Friday, May 20, 2011

Roméo, ce con

Je crains pour l’avenir du théâtre. Je l’ressens avec les élèves. Ça nous plaît d’aller au Berliner Ensemble, ça nous plaît d’aller à la Kantine du Berliner Ensemble, ça nous plaît d’aller sous les arbres de la Kantine du Berliner Ensemble, mais, dès qu’on se retrouve assis dans les velours rouges du Berliner Ensemble avant que la représentation ne commence, une immense fatiguennui nous saisit. Comment peut-on encore aller au théâtre ? On sait d’avance qu’on va se faire chier – déjà s’asseoir les uns derrière les autres dans une salle d’un autre temps, c’est, pour la jeunesse, d’un ennui terrible. Je disais à Sarah avec qui j’étais resté le dernier à partir du loft que je me préparais une fois de plus à aller m’endormir au théâtre (nous sommes fatigués), que c’était tout de même bien malheureux, mais elle me disait : « Moi, c’est tout le temps comme ça, je suis une très mauvaise spectatrice. » Présentement, je suis assis à côté de Nathan qui se demande par intermittence ce que je peux bien écrire dans mon carnet. Il regrette de n’être pas assis à côté de Karine. Je lui dis (et donc je l’écris) qu’il peut me peloter, s’il veut, comme il aurait peloté Karine (qu’on aperçoit en effet dans une loge en face), que je ne le dirai pas à sa mère – mais nous allons tout deux probablement nous endormir, oui, nous le savons tous les deux, nous ne nous attirons pas tant que ça, malgré notre très grande sympathie – le noir se fait. Le problème, c’est ça, le problème, c'est pas les acteurs (on en trouvera toujours), c'est les spectateurs. On ne va pas pouvoir encore demander longtemps à des gens de s'endormir au théâtre ! Même dans les velours anciens, on est mal assis, on est coincé. On ne peut pas coincer les gens comme ça ! Krzysztof Warlikowski se plaint souvent de cet état des choses, que les gens les plus intéressants, il les rencontre en boîte, jamais à ses mises en scène pour vieillards presque déjà morts. Je le ressens avec les élèves de cette école : on ne peut pas leur promettre un avenir de théâtre, mon Dieu ! Mon Dieu, faites du cinéma ! Faites au moins du cinéma... (Jeanne Balibar a dit cet après-midi que le cinéma était du « théâtre accéléré ».) La pièce que nous faisons fait 1h35mn, mais je vois bien qu’ils ont du mal à tenir cette durée – et alors, si eux ont du mal, comment demander aux spectateurs, eux, de la tenir ? Pauvres chéris, on aimerait inventer un art à leur hauteur, à leur performance, un art fait de musique et de dessin animé (et ce n’est pas péjoratif ce que je dis – les plus grands artistes sont certainement là – et j’en connais). On parle beaucoup de DSK. Chaque jour, je m’amène devant les gamins en mimant que j’ai les menottes. Ce matin, Marina était toute nue au petit-déjeuner et, comme je m’approchais, elle a hurlé : « Prenez des photos, on va mettre Yvno en taule ! » DSK est devenu un héros. Il n’était qu’un présidentiable, il est devenu un héros (idem la femme de ménage élevée à un rang planétaire). Il y a une histoire qui circule sur Internet que j’aime beaucoup, une version possible de ce qui a pu se passer. DSK avait commandé une escort girl, à midi, habillée en femme de ménage (parce qu’il aime bien ça) et résistante (pour qu’il ait l'impression de forcer le passage, c’est excitant) et, pour une raison ou une autre, l’escort ne s’est pas présentée et, par le plus grand des hasards, c’est une vraie femme de ménage qui s’est retrouvée là au même horaire. Il la prise pour la pute. J’aime beaucoup cette histoire parce que c’est un scénario de Woody Allen (cette possibilité). Sinon autres remarques : Simon en a marre d’être pris pour le père de l’enfant quand il se promène avec Ambre en ville. Romain est très bon en résolution de contrepèteries. Il a trouvé en un tour de main : « Elle revient de la ferme pleine d’espoir jusqu’au pont du Jura », « La cabine 13 », « Mon père, voici la bannière demandée » et… zut ! j’ai oublié la dernière. Je suis sorti et les couloirs vides du Berliner Ensemble étaient de nouveau merveilleux. Et, merveille, cela continuait. La pièce était diffusée au-dehors par des speakers parmi les oiseaux (au-dessus des affiches). J’avais le livre de Gérard de Nerval avec moi, j’avais tout, j’avais la vie, que le théâtre aille à sa perte, c’est la seule solution. S’approcher, tourner autour des théâtres, ne jamais y entrer. Et le monde sera bien gardé. Le projecteur du soleil qui tape en plein dans l'mille quand on ouvre la porte. Une pluie indistincte. De grosses gouttes qui échappent à tout contrôle, à toute phobie. Duncan était particulièrement bon, ce matin. Il a des déboires sentimentaux. Il a vomi toute la nuit. Il était comme prostré et désespéré – avec la chaleur du désespoir. Mais le fait est qu’il était bon – les rives bienveillantes du « show must go on ». Tout le groupe l’entoure avec tendresse. On a pitié de lui. Mais on est ému qu’il soit si bon en jouant, quand il nous parle, par exemple, du Masque de la Mort rouge. Il est sorti plusieurs fois de scène pour vomir encore (comme s’il avait encore qqch à vomir…) Marina en a fait, en espagnol, une scène à la Almodovar. Une scène parfaite. Il nous manque maintenant du public. Il faut faire venir le public. Il faut que ces gosses jouent et, jouer, c’est avec le public.

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