbale de Violette Villard, mais je vais essayer de dire des choses simples. D'abord que sur ton plateau il n'y a pas de fiction, pas d'histoire, à aucun moment tu n'as utilisé une trame narrative du début à la fin, ni pour démontrer, ni pour émouvoir. Ça, c'est déjà quelque chose, même Régy raconte des histoires. Toi, non. Ça veut dire une chose que l'on sent très fort sur ton plateau, et, là, je pense que tu dois pas mal à Tanguy comme à la danse, c'est que le temps Genod n'est pas un temps historique, ce n'est pas un temps génétique, il ne révèle rien, on ne peut le placer sur une frise. Rien ne s'y déroule, et comme le dit Régy dans un très beau texte sur toi, "tout se fait de se défaire" et vice versa (un truc comme ça).
On pourrait presque dire que c'est un temps thématique, dans le sens où un peintre, où un musicien explore un thème. Mais l'exploitation d'un thème ne se fait pas dans le temps. Et, comme un peintre, tu mets le temps à plat. Au lieu d'avoir un temps qui rejoint entre eux des événements jusqu'à la révélation du drame ou de la tragédie, on n'a plus que des durées qui se rattachent à des actes singuliers. Une histoire a un début et une fin (une unité de temps), une location (unité ou au moins détermination spatiale) et toutes les actions y sont subordonnées au drame (unité d'action). Exit, chez toi, la règle des trois unités.
Question : quel sens peut avoir une action dans un tel foutoir ?
Et c'est là, je crois, que tu dois beaucoup à la danse, là où tu es resté chorégraphe, en quelque sorte. C'est que tout ce qui peut y survenir est déjà mort à la signification, et donc à l'interprétation. Evidemment il y a toujours des gens pour dire en sortant "c'est magnifique, ça me raconte ceci, cela, ça m'a rappelé, évoqué, replongé etc..." (j'ai beaucoup soupé des "ça me raconte"...) Mais j'ose dire que ces gens n'ont pas vraiment compris ton travail, ou alors qu'ils le disent mal. En tous cas, ce n'est pas du tout ce qui m'intéresse dedans. Parce que, je dirai, ça résume tout ton travail à une expérience personnelle (et, comme tu le sais, toute expérience personnelle est une expérience négative, c'est la phrase que tu as noté dans ton carnet la première fois que je t'ai vu, au bar du TNB). Ton théâtre est un théâtre sans bords, ni spatials ni temporels ni dramatiques.
C'est quoi, un acte sans signification ? Qu'est-ce qui reste d'un acte si on lui enlève son sens ? Là, ça me rappelle Soulages qui dit "mes tableaux sont plus des murs que des fenêtres", ils n'ouvrent sur rien, ils ne représentent rien, ils sont là. L'acte alors devient souverain dans le sens où il ne se rapporte plus ni à la trame d'une histoire, ni même à celui qui l'exécute. Ce n'est pas l'acte de, ni l'acte pour, il n'est plus intentionnel. C'est là, tu comprends, que ça devient politique, si on veut. L'action n'est soumise ni à un objectif ni à une signification. Et c'est cette insoumission qui nous rend à la vie, qui conjure le jugement. On ne peut plus le juger parce qu'il est sans antécédent, sans critères, sans référent et qu'il ne se situe sur aucune échelle. Tout cela ne nous laisse de l'acte que sa vibration.
Voilà ce que je peux dire très rapidement, il y aurait beaucoup, beaucoup à dire là-dessus. Une action directe, si l'on veut, c'est une action en dehors de tout champ historique. C'est ce qui rend ton plateau si imprévisible, en faisant sans arrêt éclater la vérité contre la fiction. Ce qui nous ramène peut-être à l'attentat, car un attentat n'est rien d'autre finalement qu'une vérité qui "éclate". Mais, contrairement à un attentat, tes actions directes n'édifient rien, si elles sont sans antécédent, elles sont aussi sans postérité. Elles brillent de s'annuler, c'est pourquoi elles sont, en même temps, éternelles et dérisoires, sublimes et ridicules. Et ce rapport du sublime au ridicule, de l'éblouissement à l'oubli, oui, on peut dire que tu l'as inventé.
Je t'embrasse, joyeux ami
Et, PS : (...)
Bises,
G.
Ben, dis donc, tu me fais un beau cadeau avec ton texte !!! Que je comprends, en plus... Je travaille trois jours à Montévidéo avec un acteur pas payé parce que y a pas d'argent, pour une soirée, mais, si j'en crois la première journée (de travail), ce sera encore aussi beau que ce que tu décris. On prévoit des trucs, on a quelques envies, mais comme on a trois jours pour faire un spectacle et que y a pas un technicien prévu ni un projecteur branché, ce sera (encore) dans le noir, mais, finalement, ça n'a aucune importance, la beauté, elle est vraiment partout, surtout la beauté invisible qui était celle que Marguerite Duras préférait (mais pas qu'elle, bien sûr !) L'acteur assez fou pour accepter de travailler pour rien du tout (c'est la première fois, mais les conditions - vu la situation générale - ne peuvent en rien s'améliorer pour moi, forcément), c'est une sorte de mixte entre Thomas Scimeca et Jonathan Capdevielle, capable de se mettre nu comme Thomas et de chanter comme Jonathan, mais on pense aussi à toi ! (...) Je transmets ton texte à Alain Jugnon qu'il va sûrement intéresser parce qu'il est à plein dans le sujet (en plus) !
Bises, très cher
YN
Labels: contre-attaques correspondance
0 Comments:
Post a Comment
<< Home