Saturday, May 28, 2011

Et ce s’ra encore pas une impro !

(J’avais rien préparé, là, vraiment, occupé avec les petits à Rennes et à Berlin, puis à Rennes, mais, dans l’train, de Rennes à Paris, j’ai quand même écrit qqch, désolé…) (Ce soir, samedi 28 mai, théâtre de Gennevilliers, festival TJCC, 21h30, grande salle.)

Titre : Bureau de tabac

Commencer avec la chanson de Gainsbourg, Ces petits riens. (Une sorte de Ma plus belle histoire d’amour, c’est vous à l’envers.) Danse sur la chanson. Puis on m’installe mon micro.

Puis :

Comme dit la chanson, cette chanson, je n’ai rien préparé. Bon, alors, c’est vrai que je vous l’fais souvent, ce coup-là… Mais, cette fois, c’est vrai. Faut dire que j’en ai marre de moi. Je voudrais finir ma carrière. (Faut que j’ai l’air plus crédible : J’VOUDRAIS FINIR MA CARRIERE.) Là aussi, ça fait des années que je voudrais finir ma carrière… Ça aussi, le coup, je vous l’fais souvent… Mais, cette fois-ci, c’est du sérieux. Non, non, non, je crois que les circonstances vont m’y aider. Je commence, ce soir, avec vous, ma saison 2011-2012 où je ne me produirai qu’en solo. Oui, oui, oui. J’entame une série de solitude. J’inaugure une série de solitude. (C’est très joli, cette formule.) Enfin, c’est du solo, du solo, du solo… En solo. En solo. En solo. Partout. Hors, voyez, voyez-voyez, moi, personnellement, c’est tout ce que je hais, le solo. J’abhorre ça. Je déteste ça. Comme spectateur, déjà, je déteste. C’est toujours bien – et toujours mal, les solos : on met quelqu’un dans un espace vide : c’est toujours bien et donc toujours ennuyeux. « Le théâtre commence à deux », disait Louis Jouvet. J’ai oublié si c’est Louis Jouvet, c’est Jean-Marie Hordé qui me l’avait cité (théâtre de la Bastille…) Charles Dullin, peut-être… Je lui avais exposé ce même problème déjà au tout début de ma carrière, ma carrière immense – mon Dieu, comme la vie est longue, partir, en finir encore, oh, mon Dieu… – après ce premier spectacle intitulé donc En attendant Genod qui se présentait tout à fait comme un one man show, un stand up, si vous voulez, mais qui n’en était pas un, puisque je partageais la scène avec quelques invités. En particulier, excusez du peu, ça me fait plaisir de le citer maintenant qu’il est devenu une star – d’ailleurs, les autres aussi sont en train de devenir des stars, Marlène Saldana et Thomas Scimeca, n’est-ce pas ? Quel choix cornélien, choisir tout à l’heure entre Marlène Saldana et Thomas Scimeca – au moins, chez moi, on pouvait les voir ensemble, ça produisait une économie, une économie… cornélienne, n’est-ce pas ? – je me demandais toujours – on a fait une vingtaine de spectacles ensemble – je me demandais toujours pourquoi ça n’arrivait pas plus vite – c’était tellement évident que ç’en était une. De star. Mais il faut, il faut, en fait, pour devenir une star, en fait, toute une infrastructure, disons, une organisation, ça se construit, quoi, disons, une infrastructure qu’il a trouvée avec Gisèle Vienne, Emmanuelle de Montgazon, Anne-Cécile Sibué… Je veux nommer, vous l’aurez reconnu, l’immense et toujours juvénile en même temps, pourtant, d’une fraîcheur d’ange, sans sexe, sans saloperie, celui qui était déjà là quand j’ai débuté, quand j’ai commencé, le surnaturellement, heu, doué, généreux, doux, immense, l’immar… l’immarcescible… Non, ça, ça n’veut rien… Immarcescible… J’ai appris ce mot… C’est drôle que ce mot me revienne maintenant pour parler, oui, de Jonathan Capdevielle, c’est drôle… Parce que j’ai appris ce mot par Claude Régy, il y a longtemps. « Immarcescible ». Claude Régy employait pendant longtemps, il a employé pendant longtemps une actrice admirable. « Admirable » n’est pas le mot : merveilleuse, plutôt. « Ma petite merveille », il l’appelait. Une actrice qui était plus ou moins la fille adoptive de Madame Grès, la styliste, vous savez, créatrice de haute couture : les drapés Madame Grès, une grande dame vraiment, qui a travaillé rue de la Paix, très vieille, je l’imaginais un peu comme Martha Graham. Elle habillait Marlène Dietrich, tout le monde, enfin, bon… Une fois, j’étais allé chercher une robe chez Madame Grès, au 1, rue de la Paix. C’était une robe qui avait été taillée sur Claude Degliame nue. Vous voyez, Claude Degliame, voyez ? Madame Grès faisait ainsi ces robes. Elle demandait à la personne de se mettre entièrement nue dans la pièce, n’est-ce pas, et elle choisissait alors un tissu et l’enroulait autour d’elle, le sculptait, si vous voulez, autour de la personne – la personne comme interprète (pour Jérôme Bel, par exemple) – y a une autre anecdote, celle de Coco Chanel… mais là on est sur Madame Grès… – elle fixait donc le tissu, avec des, avec des épingles, comme une sculpture, si vous voulez, je n’sais pas, en le découpant à mesure, sur mesure, disons, aidée par ses « petites mains », peut-être, en formant peut-être ses fameux drapés, mais celle de Claude Degliame n’en possédait pas, voyez – c’était une robe à traîne d’un taffetas carton bleu canard que Bulle Ogier, à la fenêtre, lui faisait mettre, vous savez cette robe qui vous allait si bien, au tournois de Wimbledon, mais si, beige… – Mais c’est pas beige... Jamais je n’aurais pu porter ça au tournois de Wimbledon. – Voilà votre monde… – Avec les enfants dans les bagages… Claude Régy m’avait dit que je pouvais aller la récupérer, si j’voulais, la robe. Puisqu’il l’avait payée, j’pouvais la récupérer. C’était pour le spectacle Grand et petit, de Botho Strauss, qui est le spectacle de lui, le premier que j’ai vu, à Villeurbanne, à Lyon. Il avait envoyé Claude Degliame se faire faire une robe. Ce spectacle a littéralement changé ma vie, ma vie artistique, en tout cas. C’est-à-dire qu’avant Claude Régy, j’aimais tout, après, j’aimais rien. (Tiens, toujours le rien, le petit rien…) Puis il l’avait rendue à Madame Grès, après les représentations, il savait pas quoi en faire. Et j’l’avais fait, j’étais aller la chercher, je me souviens d’un p’tit sac qui ne pesait rien, ça m’avait… Le p’tit sac avec le bout d’tissu dedans – de plusieurs dizaines de milliers de francs. Mais je n’avais rien pu en faire, de cette robe, elle n’allait à personne tellement elle avait été ajustée, disons, coupée, écrite sur le corps étrange de, de Claude Degliame. Qu’est-ce que j’disais ? Oui, Muni, l’actrice merveilleuse – proprement merveilleuse – que Régy employait – il l’a employée beaucoup – qui était peut-être la fille adoptive de Madame Grès, peut-être qu’elles avaient couchées ensemble, on n’a jamais su… Muni était furieuse dès qu’on évoquait l’homosexualité féminine, elle trouvait ça sale… Elle devenait furieuse. Y avait un spectacle… Bon. Elle appelait Madame Grès « Marraine ». Et c’était Madame Grès qui lui faisait ses tenues de scène, elle n’en portait jamais d’autre, c’était toujours la même, une sorte de blouse qu’elle portait au-dessus d’un pantalon qui cachait qu’elle était quand même un peu grosse. Bien sûr, le temps avait passé depuis le temps des photos qu’elle ne montrait qu’en de rares occasions, très rares occasions, où elle ressemblait à un petit tanagra, voyez, au temps où elle avait dû séduire Madame Grès. Or – voyez comme je m’emballe, je vous dis que j’arrête le métier et je me mets à parler en logorrhée comme un vieillard qui déroule sa mémoire défaillante. Comme une victoire que lui revienne – comme de vies antérieures – des mémoires antérieures –, des choses auxquelles pourtant il ne pense jamais – je pense jamais à tout ça – à partir d’un mot, le mot, par exemple : « immarcescible », par exemple, ce mot qui veut dire : « qui ne peut se flétrir » et que, que Claude Régy, mon Dieu, avait employé à la fin d’une lettre à Madame Grès qu’il avait dû me faire lire, je ne sais pas pourquoi. Il s’adressait à Madame Grès parce que Muni n’allait pas bien du tout. Elle était prise dans des trafics très dangereux de par son « frère », soi-disant frère, qui usurpait des identités. Il montait des opérations très complexes, des arnaques, en fait, pour épouser, pour arriver à épouser des nymphettes – des lolitas – des mineures, en fait, en faisant croire qu’il était très riche, qu’il était soi-disant l’héritier de Madame Grès, voyez. Et c’était Muni qui lui subventionnait tous les frais puisqu’il n’avait rien. Il n’travaillait pas du tout. Et Muni elle-même n’avait rien, elle travaillait avec Claude Régy, voyez… Elle était donc criblée de dettes parce que les opérations du frère n’aboutissaient jamais. Au dernier moment, la situation se retournait toujours, la famille (prête à vendre une adolescente, hein) s’apercevait de la supercherie. Bon. Mais il recommençait toujours. Enfin, bref, toujours est-il que Muni n’allait pas bien du tout. Elle était là tout d’un coup dans une situation particulièrement inquiétante, particulièrement alarmante, assez en tout cas pour que Claude Régy prenne son courage à deux mains et décide d’avertir Madame Grès et lui demander d’l’argent. Madame Grès, bien sûr, ne voulait plus du tout, heu, aider Muni à cause de tout ça. Donc c’était très délicat. C’était Muni qui avait pressé Claude Régy d’écrire. C’était sur la demande très pressante de Muni, j’imagine. Et il avait écrit cette lettre, bon, pour l’avertir du danger – donc réel – au bord duquel Muni se tenait, disons, prête à couler, prête à disparaître pour se sauver d’une situation inextricable. Enfin, il fallait de l’argent, quoi. C’était urgentissime. Et Claude avait fini cette lettre en disant à Madame Grès : « Croyez en mon immarcescible amour ». Signé Claude Régy. J’avais demandé ce que voulait dire ce mot, très beau : c’est un amour qui ne peut se flétrir, mon amour ne saurait se flétrir, il ne flétrira pas, il ne se flétrira jamais, voyez. Et ce que je vous raconte là, c’est le vingtième siècle, c’est Berlin, c’est… Bon, c’est une époque que les moins de vingt ans n’ont certes pas connue. C’est une époque où les gens savaient vivre…

Ici, il faudrait peut-être une petite pause parce que je ne sais plus du tout de quoi nous parlions. Voulez-vous que je vous lise une page de littérature ? Anne Baudoux qui m’a accompagné pendant six semaines (à l’école du TNB, à Rennes et à Berlin) m’a conseillé hier un poème de Fernando Pessoa qui s’appelle Bureau de tabac. « Je ne suis rien / Jamais je ne serai rien / Je ne puis vouloir être rien / Cela dit je porte en moi tous les rêves du monde », c’est très beau. (Bis.) Je suis allé hier, donc hier après-midi, le chercher dans la librairie Chapitre, ce poème, à Rennes, mais ils ne l’avaient pas, en tout cas dans la traduction dont me parlait Anne Baudoux, ils ne l’avait qu’en pléiade et je connais mal Pessoa, je sais que c’est absolument immense, mais je le connais encore mal, je n’ai pas osé vous l’amener, en fait. Alors j’ai cherché sur la table des nouveautés ce qu’il pouvait bien y avoir et j’ai trouvé un livre de Peter Handke qui vient de paraître en français et qui s’appelle La Nuit Morave. Je l’ai ouvert au hasard et c’est cette page, cette première page que j’ai lue que je vais vous lire maintenant.

Lecture de la page 191 de La Nuit Morave, de « Tandis que ces deux-là étaient ensemble en chemin… » jusqu’à : « …ou les enthousiastes simplement protégeaient – qui ? Oui, qui ? »

C’est une page que je dédie à, à Jeanne Balibar et Felix Ott, en c’moment. Qui sont les amants d'aujourd'hui.
C’est tout à fait curieux, Ratko Mladic vient d’être arrêté… Vous savez – la polémique – que Peter Handke a beaucoup soutenu la Serbie (par des textes sûrement très intelligents, très sensibles que je n’ai pas lus). Qu’il est allé à l’enterrement, même, de Slobodan Milosevic, qu’il a fait un discours sur sa tombe, qu’il a jeté une rose sur son cercueil, ce qui est tout de même du symbole extrêmement fort, je ne sais rien de tout ce que cela raconte, je ne comprends pas ce qu’on lui a reproché – bien évidemment, je vois la situation, il vivait à ce moment-là avec Sophie, une amie proche d’un ami que j’ai toujours, Stéphane Wargnier. Je me souviens qu’elle m’avait vendu des vêtements Yamamoto, Yohji Yamamoto, Sophie, je n’sais plus comment elle s’appelle, elle travaillait dans la mode, à une époque, Sophie, la sagesse, très belle. Très, très belle femme. Je n’sais pas c’qu’elle est devenue. Il y a longtemps que je n’l’ai pas…

« – Ça va, j’suis clair ? – Oui. – Ça ne heurte pas vos champs d’croyance… ? – Ça ne ? – Ça ne heurte pas vos champs d’croyance, pour l’instant ? – Oh, vous savez, je… Ça me… Voilà ! – Voilà. – Je n’sais pas à quel niveau ça m’parle, si c’est un niveau… Mais je suis normalement éduqué à penser qu’la poésie, c’est la chose sérieuse, alors je… – Oui, j’avais, j’avais cru remarquer ça. – Je n’fais pas d’différence entre… – Alors… – Enfin, j’essaie… – Alors, allons-y. »

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