Les Emmerdes
Ce matin, j’ai été au commissariat pour répondre de la plainte d’une femme dont je pourrais dire le nom puisqu’on me l’a donné, mais je l’ai oublié, son prénom : Axelle. C’est la mère de Clélie, la fille de Pierre qui a été mon compagnon pendant un moment. Dans le bureau de la personne qui me recevait (je ne sais plus son grade), il y avait des photos d’enfants, je suppose les siens (mais, après tout, ça pouvait aussi être ceux de sa sœur ou d’amis proches, pourquoi pas ?) Ces photos n’étaient pas floutée, elles étaient exposées dans un lieu public, un bureau pour recevoir les convoqués, les plaignants… Je ne suis pas juriste, j’ai un peu de mal à m’avancer sur ce terrain, tout le monde sait que les lois sont mauvaises, puisque les députés n’ont de cesse de les changer, de les améliorer. Mais quelle est la loi, la loi actuelle ? Quelle est la loi qui me protège, moi, qui protège mon travail ? Je ne cherche pas les emmerdes. Je suis un artiste. Personnellement, je ne connais pas d’artiste qui cherche les emmerdes, c’est bien assez dur comme ça. Les artistes, en revanche, sont constamment attaqués. Mais c’est une question de sensibilité, en fait, tout le monde est constamment attaqué. Au théâtre, j’ai l’habitude. (Comme tous ceux qui y travaillent.) J’ai l’habitude de dire : « Même si on mettait une personne adulte, habillée, immobile, à ne rien faire au centre d’un plateau éclairé plein feu et avec des sorties de secours à chaque marche du gradin, etc., si c’était bien fait, on nous tomberait dessus de la même façon. » La censure, la sécurité, les risques des associations plaignantes… Le fait même de vivre, de respirer suscite l’attaque. Dans les crèches, les enfants heureux sont attaqués par les enfants malheureux en surnombre. Moi, ce qui m’intéresse dans la loi, c’est la protection qu’elle me garantirait à moi contre la malveillance. Je ne me souvenais plus des photos de Clélie, j’en ai retrouvé certaines qui sont très jolies. Enfin, elles sont banales, mais elles m’émeuvent et je trouve que Clélie y est très jolie. Je n’arrive vraiment pas à y voir de la malveillance. Je vois la malveillance de cette attaque, en revanche. S’il faut mettre un cache sur certaines photos, on mettra un cache. S’il faut mettre un code pour venir sur ce blog, on mettra un code. Mais qu’est-ce que je dois faire pour échapper à cette malveillance ? Oui, quelle loi protège ? S’il n’y en a pas, on fermera le blog. Si tous les blogs sont constamment attaqués, ils fermeront. J’ai déjà, nous avons déjà l’impression de faire très attention. De passer notre temps à faire attention. Bien sûr, il y a le principe du jour le jour, du manque de recul, les posts sont forcément inégaux en qualité. Il y a aussi la question du contenu qui est flou (et qui évolue comme sur tous les réseaux sociaux). On intègre de plus en plus les lois liberticides. On ne photographie pas les visages. Vous vous rendez compte de ce que c’est que de ne pas photographier les visages ? Des enfants dont on ne photographie pas les visages ? Des fêtes, de l’amitié, de la joie d’être ensemble dont on ne photographie pas les visages ? C’est très beau, les silhouettes (et j’en abuse beaucoup), mais les visages, quand même ? Et qu’est-ce qui fait visage ? Est-ce que cacher les yeux suffit à détruire la reconnaissance ? Clélie de dos ou le pied de Clélie, etc. : moi, je la reconnais, comme la reconnaissent son père et sa mère. Mais qui ne doit pas reconnaître Clélie ? Des gens qui ne la connaissent pas ? Qui ne doit pas savoir (« atteinte à la vie privée ») que nous sommes allés en vacances ensemble ? « N’importe qui » ne doit pas le savoir, j’imagine… Mais alors qu’est-ce qui permet de faire quand même des livres, des magazines, des émissions de télé, de radio, des blogs, des spectacles, des journaux ? Un avocat m’a dit qu’il fallait demander des autorisations signées. C’est vrai, jusqu’à maintenant, je n’ai jamais demandé (à personne) de signer une autorisation, je ne vivais pas encore dans cette modernité-là (mais, s’il le faut, je le ferai). Au Etats-Unis, les enseignants craignent tellement les plaintes et les procès des parents qu’ils font venir la police en classe au moindre problème. Mes amis de New York ont un enfant de neuf ans dont je suis le parrain qui a déjà vu trois fois la police parce qu’il avait, je ne sais plus, pas mis son manteau ou pas fait un devoir ou pousser quelqu’un... Depuis cette histoire épouvantable, je n’ai plus vue Clélie, nous nous sommes séparés avec son père. Pourquoi vivre avec un garçon si c’est pour vivre sous la violence d’une femme autoritaire ? Autant aller directement à la chose (et alors choisir sa femme). Clélie est arrivée un jour en disant à Pierre : « Maman est allé à la police pour punir Yves-Noël parce qu’il n’a pas le droit de me prendre en photo. » Très bien, on ne la prendra plus en photo. C’est pas grave. Pierre m’a dit qu’Axelle qui est proviseur se battait pour faire réaménager des appartements dans son lycée pour en faire des résidences d’artistes. Quels artistes et pour quoi faire va-t-elle donc réussir à faire venir dans ses locaux ?
1 Comments:
Il faut savoir semer pour récolter.
De tout temps, le changement des mentalités a commencé ici, à Paris... donc ne t'éloignes pas trop de la capitale car ton art influence positivement les habitants de l'Ile de France... sans garde-fou, la France copiera de plus en plus les travers réactionnaires des américains.
Yes you can ?
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